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La crise de la masculinité, ou pas : une analyse de Francis Dupuis-Déri

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Les éditions du remue-ménage sont, d’après moi, la référence pour les enjeux entourant la condition féminine au Québec. Assez récemment, dans la collection « Observatoire de l’antiféminisme » est paru un ouvrage au titre qui m’a interpellée, soit La crise de la masculinité : Autopsie d’un mythe tenace. Ce livre de type essai, signé Francis Dupuis-Déri, s’intéresse à un sujet très présent dans les discours antiféministes contemporains. Toutefois, plus on avance dans la lecture, plus on se rend compte qu’il s’agit finalement de la récupération d’un discours très ancien, et que ce discours comporte plusieurs failles…

« Crise » ou état permanent?

Le titre nous lance déjà sur la piste : la crise de la masculinité serait un mythe. Mais pourquoi en venir à cette conclusion, comment démontrer cela?

L’auteur commence son ouvrage avec une introduction qui remet en question l’utilisation même du mot « crise » pour aborder le malaise ressenti par les hommes du 21e siècle, et ce, dans plusieurs endroits du globe. Avec une introduction titrée « La crise, toujours la crise », Dupuis-Déri fait un bref résumé de l’effervescence médiatique de grands journaux et revues à travers le monde et des mobilisations revendicatrices de la part de groupes de pères, d’hommes divorcés, etc., qui militent contre le féminisme et dénoncent les inégalités des sexes, mais attention, inégalités qui défavoriseraient les hommes, au profit des femmes.

Ensuite, en posant la question à savoir s’il s’agit d’une « crise » ou plutôt d’un discours de crise, donc d’une représentation plutôt que d’une réalité, l’auteur suggère, en s’appuyant sur plusieurs auteurs et autrices critiques, que le terme de la « crise » est en fait un contresens dans ce cas particulier. Un retour sur l’histoire de la crise de la masculinité permet ainsi de découvrir que cette « crise » durerait depuis le Moyen-Âge, et même la Rome antique! Une sacrée longue « crise » qui permet de s’interroger sur sa véracité…

C’est quoi, la crise de la masculinité?

Pour les convaincus, la crise de la masculinité, c’est la situation masculine qui se dégrade de jour en jour et de façon alarmante. Comment expliquer cette dégradation? Par le féminisme et les mères monoparentales. Oui oui. En effet, le taux de suicide chez les hommes serait lié aux divorces et aux enjeux entourant la garde des enfants, le décrochage scolaire des garçons serait expliqué par le manque de figures masculines fortes et stéréotypées dans le milieu scolaire qui est qualifié d’efféminé,  les violences conjugales toucheraient autant les hommes que les femmes, mais les hommes n’auraient aucune aide à cet effet et seraient marginalisés, voire diabolisés par les féministes et les médias, et ainsi de suite.

« Pour surmonter la crise de la masculinité, cela dit, il est très souvent proposé de (re)valoriser une identité masculine conventionnelle associée à certaines qualités, mais aussi à des rôles et des fonctions dans la société, dans la famille et dans le couple. Un homme, un vrai, est évidemment hétérosexuel, autonome, actif, agressif, compétitif et possiblement violent. »

Bref, la société se serait efféminée, et cela mettrait en péril la santé mentale et l’intégrité des hommes, qui seraient en crise. C’est ce qui donne lieu à des énoncés comme celui de Denise Bombardier, alliée de la crise de la masculinité, paru dans la revue L’Actualité :

« […] Que cela plaise ou non aux féministes de choc […], la domination féminine sur l’homme d’ici se fait sentir dans toutes les sphères d’activités. »

Constat plutôt étrange, étant donné que les politiciens du monde entier demeurent des hommes en majorité écrasante, que ce sont en majorité des hommes qui possèdent la richesse mondiale, que ce sont des hommes qui sont en majorité chefs d’entreprises, que les modèles masculins forts et violents dominent dans les médias traditionnels et dans les films hollywoodiens, que même lorsque les hommes de par le monde sont « en crise » (sans emploi, etc.), ce sont les femmes autour d’eux qui s’occupent des tâches ménagères et de la charge mentale, etc.

C’est donc tout ce discours de la « crise » qui est démonté pièce par pièce, analysé et critiqué à l’aide d’auteurs et autrices universitaires, de statistiques, de faits ou de retours dans l’histoire retenue par Francis Dupuis-Déri.

