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Entrevue avec Mélissa Verreault

C’est bien fébrile que je me rendais dans un café de la Petite Italie, en milieu de semaine, pour y rencontrer l’auteure Mélissa Verreault. Lieu qui n’a pas été choisi par hasard, d’ailleurs : le dernier roman de Mélissa, Les voies de la disparition, se déroule en partie dans l’Italie des années 1980, alors que survient ce que l’on nommera l’attentat de Bologne. En partie, dis-je bien, car ce n’est qu’une des voies de la disparition que l’auteure a choisi d’exploiter. On a donc parlé de tout ça, et de bien d’autres choses, et ma nervosité s’est rapidement éclipsée tant j’étais fascinée par cette femme éloquente, drôle et intéressante. Téteuse, oui, oui, mais c’est ce que j’ai avoué d’emblée à Mélissa : son roman est une grande réussite. On y plonge sans s’arrêter, à l’image de cette entrevue que j’aurais voulu faire durer toute la journée.

En m’asseyant, je lui ai aussi avoué que je n’avais pas lu son roman précédent, L’Angoisse du poisson rouge. « Pas besoin! », me dit-elle. Mais pourquoi avoir repris les mêmes personnages, alors? lui demandai-je, intriguée…  « Je sentais que Manue et Fabio avaient déjà une profondeur, et les parallèles avec l’Italie étaient déjà là… Pourquoi est-ce que je n’irais pas plus loin? Et quand j’avais mis le point final au Poisson Rouge, je m’étais dit : ‘’je n’en ai pas fini’’…».

voies-c1-160627-226x339C’est donc sans aucune attente que j’ai commencé son roman, lui ai-je avoué, bien humblement. Et j’ai été (très) agréablement surprise : deux histoires parallèles. Un roman choral, comme le dit si bien l’auteure elle-même. Avait-elle donc deux idées – l’histoire d’un couple trentenaire qui n’arrive pas à avoir d’enfants, et l’histoire de l’attentat de Bologne, en Italie? Pourquoi le mélange de deux trames narratives? « Je suis d’avis que de mettre deux histoires comme ça en parallèle apporte un éclairage différent sur les événements, ça remet les choses en perspective et ça permet de réfléchir autrement à ce qui se passe, me confie Mélissa. Le passé vient éclairer le présent et vice-versa. Aussi, une histoire de trentenaire, c’est ben banal! J’ai beau pouvoir me débrouiller avec des p’tites formules de phrases cutes et des dialogues drôles, ça n’aurait pas été suffisant pour que ça sorte du lot ». Elle précise que c’est ce qu’elle aime, lorsqu’elle écrit : jumeler des histoires ensemble et créer des liens entre elles.

Dans Les voies de la disparition, le lien entre l’Italie et l’attentat terroriste qui s’y produit et l’histoire de Manue et Fabio, c’est la guerre. Pas besoin de vous dire ce que la guerre a à voir avec un attentat terroriste. Mais dans l’histoire du couple? C’est parce que Manue part en guerre, elle aussi, mais pas n’importe comment. « C’est une terroriste amoureuse! En naviguant d’hyperliens en hyperliens quand j’écrivais le roman, je suis tombée sur un truc qui s’appelait « l’art de la guerre », qui parlait de l’éthique de la guerre. C’est là que j’ai compris que Manue est une terroriste amoureuse, parce qu’elle ne respecte pas les règles de la guerre. »

Si au départ je me posais bien des questions, justement, quant à ces liens, au fil de ma lecture, tout s’est éclaircit. Mélissa Verreault a donc bel et bien réussi à le faire sentir,

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Mélissa Verreault. Crédit: Twitter

ce lien. Pourtant, elle aborde une histoire dont j’ai (et « on a», peut-être) peu entendu parler (je n’étais pas née, vous me direz, mais certes) : l’attentat qui s’est déroulé à Bologne, en Italie, en 1980 et qui a fait 60 morts et plus de 200 blessé.e.s. L’auteure s’attache à déplier tout ce qui se passe derrière cet événement, à travers notamment le personnage de Claudio, qui a perdu un couple d’amis dans l’attentat. On apprend aussi ce qui s’est passé après : qu’a-t-on fait pour trouver les coupables? Qui a été accusé? Et surtout, surtout, sont-ils les véritables coupables… « On ne connaît pas cet attentat ici, mais en Italie, c’est un événement qu’on commémore. J’ai voulu creuser, et plus je creusais, plus je trouvais des choses absurdes! » C’est qu’à ce jour, les véritables coupables n’ont pas été trouvés… Du moins, c’est une des théories, et avec elles celle, entre autres, de certaines personnes qui auraient été accusées injustement.

