Réflexions littéraires
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Percé, paysage de l’imaginaire

André Breton, écrivain, poète, théoricien, amoureux, féministe, … s’est arrêté à Percé en 1944 et a débuté l’écriture d’Arcane 17.

Voilà plusieurs jours déjà que je survole les courants littéraires et artistiques du dadaïsme et du surréalisme, propulsée de liens en liens par la curiosité et l’envie de revenir sur des passages de l’histoire effleurés pendant les études. Le point initial de cet intérêt soudain, Arcane 17, écrit par André Breton.

Pourquoi Arcane 17 ? Il y a plusieurs mois déjà, lorsque je suis arrivée à Percé, je marchais sur la 132, entre la pharmacie et chez moi, et j’ai aperçu un petit monument sur la pelouse d’une maison jaune, où il était inscrit :

«André Breton (1896-1966) En exil à New York au cours de la deuxième guerre mondiale, le célèbre écrivain français voyage sur les côtes de la Gaspésie à l’été 1944 et séjourne dans cette maison en compagnie d’Élisa. Il trouve en elle et dans la splendeur de Percé, la source d’inspiration de l’une des œuvres majeures de la littérature surréaliste : ARCANE 17. Plaque offerte par l’Ambassade de France au Canada.»

J’ai gardé près de moi ma copie du roman pendant quelque temps avant de me lancer.

De l’auteur, je connaissais déjà Nadja, œuvre magnifique écrit pour Léona Delcourt «Le 4 octobre 1926, il rencontre dans la rue Léona Delcourt, alias Nadja. Ils se fréquentent chaque jour jusqu’au 13 octobre. Elle ordonne à Breton d’écrire «un roman sur moi. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste»».

«André Breton, né le 19 février 1896, en Normandie, était un écrivain français, poète et théoricien du surréalisme.

RAY_SteinbgIl est surtout connu comme étant le principal fondateur du mouvement surréaliste. Parmi ses écrits se trouve le Manifeste du surréalisme de 1924 dans lequel il définit le surréalisme comme de l’automatisme psychique pur. Il a été étudiant en médecine et en psychiatrie. Pendant la première guerre mondiale, il a travaillé dans un département neurologique à Nantes. C’est à ce moment qu’il a rencontré le fils spirituel d’Alfred Jarry, Jacques Vache, dont l’attitude anti-sociale et le mépris pour les traditions artistiques établies l’ont considérablement influencé. En 1919, Breton a fondé la revue Littérature avec Louis Aragon et Philippe Soupault. Il a également connu le dadaïste Tristan Tzara. En 1924, il a contribué à la création du Bureau de la recherche surréaliste.

André Breton est mort en 1966, à 70 ans, et a été enterré dans le cimetière des Batignolles à Paris.»

breton-atelier-2Pour se situer, voici quelques mots sur le dadaïsme et sur le surréalisme :

«Le dadaïsme est un mouvement intellectuel et artistique qui apparut à New York et à Zurich (1916), se diffusa en Europe jusqu’en 1923 et exerça, par sa pratique subversive, une influence décisive sur les divers courants d’avant-garde. Dada, mouvement international d’artistes et d’écrivains, est né d’un intense dégoût envers la guerre qui signait à ses yeux la faillite des civilisations, de la culture et de la raison. Terroriste, provocateur, iconoclaste, refusant toute contrainte idéologique, morale ou artistique, il prône la confusion, la démoralisation, le doute absolu et dégage les vertus de la spontanéité, de la bonté, de la joie de vivre. Paradoxalement, son activité de déconstruction et de destruction des langages (verbal et plastique) se traduit par des œuvres durables qui ouvrent certaines voies majeures de l’art contemporain.»

«Le surréalisme est un mouvement culturel qui a débuté dans les années 20 et qui est surtout connu pour les œuvres d’art et les écrits faits par les artistes surréalistes. Les caractéristiques des œuvres surréalistes sont principalement la surprise et la juxtaposition inattendue mais de nombreux artistes et écrivains surréalistes expliquent leur travail comme étant une expression philosophique d’abord et avant tout. André Breton ne pouvait être plus clair en affirmant que le surréalisme était avant tout un mouvement révolutionnaire. Le surréalisme est né des activités Dada de la Première Guerre mondiale dont le noyau était à Paris. À partir des années 20, le mouvement se propagea dans le monde entier, affectant les arts visuels, la littérature, le cinéma, la musique, la langue ainsi que la pensée politique, la philosophie et la théorie sociale.»

