Dans la pléthore de films d’horreur inspirés de romans ou de nouvelles de Stephen King, le Shining de Stanley Kubrick règne en maître au-dessus de The Mist et de la Chambre-je-ne-me-souviens-plus-du-nombre. Bien qu’il ne soit honnêtement pas mon préféré [i], et bien moins terrifiant que le livre, difficile de passer à côté. Le jeu d’actrice passablement moyen de Shelley Duval, Jack Nicholson qui joue, comme toujours, son propre personnage (nommé pour les besoins de l’adaptation cinématographique Jack Torrance), la très célèbre citation « Here comes Johnny », les millions de prises qu’ont dû refaire les acteurs pour satisfaire les besoins de Stanley Kubrick [ii]: tout un mythe s’est créé autour de cette adaptation. Et tous ces éléments mythiques sont repris, déformés et réécrits dans Igor Grabonstine et le Shining de Mathieu Handfield, publié cet automne aux Éditions de Ta Mère.
Publicité gratuite de Matante Catherine: Si vous ne connaissez pas encore les Éditions de Ta Mère, c’est le bon moment pour les découvrir! Leur rentrée littéraire d’automne a été exceptionnelle: ils ont fait paraître deux essais de la collection Pop-en-stock [iii] (Youtube théorie d’Antonio Dominguez Leiva et le collectif Séries télé), le roman Sports et divertissements de Jean-Philippe Baril Guérard, qui s’est retrouvé dans la première sélection du prix des Libraires 2015, en plus du roman dont je vous parle aujourd’hui. Ils avaient publié l’année dernière leur première bande dessinée (Albert Théière de Mathieu Goyer), que je vous recommande chaudement. Fin de la publicité gratuite de Matante Catherine.
« Mais que raconte Igor Grabonstine et le Shining? » me demanderez-vous. «Tu ne cesses de parler de Stanley Kubrick, Catherine, et je suis confus(e)». J’y viens.
Il s’agit en fait du tournage du Shining par Stanley Kubrick, mais avec Igor Fedorovitch Grabonstine incarnant Jack Torrance plutôt que Jack Nicholson. Cet «Igor Grabonstine est l’acteur le plus talentueux de son époque, de la précédente et, sans aucun doute, de la suivante », nous dit la quatrième de couverture. C’est du moins ce que croit Igor avant de rencontrer Danny Lloyd, le jeune acteur incarnant Danny Torrance, le fils du protagoniste du roman de King et de l’adaptation de Kubrick. Celui-ci possède en effet des aptitudes de jeu surpassant sans dire ceux d’Igor Grabonstine qui, jaloux, tentera de le battre sur son propre terrain.
On assiste à un combat épique et complètement éclaté entre les acteurs, le tout dans une ambiance de travail douteuse et plus qu’absurde. Des spectres d’Amérindiens et d’un vendeur de balayeuse hantent les chambres de l’hôtel. La scripte Diane Johnson, auteure lesbienne de romans gothiques et à ses heures dégageant une persistante odeur de soufre, flotte quelques mètres au-dessus du sol et provoque des phénomènes surnaturels autour d’elle (en plus de rendre les gens particulièrement mal à l’aise). Stephen King, avec son visage de félin, s’inquiète de ce qu’est en train de devenir son œuvre, insatisfait des modifications du réalisateur qui, lui, disparaît parfois soudainement du plateau, ne laissant derrière lui qu’un petit nuage de peaux mortes, perdues en raison du stress.
Le personnage le plus hors du commun reste toutefois le grand Igor Grabonstine lui-même, dont la narration suit les pensées, souvent méprisantes, envers ses comparses de travail. Son égo démesuré a provoqué chez moi des pouffées de rire involontaires, et ce n’est rien quant aux réflexions hautaines (ainsi qu’ouvertement racistes et sexistes) qu’il entretient, notamment envers la plantureuse nounou de Danny, Deborah Cassinger, réflexions agrémentées de commentaires narratifs absolument parfaits qui accentuent l’absurdité desdites pensées.
Ce qui m’a toutefois le plus plût dans ce roman, ce sont les abondantes références au film de Kubrick. Les acteurs qui jouent des personnages qui, dans le film, ont le « shining », sont également surdoués dans le roman de Handfield. Certains passages du roman sont précédés d’intertitres insérés tout comme ceux du film, en lettres majuscules en plein milieu d’une page. L’auteur a même fait référence aux erreurs du film, par exemple l’ombre d’hélicoptère que l’on peut apercevoir dans les plans d’ouverture du film culte ou bien le fait que Shelley Duvall «surjoue» certaines scènes du film.
Il s’agit honnêtement d’un des livres les plus absurdes que j’ai lu dans les dernières années, et j’ai adoré! Mathieu Handfield, si tu lis ceci: j’attends impatiemment la suite, Igor Grabonstine à l’école du Mal. Pour vrai, là.
[i] Peut-être parce que je trouve que la majorité des films de Stanley Kubrick sont surestimés… excusez-la! (Le Shining et Full Metal Jacket exclus. Et peut-être Doctor Strangelove, je ne l’ai pas vu et ne peux donc pas encore en discuter).
[ii] Je vous assure que j’ai aimé le film!
[iii] D’ailleurs, si vous aimez l’ensemble de l’œuvre de Stephen King, je vous conseille fortement l’épisode de Pop-en-stock sur le sujet, que vous pourrez écouter ici. Leur hypothèse de l’omniprésente du «Shining» dans toute son œuvre est assez intéressante, merci! Et, écoutez donc tous les épisodes, ils sont rarement impertinents. Je les aime.