 

Or, ce qui m’a fascinée, ce sont surtout les personnages dont Mélissa parle et qui sont victimes (au sens de décédées, mais aussi au sens d’accusées injustement) de cet attentat. Il me semble que pour qu’une telle histoire nous touche, il faut passer par là, par les humains. « Oui!, s’écrie-t-elle. Humainement, ce que tu découvres à travers ça, c’est hallucinant. Ce qui me fascine, c’est toujours l’histoire des individus derrière l’Histoire avec un grand H. C’est à l’intérieur des yeux d’une personne qu’on peut mesurer l’impact des grands événements comme ceux-là ». D’autant plus que pendant que Mélissa écrivait, il y a eu Charlie Hebdo et les attentats de Paris… Et comme elle, on a appris à connaître l’histoire des victimes pour s’approprier un peu le drame. Pourtant, à mon sens, ce n’est pas mal. Ça peut parfois être tellement loin de nous. Un peu comme l’attentat qu’a choisi de mettre en scène Mélissa; au Québec, peu de gens sont au courant. Je lui ai fais part de ma fascination quant au fait qu’on peut être complètement dévasté.e par des événements qui se passent à Paris, mais qu’on ne soit pas au courant de ce qui se passe ailleurs… Alors que quand j’ai lu les portraits qu’elle a écrits sur les gens victimes des attentats de Bologne, même si je ne les connais pas, j’ai été affreusement bouleversée… « C’est parce qu’on n’a pas accès aux histoires intimes des gens de Syrie et en Afghanistan, par exemple, me dit-elle. Si on avait accès au parcours de ces gens, on serait beaucoup plus touché.e.s… Parce que là, tout ça nous semble fictif. » Mais lorsqu’on implique des personnes humaines, des sensations, on est interpellé.e.s et, dès lors, concerné.e.s. C’est pour cette raison que c’est l’humain qui intéresse Mélissa Verreault : « Ça me permet de comprendre des choses sur moi, de m’intéresser à l’Autre. À l’Italie, par exemple, car même si c’est un pays occidental, j’ai découvert des choses sur nos sociétés, sur là où on fait des bons coups et des moins bons coups… » Et ça permet aussi aux lectrices et lecteurs d’apprendre énormément de choses, comme ça a été le cas pour moi et l’attentat de Bologne, grâce à son livre. Pour elle, c’est ça le pouvoir du roman : « Transmettre une connaissance, mais d’une manière beaucoup plus subtile et plus vraie, parce qu’après, la personne possède vraiment ce savoir puisqu’elle l’a vécu. Dans un essai historique, tu ne t’attaches pas aux personnages! »

Et qu’en est-il de cette autre histoire, de Manue et Fabio? Il s’agit « simplement » d’un couple qui essaie d’avoir un enfant, ce qui n’est pas une situation qui m’interpelle nécessairement, a priori. Et pourtant, je ne me suis pas sentie loin de ça. Il y a quelque chose qui fait que même si l’infertilité n’est pas une question qui nous touche, on s’attache. « Je crois que ça tient beaucoup de l’anxiété de Manue, me répond-elle. C’est le mal du siècle! On peut toutes et tous se reconnaître, peu importe le problème qu’on vit. De ne pas savoir, de ne pas comprendre. J’ai choisi ce problème-là, mais ça aurait pu être autre chose. Ça demeure universel en ce sens-là, je pense, parce qu’on vit dans un monde qui va beaucoup trop vite et on n’a pas le temps de réfléchir, en fait. Pourtant, je pense que, qu’on ait 15 ans, 25 ans, cette pression-là existe, surtout pour les filles. Même si nos parents sont ben ouverts et non genrés, la société nous dit : ‘’si t’es une femme, tu es faite pour avoir des enfants.’’ Tu te poses la question dès un très jeune âge, même si tu n’es pas rendue là dans ta vie. Réfléchir à cette pression sur les couples et les femmes, surtout, c’est une question qui n’a pas d’âge. Même les personnes de 50 ans peuvent revisiter leur propre expérience à travers le roman. » Mélissa et moi on discute alors des sujets de romans, qui peuvent être universels. Elle repense à son premier roman, Voyager Léger, qu’un éditeur avait refusé de publier parce que « c’est une histoire de filles ». « Oui, j’t’une fille, pis oui je vois le monde avec mes yeux de filles, mais pourquoi mes yeux seraient moins universels que les yeux d’un gars? » Bien dit, Mélissa. Et l’infertilité, ça concerne les hommes aussi, de toute façon! Comme elle le dit si bien, tout est une question de comment on rentre dans le roman. « Parce qu’au fond, toute la littérature parle de la même chose… Où je vais, qui suis-je? C’est pour ça qu’on écrit des livres, au final. Après on se laisse porter par la voix de l’auteure, et puis ça nous plaît ou non.  »

Sur le coup, je n’ai pas été game de dire à Mélissa que je suis une fille très anxieuse et que c’est peut-être pour ça que j’ai pleuré une couple de fois pendant ma lecture. Et que sa voix, je l’ai adorée. Les Voies de la disparition, c’est donc malgré tout un livre qui fait du bien. Et il est là, le lien entre les deux histoires : si le terrorisme de l’attentat de Bologne et le terrorisme amoureux de Manue sont deux avenues pour disparaître, elles sont aussi deux histoires remplies d’humanité.

Les Voies de la disparition de Mélissa Verreault
Aux éditions La Peuplade

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