J’ai ouvert Arcane 17 sans me douter de ce qui m’attendait. J’étais curieuse, c’est tout, et enthousiaste aussi, à l’idée de découvrir l’œuvre d’un grand poète inspiré, entre autres, de Percé, cette ville qui à mon tour m’inspire tellement. Je voulais lire les impressions laissées par l’endroit sur l’artiste.

Découvrir à travers ses yeux, son âme, sa vision. Et superposer la mienne, peut-être, à la sienne.

«Le 10 décembre 1943, Breton rencontre Élisa Bindorff. Ensemble, ils voyagent jusqu’à la péninsule de la Gaspésie, à l’extrémité sud-est du Québec. Dès son retour à New-York, il publie Arcane 17 né du «désir d’écrire un livre autour de l’Arcane 17 en prenant pour modèle une dame que j’aime.»

by Ida Kar, 2 1/4 inch square film negative, 1960«À la fois essai et récit, Arcane 17 est l’œuvre d’André Breton la plus complexe et la plus riche d’influences littéraires, poétiques, politiques et ésotériques. Le titre fait référence à la 17e lame du tarot où figure l’emblème de l’étoile et aussi à la 17e lettre de l’alphabet hébraïque qui évoque, en tant que signe, la langue dans la bouche. Jouant de l’analogie entre l’arcane et la lettre, Breton met au centre de toute une série de correspondances et d’attractions passionnelles, la femme, symbole de source de vie. Par l’accolement d’un nombre en chiffres à un substantif, le titre surprit par sa modernité inattendue. Cette œuvre, la plus discursive et la plus abstraite, parcourt des domaines divers depuis les mythes anciens jusqu’à l’Histoire présente. Des considérations philosophiques se transforment en envolées poétiques, les descriptions vagabondes de la Gaspésie en déclarations d’amour pour Élisa, des observations d’ordre personnel se mêlent à des aperçus historiques et des réflexions sur les problèmes auxquels l’humanité sera confrontée après la guerre. De l’une des fenêtres de la maison face au Rocher Percé, Breton en fait le cadre de l’écran sur lequel il projette sa propre exégèse passionnée du 17e arcane du tarot : l’Étoile.
Breton propose une nouvelle lecture amoureuse des éléments qui constituent l’imagerie traditionnelle : les étoiles, les plantes, l’étang, le papillon et surtout les ruisseaux qui s’échappent des deux urnes tenues par la jeune femme nue, la Verseuse qu’il renomme Mélusine. S’il reprend la trame du mythe de Mélusine d’après Jean d’Arras : malgré son serment, et sous l’influence des allusions équivoques de son frère, Raymondin pénètre dans la chambre de Mélusine et découvre une créature moitié femme moitié serpent. Elle s’envole par la fenêtre en criant : « Tu m’as perdue pour toujours ! », Breton en fait une créature incarnant à la fois le malheur de la femme qui subit l’aliénation sociale que lui impose le pouvoir mâle et le privilège de pouvoir communiquer avec les forces élémentaires de la nature. Mélusine signifie « merveille » ou « brouillard de la mer ». Pour les Lusignan, on l’appelle « Mère Lusigne » (la mère des Lusignans), fondatrice de leur lignée. Dans le dictionnaire Littré, elle est appelée « Merlusigne », ce qui pourrait faire penser à une connotation aquatique.»

«C’est à l’artiste, en particulier, qu’il appartient ne serait-ce qu’en protestation contre ce scandaleux état de choses, de faire prédominer au maximum tout ce qui ressortit au système féminin du monde par opposition au système masculin, de faire fonds exclusivement sur les facultés de la femme, d’exalter, mieux même, de s’approprier jusqu’à le faire jalousement sien tout ce qui la distingue de l’homme […].»

