Je me souviens encore de ce moment, parce que je me le remémore de temps en temps depuis une dizaine d’années. J’étais à la fin de mon secondaire, dans un camp de vacances avec les autres finissants, et mon groupe était assis dans un grand chalet pour passer une soirée tranquille à faire le point sur les cinq années scolaires qui allaient bientôt se terminer. À un certain moment, les enseignants avaient décidé que nous allions tous, à tour de rôle, venir nous asseoir au centre du groupe pour que les autres puissent nous faire part de ce qu’ils avaient aimé de nous et des moments passés en notre compagnie.
Lorsque mon tour était arrivé, la plupart de ceux qui s’étaient exprimés avec une certaine profondeur étaient mes ami(e)s les plus proches, alors que les autres se contentaient de quelques mots gentils ; cependant, le témoignage m’ayant le plus marqué venait d’une fille qui ne faisait pas partie de mon cercle d’amis, mais que j’aimais bien malgré tout:
« Raph, tu vis dans ton monde, mais c’est un beau monde. »
C’est tout. Rien d’autre, juste cette petite phrase qui m’avait étrangement émue sur le coup, puis qui s’était mise à me trotter dans la tête par la suite. Qu’est-ce qu’elle avait voulu dire par là? Qu’elle me trouvait bizarre? Qu’elle admirait mon tempérament artistique? Qu’elle trouvait que je détonnais parmi les autres? Que j’étais un peu à part? Que j’étais une idéaliste, une utopiste? Est-ce qu’elle se moquait de moi, ou bien son commentaire avait été sincère?
Hé bien, je dois avouer que je n’en ai toujours aucune idée, que je ne le saurai sans doute jamais… et que ça n’a aucune espèce d’importance.
Le fait est que, pour moi, ce témoignage signifie beaucoup, d’une manière que je n’aurais pas suspectée. Pour moi, il représente le fait que j’ai un univers intérieur riche, qui transparaît dans mes actions et dans mon quotidien que je cultive ce monde et en projette inconsciemment un reflet autour de moi, ce qui m’aide à être une meilleure personne et à agir en accord avec mes valeurs ; que je n’ai peut-être pas les deux pieds sur terre, mais que ça peut inspirer certaines personnes et aussi les rassurer s’ils ont, eux aussi, la tête dans les nuages ; que je deviens petit à petit ce que j’ai toujours voulu être et que ceux qui savent observer peuvent le voir.
Franchement, ça m’avait fait du bien.
Nous avons tous un monde intérieur, constitué de nos valeurs, nos sentiments, nos intérêts, nos relations, nos passions, nos zones d’ombre, nos faiblesses, nos déchirures, nos exaltations, nos douleurs, nos victoires. Certains d’entre nous portent cet amalgame comme on porte un drapeau, le remuant dans les airs pour que tous sachent ce qu’ils sont, qui ils sont. Certains (comme moi, je crois bien) laissent transparaître leur univers intérieur en filigrane, doucement, dans leurs mots, leurs gestes, leurs sourires, leurs silences. D’autres, enfin, ne veulent pas dévoiler ce qu’ils ont à l’intérieur. Pour une panoplie de raisons, bonnes ou mauvaises, ils préfèrent que personne ne puisse voir ce qu’ils sont vraiment, par désir de demeurer mystérieux…. ou par peur du rejet. