Réflexions littéraires
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La mort de la lecture pour le plaisir

Quand nous faisons le choix de nous inscrire dans un programme collégial ou universitaire en littérature, nous choisissons délibérément de consacrer la majorité de notre temps libre à la lecture. Il était plus qu’évident, dès mon jeune âge, que j’étais destinée à travailler et à vivre parmi les livres. J’ai donc suivi un parcours plus ou moins classique, c’est-à-dire en commençant par le programme d’arts et lettres, profil littérature au cégep pour poursuivre au baccalauréat en enseignement du français au secondaire et pour finalement me rendre à la maîtrise en études littéraires, profil recherche. On m’a déjà dit que les deux seuls endroits où nous pouvions lire sans arrêt, et ce, sans que personne ne nous le reproche, sont la prison et l’école. Ceci n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Ceci dit, entre les lectures obligatoires et les lectures théoriques, je constate que mes lectures personnelles deviennent plus ou moins inexistantes. En somme, je ressens tristement ce sentiment de ne pas lire avec liberté.

Les lectures obligatoires

Évidemment, les cours offerts sont également accompagnés de lectures obligatoires. Les corpus sélectionnés par les enseignants ne répondent pas toujours à nos goûts personnels et il arrive bien souvent qu’ils ne satisfassent pas notre soif de lecteur expérimenté. Je dois tout de même soulever que ce sont des enseignants qui m’ont fait découvrir Miron, Poe et Huston. Cela dit, il demeure que ces expériences de lecture s’accumulent et qu’elles finissent par peser lourdement sur nos épaules. Nous avons parfois l’impression de devenir des lecteurs robotiques qui exécutent une tâche routinière qui consiste à gober le plus de mots possible dans un laps de temps prescrit afin de pondre une rédaction. De surcroît, dans ces moments, nous mettons bien souvent nos lunettes d’analyste. Dès lors, nous sommes à la recherche de procédés stylistiques, de champs lexicaux et de caractéristiques propres au genre dans lequel s’inscrit l’œuvre en question. Il arrive même que nous en oubliions l’histoire ainsi que le plaisir et la réflexion que nous sommes censés retirer de celle-ci.

Les lectures théoriques

Déjà au baccalauréat, les enseignants nous demandent de nous familiariser avec les critiques littéraires afin d’appuyer nos propres analyses des théories des spécialistes. À la maîtrise, tout cela devient indispensable. La rédaction d’un mémoire implique de nombreuses lectures théoriques, qui se veulent la plupart du temps très touffues, parfois assez obscures et qui demandent plusieurs relectures. Dans mon cas par exemple, les ouvrages psychanalytiques sont très difficiles à déchiffrer et ils obligent un niveau de concentration extrêmement élevé afin d’accéder à une compréhension complète. Par conséquent, impossible ou presque pour moi de lire ces livres dans le transport en commun ou à la pause au travail. Il faut donc choisir des moments propices à ce genre de lectures, ce qui restreint davantage notre temps pour la lecture pour le plaisir. D’ailleurs, lorsque nous venons de passer un bon trois heures à décortiquer ce que tente de nous dire Lacan alors qu’il traite de la Chose, nous n’avons plus aucune envie par la suite de nous étendre à nouveau devant un livre ne serait-ce que pour se relaxer et c’est exactement à cet instant que Netflix prend le dessus.

Les lectures personnelles meurent

Avec ma naïveté d’utopiste bien endurcie, j’ai pensé longtemps que je pourrais passer mes journées à lire comme bon me semble pendant mes études. Je dois vous avouer que je me suis rapidement désillusionnée. En fait, plus j’avance dans mon parcours scolaire et plus je me rends compte que mes lectures personnelles deviennent inexistantes. Ce constat me fait particulièrement peur. D’une part, je vois ma PAL prendre de l’expansion, car non je n’arrête tout de même pas d’acheter des livres dans mes temps libres. D’autre part, je vois mon temps consacré à mes lectures personnelles rétrécir, voire devenir complètement néant. De surcroît, lorsque je décide enfin de laisser tomber un ouvrage théorique pendant quelques jours afin de m’octroyer un petit plaisir personnel avec l’un de mes romans qui commence à prendre la poussière dans la bibliothèque, je finis toujours par ressentir un sentiment de culpabilité, me reprochant constamment de procrastiner et de repousser le travail qui devrait être fait dans les plus brefs délais.