Dès les premières lignes, j’ai fait face à une sorte de brume. Je ne savais pas tellement à quoi me raccrocher comme ligne directrice. Je n’avais pas lu auparavant sur le sujet du livre et je suis peu habituée à cette force d’écriture, tout à fait poétique et réflexive, remplie d’une telle richesse de liens et de symboles, d’images et de noms historiques, de lieux aussi et de dates.

Je me suis alors mise à lire à haute voix, emplissant ma petite maison jaune des mots et paroles de Breton. Soudainement, mon univers se transformait pour n’en former qu’un seul et même avec André Breton, qui reprenait vie, d’une certaine façon. Il n’y avait plus de temps ou d’espace entre Percé de 1944 et celui de 2016. Entre ses yeux d’homme éperdument amoureux et les miens de femme sensible.

Certains passages du texte se découpaient pour s’ouvrir complètement, me saisir complètement, me projeter jusqu’aux cimes du monde, au commencement de Percé. Breton me racontait la vie et des histoires mythiques de la France et de Percé en une seule image. Il me disait que femme, je devais crier ma place, qu’amoureuse, je devais me battre, qu’artiste, je devais croire.

Élisa venait de perdre sa fille, issue d’une autre union. «Le 13 août 1943, au cours d’une excursion en bateau, au large du Massachusetts, Ximena se noie.»

«Avant de te connaître j’avais rencontré le malheur, le désespoir. Avant de te connaître, allons donc, ces mots n’ont pas de sens. Tu sais bien qu’en te voyant la première fois, c’est sans la moindre hésitation que je t’ai reconnue. Et en quels confins les plus terriblement gardés de tous ne venais-tu pas, quelle initiation à laquelle nul ou presque n’est admis ne t’avait pas sacrée ce que tu es.»

«Et je t’aime parce que l’air de la mer et celui de la montagne, confondus ici dans leur pureté originelle, ne sont pas plus exempts de miasmes et plus enivrants que celui de ton âme où la plus grande rafale a passé, […].»

Lorsque j’ai foulé le sol percéen l’été passé, pour m’y installer, je décriais toutes ces représentations du rocher, trouvant que son image était surexploitée, jusqu’à lui retirer son âme. Et dès le départ, je cherchais à faire mien ce paysage. À utiliser ses images, ses monts, ses pierres, sa mer, son vent et ses lumières pour parler un langage propre, pour parler de moi.

«Il y a à travers tout ce qu’on foule, quelque chose qui vient de tellement plus loin aussi. Naturellement ceci est vrai n’importe où, mais est plus sensible en un lieu où chaque pas en apporte le rappel dûment circonstancié.»

Je n’arriverais jamais à m’approprier les lieux, à faire miens ces paysages en mouvements continuels. Ils deviennent plutôt mon reflet et je m’ancre dans le paysage, j’entre en lui comme une pierre, comme une vague.

Je suis inspirée, je crée, sentant en moi sans cesse des rafales de vent et des hautes marées d’idées à réaliser. Parce que le lieu est si riche, si vaste qu’il me sera impossible un jour de toucher le fond, d’aller tout au bout, sauf peut-être au bout de moi.

Comment ai-je pu me mesurer au rocher ? Il a des milliers de vie de plus que moi et il me survivra, oh il me survivra sans efforts.

Je suis une vague sur son cap. Je suis un fossile minuscule, un frisson encore suspendu à son cap.

«C’est quand, à la tombée du jour ou certains matins de brouillard, se voilent les détails de sa structure, que s’épure en lui l’image d’une nef toujours impérieusement commandée. […] une fois évalué le poids total du rocher à quatre millions de tonnes, permet de déduire le temps global qu’il doit mettre à disparaître, soit treize mille ans. […] Il est beau, il est émouvant que sa longévité ne soit pas sans terme et en même temps qu’elle couvre une telle succession d’existences humaines. […] On a soutenu que, devant le Rocher Percé, la plume et le pinceau devaient s’avouer impuissants et il est vrai que ceux qui sont appelés à en parler le moins superficiellement croiront avoir tout dit quand ils auront attesté de la magnificence de ce rideau, quand leur voix soudain plus grave aura tenté d’en rendre l’éclat sombre, quand ils auront pu mettre quelque ordre dans la modulation de la masse d’air qui vibre dans ses tuyaux magistralement contrariés. Mais, faute de savoir que c’est un rideau, comment se douteraient-ils que son écrasante draperie dérobe une scène à plusieurs plans?»