À la suite de la lecture de ce livre, il n’y a plus de doute : la crise de la masculinité est un ressenti et non une réalité, de la part d’hommes qui ont peur de perdre leurs privilèges, leur pouvoir dans la société et leur contrôle sur les femmes.

« Avec une approche à ce point subjectiviste, la crise de la masculinité peut être postulée comme phénomène toujours confirmé par la perception des hommes qui se disent en crise ou qu’on perçoit en crise. »

Autopsie des arguments

À travers une brillante partie du livre, l’auteur déconstruit chacun des arguments forts de la crise de la masculinité en présentant d’abord les points soutenus par les hommes, et parfois les femmes, défendant l’existence d’une crise de la masculinité. Ensuite, dans une section nommée « Faits contradictoires », l’auteur prend soigneusement le temps d’expliquer, avec des touches de mépris délicieux, pourquoi et comment tous les arguments qui viennent d’être présentés sont erronés, manipulés, reliés à d’autres causes que celles présentées par les défendeurs de la crise, ou tout simplement faux.

La pensée critique à son meilleur!

Attendez-vous à…

… des notes en bas de page! Cependant, loin d’alourdir la lecture, ces dernières, ainsi que les références dans le texte, permettent simplement d’aller vérifier par soi-même les informations contenues dans l’essai, donnent de la crédibilité aux analyses avancées et reconnaissent l’apport d’une multitude d’hommes et de femmes à l’ouvrage de Dupuis-Déri.

Attendez-vous à avoir des éclats de rire malaisés : le discours de ces pourfendeurs de la crise de la masculinité est parfois vraiment absurde! J’avais peine à croire, et finalement j’ai eu peur que ces hommes (et femmes parfois) soient des porte-parole de groupes très actifs, des politiciens ou conseillés politiques, des journalistes, des universitaires, des psychologues connus, bref, des hommes de pouvoir au sein d’institutions de pouvoir. Ainsi, en reprenant les théories de la psychanalyse freudienne, un auteur en arrive par exemple à dire que, non pas les manœuvres politiques et les intérêts économiques, mais bien « la peur de la castration » expliquerait les génocides, les guerres et l’esclavage. Ah bon.

Attendez-vous aussi à serrer les poings à la lecture de citations, reprises dans des manifestes de néonazis antiféministes, d’entrevues avec des présidents d’associations de pères, ou autres, qui sont parfois très violentes et antiféministes, et qui incitent jusqu’au meurtre des femmes par les hommes.

Attendez-vous aussi à retrouver des extraits inédits et tellement parlants que vous aurez envie de les noter et de les utiliser auprès du prochain antiféministe que vous croiserez sur votre route.

Le lecteur n’est pas en reste

L’ouvrage n’est pas juste un outil pour enrichir l’argumentaire qui déconstruit cette « crise » de la masculinité, son ouverture est assez positive et permet aux hommes plusieurs voies d’action. L’auteur se dit lui-même proféministe et aborde différentes pistes pour une lutte quotidienne au côté des féministes.

Après quinze années à documenter la crise de la masculinité, à en discuter et à la construire en tant que mythe, Francis Dupuis-Déri publie enfin son ouvrage, qui saura en éclairer plus d’un à ce sujet.

Et vous, quel essai vous a ouvert les yeux récemment?

Un commentaire

    • Frédérique Lévesque says

      En effet ! La fin de l’ouvrage apporte des pistes de mobilisations pour les hommes au côté des femmes, justement. Il y a aussi actuellement des critiques du féminisme qui tiennent des propos alarmants, et ça vaut la peine qu’on s’y penche !

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  1. Fictionnelle says

    Bonsoir Frédérique, j’avais emprunté cet essai durant les Fêtes…et puis, finalement vu la taille démesurée de ma PAL, je l’avais honteusement remis sans l’avoir ouvert. Ta critique me rappelle que je dois absolument le lire avant la fin de l’année! La crise vécue par les hommes, c’est un discours que j’ai souvent entendu de la part de proches, qui me laissait dubitative et auquel je ne savais pas toujours comment répondre adéquatement. Je pense que la perspective historique dont il est question ici pourra m’outiller.

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    • Frédérique Lévesque says

      Je suis très heureuse de lire ça. Je vois ce livre comme une source d’informations intéressante et pertinente, mais aussi, évidemment, comme un outil ! Bonne lecture !

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