Réflexions littéraires
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« Ce livre-là n’est pas pour toi! »

Quand j’étais ado, j’aimais me rendre à la bibliothèque de mon école secondaire pour y emprunter des romans, souvent plusieurs par semaine. Ayant toujours eu un faible pour les littératures de l’imaginaire et plus particulièrement les romans de fantasie (c’est-à-dire les histoires se déroulant dans des univers moyenâgeux remplis de magie, de guerres et de créatures mythologiques), j’aimais bien me gâter un peu et emprunter des livres de la collection « Les Royaumes oubliés », regroupant des récits inspirés d’un univers conçu à l’origine pour le jeu Donjons et Dragons.

Malgré ce que vous pensez peut-être, je ne ressentais absolument aucune honte à aller emprunter ce genre de livres, même si être geek n’a pas trop la cote à l’adolescence. Ce qui me mettait hors de moi, c’est que chaque fois que je passais au comptoir de prêts pour faire enregistrer mon emprunt, la bibliothécaire (qui me connaissait bien et savait que j’empruntais des livres de cette collection de façon régulière) ne manquait pas de m’adresser le commentaire suivant: «Ça m’étonne que tu lises ça, c’est des livres de gars!»

À. Chaque. Fois.

À chaque fois, je lui répondais que ça m’était égal, que c’était ce que j’avais envie de lire. Et je repartais de la bibliothèque en pestant contre les stéréotypes de genre, même si à l’époque je ne les considérais pas encore comme un enjeu de société, et même si je n’avais aucune idée que ça portait vraiment un nom. Ça m’enrageait, et ça me suffisait.

Aujourd’hui encore, je deviens verte quand j’entends, à la librairie, une mère dire à sa petite fille qui choisit un roman d’action : «Ah, non Léa, je t’achèterai pas ça, c’est un livre de gars!» ou, encore, un parent dire à son garçon qui choisit un roman avec du rose sur la couverture : «Ben non, Simon, ça c’est un livre de filles, t’as pas envie de lire ça, quand même?» Parce que ça arrive.

Même en 2015, ça arrive encore.

Instinctivement, l’enfant est attiré par un livre pour une raison. Peut-être que c’est la couverture qui lui plaît, peut-être que le résumé lui parle. Peut-être qu’il va lire le livre et détester l’histoire, finalement; peut-être qu’il va découvrir que l’histoire est encore meilleure que ce qu’il s’imaginait. En réalité, ça importe peu. Ce qui importe, c’est que l’enfant a choisi ce qu’il voulait lire, et que ça a contribué à améliorer son autonomie et sa capacité à faire des choix (rien que ça!)

Malgré cela, des clients qui me demandent des conseils émettent trop souvent des jugements terribles à l’égard de leurs enfants, petits-enfants ou neveux, sans se douter que leurs commentaires gratuits me rendent passablement agressive :

«Vous voulez dire que le livre qu’elle a écrit sur sa liste, c’est une affaire avec des combats pis des monstres dedans? Ah ben non là, le cadeau c’est pour ma petite-fille, fait que j’veux rien choisir qui parle d’affaires de même… ça fait ben trop tomboy pis j’veux pas encourager ça!»

«Il est tellement fragile, tellement sensible… en plus, y’aime les histoires d’amour, pour un p’tit gars, ça fait dur! Le dernier livre qui lisait, c’était lui là, avec les paillettes… pis y’avait l’air d’aimer ça, en plus! Pouvez-vous croire!»

«Ils m’ont demandé des bandes dessinées… mais y’en est pas question. C’est pour les bébés, ça, pis y’ont presque douze ans! Y savent lire assez bien pour pas choisir des livres pleins d’images, franchement!»

Les commentaires précédents, je les ai tous déjà entendus. Plus d’une fois. Et ça me fâche, en même temps que ça me désole.

Je suis tout à fait d’accord qu’un enfant de huit ans ne devrait pas lire un roman adressé à un public adolescent; je peux entièrement comprendre les parents qui sont réticents à acheter certains livres en raison du contenu violent, de la sexualité plus explicite ou du niveau de maturité qui n’est pas adéquat pour leur enfant. Cependant, je ne comprendrai jamais les parents qui interdisent à leur enfant d’accéder à un livre conçu pour son âge et dont le contenu n’a rien de traumatisant, simplement parce qu’ils estiment que ça ne convient pas à l’image idéalisée qu’ils se font de leur fille ou de leur garçon. Bon, j’exagère peut-être un peu, mais je crois qu’il y a un fond de vérité là-dedans.

Heureusement, tous les parents ne sont pas comme ça: plusieurs d’entre eux sont ouverts d’esprit, comme l’ont été les miens, à l’époque (merci maman, merci papa!) Au travail, encore une fois, je me souviens avoir vu des parents qui, après avoir dirigé leur enfant dans la section adéquate pour son niveau de maturité, lui ont permis de choisir ce qui lui faisait envie. Sans passer de commentaires négatifs ou moqueurs. Sans juger.

Seulement en affichant un sourire, parce qu’ils étaient heureux d’avoir un enfant qui aime lire, tout simplement.

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Auteure, chroniqueuse et détentrice d'une maîtrise en création littéraire, Raphaëlle explore diverses facettes du milieu du livre à travers sa passion intarissable pour les mots et les histoires. Elle mène d'ailleurs de front une multitude de projets variés, au cœur desquels l'écriture se trouve toujours au premier plan. Dans ses créations, elle a un petit faible pour les littératures de l’imaginaire (fantasy, fantastique, épouvante, suspense), mais côté lecture, elle dévore un peu de tout; ce qui compte pour elle, c’est d’abord et avant tout de découvrir d'autres univers, pour ensuite partager ses trouvailles avec les autres. Son but en tant que lectrice? Être émue, bouleversée, émerveillée, éjectée hors de sa zone de confort. Son but en tant qu’auteure? Tenter de transmettre aux lecteurs toutes ces émotions vives et brutes qui, à ses yeux, font de la littérature une aventure sans âge et sans frontières.

2 Comments

  1. J’en reviens pas que tu aies eu des commentaires comme ça, vivre et laisser vivre msemble. Les gens sont tellement fermé parfois, c’est triste . Ha et bon article 🙂 !

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    • Ah oui, Marjorie! Je peux t’assurer que j’en entends pratiquement tous les jours. En effet, c’est triste, particulièrement pour les enfants qui ont fait un choix et veulent vraiment partir à la découverte du livre « interdit »! Et merci du commentaire, j’apprécie!

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