Je trouve bien dommage que les études auxquelles je rêve depuis mon enfance grugent finalement ce qui me plaît le plus dans celles-ci, à savoir le plaisir de lire. Et détrompez-vous, ce n’est pas que mes lectures théoriques me déplaisent. Il serait bien triste que mes recherches ne m’apportent aucune satisfaction. Cependant, ce n’est pas du même registre que de s’asseoir dans notre fauteuil favori pour commencer le nouveau roman que nous venons tout juste de nous procurer. Il y a cette liberté de choisir et de ne pas devoir rendre de compte après notre lecture. Il est bien différent de simplement devoir savourer les mots que de devoir bien les mastiquer pour les digérer comme il se doit, comme il est attendu qu’on le fasse. Du moins, lorsque le constat se fait sentir davantage, je me dis vivement les vacances d’été pour me replonger à nouveau dans ce qui me procure un réel soulagement, la lecture strictement réservée à mon bien-être.

Et vous, comment arrivez-vous à départager le tout entre lectures obligatoires, lectures théoriques et lectures personnelles? Avez-vous cette impression parfois de perdre votre liberté de lecteur et lectrice?

 

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Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance?» (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris) Les vers de Baudelaire auront été la source de son épanouissement en tant que bizarroïde de ce monde. La poésie, Marika la vit au quotidien à travers tous les petits plaisirs qui s’offrent à elle. Une grimace partagée avec une fillette dans le métro, la fabrication d’un cerf-volant dans un atelier strictement réservé aux enfants, un musicien de rue interprétant une chanson qui l’avait particulièrement émue par le passé, lui suffisent pour barbouiller le papier des ses pensées les plus intimes. Chaque jour est une nouvelle épopée pour la jeune padawan qu’elle est. Entre deux lectures au parc du coin, un concert au Métropolis et une soirée au Cinéma du Parc pour voir le dernier Wes Anderson, elle est une petite chose pleines d’idées et de tatouages, qui se déplace rapidement en longboard à travers les ruelles de Montréal. Malgré ses airs de gamine, elle se passionne pour la laideur humaine. Elle est à la recherche de la beauté dans tout ce qu’il y a de plus hideux. Elle se joint au Fil Rouge afin de vous plonger dans son univers qui passe des leçons de Star Wars aux crayons de Miron en faisant un détour par la voix rauque de Tom Waits et le petit dernier des Coen. Derrière son écran, elle vous prépare son prochain jet, accompagnée de son grand félin roux, d’une dizaine de romans sur les genoux et d’un trop plein de culture à répandre

3 Comments

  1. en réponse à votre toute dernière question : oui et non… comme souvent autrement, il y a beaucoup de nuances entre le oui et le non, le blanc et le noir… la plupart du temps, je ne me sens toutefois pas contraint dans mes lectures

    il est vrai que je suis rendu aujourd’hui à cet âge où j’ai le loisir de choisir comme jamais auparavant… mais il arrive toujours que je doive choisir le lire un livre par obligation, si ce n’est que pour éclaircir certaines notions… par exemple, ces jours-ci, lire hannah arendt pour m’aider à raffiner ma réflexion sur des sujets d’acualité

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  2. Je me trouve du temps ! Pendant mon BAC en études littéraires, l’été était mon meilleur ami. Je me faisais un  » horaire de lecture » et j’essayais de lire mes lectures personnelles entre mes lectures obligatoires. Souvent, ça pouvait être deux nouvelles d’un recueil, ou un petit roman… Je me gardais les plus longs livres pour l’été, et j’en avais pas mal, grande amatrice de fantasy que je suis, ha! Là je suis au 2e cycle en Édition et j’ai pas mal plus de temps pour moi, ça fait quand même du bien 😉

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