Littérature étrangère
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Charles Bukowski : âmes sensibles s’abstenir

Depuis cet été, je n’habite plus à quelques rues de la magnifique Librairie de Verdun. J’ai déménagé complètement à l’opposé, dans l’est. Au début, j’ai un peu paniqué car je ne savais plus où aller acheter mes livres. J’ai erré, l’âme en peine, pendant quelques jours. Et puis finalement, m’est apparue sur Ontario, une petite librairie de livres usagés qui venait d’ouvrir et n’avait pas encore son enseigne d’installée. Quelques semaines plus tard, j’en ai découvert une autre, un peu plus à l’est. Et tout d’un coup, j’étais réconciliée avec Hochelaga.

Clara a écrit il y a quelques temps un merveilleux texte sur le plaisir des librairies usagées et j’adhère tellement à ce qu’elle en dit. Quel plaisir de tomber sur une librairie pleine de vieux trésors, quand on voyage. Mais à Montréal,  j’apprécie tout autant m’y rendre car on a d’abord toujours un service hors pair; les employés semblent toujours si passionnés. On peut aussi y faire des trouvailles étonnantes. Des livres qui n’auraient jamais été mis de l’avant dans une librairie de livres neufs. Des bouquins qui ne répondent pas à mes critères habituels, qui sont peut-être un peu maladroits, mais qui font tout autant rêver que des livres plus conventionnels. Enfin, cela me permet de renouer avec des classiques ou avec des auteurs que j’avais lus autrefois, mais dont j’avais oublié l’existence. En retombant dessus dans les rayons d’une librairie de livres usagés, je peux les relire dans un autre contexte et vérifier s’ils me parlent toujours ou si ma vie a trop évolué pour que je m’y retrouve encore. C’est étonnant, comment un livre peut avoir tant d’impact sur soi à un moment X et paraître inintéressant plusieurs années plus tard. Ou le contraire.

Bref, le mois dernier, j’ai retrouvé Charles Bukowski, un auteur que j’avais dévoré au début de ma vie d’adulte, lorsque j’étudiais en littérature. Je gardais un bon souvenir d’une lecture un peu trash, mais drôle. Ses livres les plus connus sont Contes de la folie ordinaire et Journal d’un vieux dégueulasse. Il écrit surtout des nouvelles qui le mettent en scène ou un alter égo. C’est un maître de l’autofiction. C’est difficile de savoir quelle part de ses livres est romancée et laquelle est autobiographique.

Charles Bukowski est un auteur très particulier. Il a un style bien à lui, très peu classique. Il écrit comme il le souhaite et sans respecter les conventions. On accroche ou on déteste. Mais c’est décidément un auteur à lire pour avoir une image de l’autre Amérique, celle qui ne fait pas rêver. Ses textes montrent à quel point l’American Dream ne veut rien dire pour la majorité des américains alors que pourtant, elle fait rêver des peuples entiers (surtout dans les années 1950-1960, à l’époque de Bukowski). Il met en scène la violence quotidienne des gens pauvres et perdus. On y boit beaucoup, on couche avec tout ce qui passe sans vraiment ressentir de plaisir. On accepte n’importe quel misérable job pour pouvoir manger, puis on le quitte pour pouvoir boire toute sa paye. On crie, on jure, on se bat.

La différence entre l’Art et la Vie, c’est que l’art est plus supportable. 

Bref, la vie n’est pas belle dans l’univers de Bukowski. On ne lit pas ses livres pour rêver. Ils dégoutent même un peu. Le personnage principal de ses histoires est toujours alcoolique, obsédé sexuel et lâche. Mais cela dépeint une réalité qu’on ne peut ignorer et je pense que c’est important de se forcer à lire des choses moins belles.

Alexandre Thiltges, qui a écrit l’essai Bukowski ou les Contes de la Violence Ordinaire, explique bien l’effet ressenti à la lecture : « si le ton général des romans de Bukowski est très noir et chargé d’une violence que beaucoup jugent insupportable, celui-ci n’est pourtant pas désespéré, et ce, justement parce que le narrateur est encore en mesure de rire de l’absurdité et de la violence du monde dans lequel il évolue, aussi bien que de lui-même. »

Cependant, en relisant certains de ses livres, je n’ai pas retrouvé le même plaisir que j’avais eu à 20 ans. Je pense que lorsque j’étudiais en littérature, j’avais eu besoin de lire quelque chose de moins conventionnel et de sortir des carcans forcés. J’avais besoin d’un style brut, direct et vulgaire qui démontrait l’absurdité de la vie. J’avais soif de littérature sale, pas soignée, car j’avais l’impression de m’enfermer dans un univers aseptisé de grands classiques et de discours théoriques.

Dix ans plus tard, je n’ai plus ce besoin criant de littérature de violence, mais je suis contente d’avoir repassé un peu de temps avec Bukowski et d’avoir pu constater que j’avais changé. J’ai pu faire un clin d’œil à la personne que j’étais à l’université.


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Accro au thé vert, aux fleurs et à Spotify, Alexandra écrit pour les autres. Pour elle aussi. Elle collabore à de nombreux blogues et rédige le contenu de sites Web et d’infolettres depuis plusieurs années. Pour ses clients, elle crée et transforme l'existant pour lui donner du piquant. Elle raconte des histoires finalement! Dans la même année, elle s’est lancée à son compte et a quitté Montréal, sa ville de toujours, pour vivre à la campagne. Adepte d'une vie simple et paisible, elle se nourrit de lecture, de fruits, de jogging dans la forêt et de vin rouge. Ses écrivains fétiches sont Zola, Dany Laferrière, Delphine de Vigan et Jean-Simon DesRochers.

Un commentaire

  1. Bonjour ! J’ai adoré votre magnifique idée de calendrier de l’Avent-Bibliothérapie ! On y joue avec mes proches !
    Du coup je lis aussi les autres articles… et là, cette phrase m’interpelle : pourquoi dites-vous qu’on devrait (sous-entendu de temps en temps j’imagine ) s’obliger à lire des choses moins belles ?

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  2. Bonjour Cornaline! Je pense que c’est important de lire des romans qui décrivent des réalités qui ne font pas forcément rêver et qui peuvent même dégoûter, car ça nous ouvre à une autre vérité que la nôtre. J’aime apprendre sur les autres lorsque je lis et accéder à leurs pensées. Même si parfois, ce sont des « autres » que je n’aime pas (comme dans le cas de Bukowski : des ivrognes violents et lâches). Je me sers de la lecture pour mieux comprendre les autres.

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    • Merci pour cette réponse ! Effectivement je comprends vraiment cette démarche dans ce qu’elle a, disons, d' »ethnologique » peut-être ? Je posais la question avec sincérité, parce qu’à 36 ans, je n’ai plus le courage de m’astreindre à une littérature qui n’embellirait pas ma vie. Bukowski que je ne connais pas pique ma curiosité dans la façon dont vous l’avez présenté, et dans le côté proustien du rapport que vous avez avec ses textes, et c’est à la rigueur cela qui pourrait me donner envie de le lire. En tout cas merci pour l’ouverture d’horizon et ce partage généreux que l’on sent dans vos billets. Ce que j’aime dans la littérature, c’est lire bien sûr, mais surtout le bonheur d’en parler 😉

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