Cet ouvrage est d’une grande beauté, d’une vaste complexité, il est court, peut-être, mais il demande du temps de réflexion et ouvre sur de multiples pistes de recherches. Je vais très certainement le relire, comme j’aimerais relire, un jour, Nadja. Prendre ce temps pour m’ouvrir à nouveau à l’univers unique d’André Breton.

J’aime savoir que de grands esprits, des artistes, peintres et poètes, sculpteurs et photographes, des intellectuels, des gens comme André Breton, se sont un jour amarré à Percé pour prendre un peu de l’âme et laisser un peu de la leur pour les autres à venir.

«Pourtant cette arche demeure, que ne puis-je la faire voir à tous, elle est chargée de toute la fragilité mais aussi de toute la magnificence du don humain. Enchâssée dans son merveilleux iceberg de pierre de lune, elle est mue par trois hélices de verre qui sont l’amour, mais tel qu’entre deux être il s’élève à l’invulnérable, l’art mais seulement l’art parvenu à ses plus hautes instances et la lutte à outrance pour la liberté. À l’observer plus distraitement du rivage, le Rocher Percé n’est ailé que de ses oiseaux.»

IMG_3249 (2)Arcane 17 – 20 août – 20 octobre 1944 – Percé – Sainte-Agathe.

Liens :
http://www.larousse.fr, http://www.oeuvresouvertes.net
http://www.le-surrealisme.com, literaturafrancesatraducciones.blogspot.ca
Wikipédia, http://www.npg.org.uk

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Louba-Christina Michel est une passionnée. Elle écrit depuis qu’elle sait comment faire et même avant, dans une sorte d’hiéroglyphes inventés. Et dessine depuis plus longtemps encore, elle a dû naître avec un crayon dans la main. Elle est transportée par tout ce qui touche à la culture et dépense tout son argent pour des livres et des disques (hey oui!). Elle prend beaucoup trop de photos de son quotidien, depuis longtemps. Des centaines de films utilisés attendent d’être développés dans des petites boîtes fleuries. Sa vie tourne autour de ses grandes émotions, de ses bouquins, de l’écriture, de l’art, du café et maintenant de sa chatonne princesse Sofia. Après une dizaine d’années d’errance scolaire et de crises existentielles, entre plusieurs villes du Québec, elle est retournée dans son coin de pays pour reprendre son souffle. Elle travaille présentement à un roman et à une série de tableaux.

Un commentaire

  1. Michèle Morin says

    Très beau texte, Louba-Christina! Vous me donnez envie de lire Breton, surtout « Arcane 17 »… et de vous lire ! Je vais suivre votre Journal avec plaisir !

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  2. un merveilleux livre, que j’ai lu plusieurs fois — un des rares livres que j’ai relu à plusieurs occasions

    il repose toujours dans ma bibliothèque…

    si inspirant

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  3. A la même direction et jamais sans fôtes Borduas en était complexé et Ferron corrigeait…
    Gaspésie rêve et réalité comme choix choyé confondus ou pas…Des pleurs d’Anse-Pleureuse aux misères de la peine insulte en vent des morts morues
    survivantes d’engrais aux échos momies de prédations aujourd’hui ses galets noircis des os anciens les mêmes aujourd’hui qui monnaie son agonie d’Embellie…Enfants pauvres des richesses (de coeurs d’âmes) inmonnayable Forillon Demeure hors saisons Là par son Silence caché secrète immense…Éternelle.
    Breton Agathe mais Bretagne aussi…Agathe assassinée perçée pour quelques dollars…dedans dehors la belle et la bête Gaspésie! La Vie!

    Le temps m’urge pardonné moi ce si peu dit.

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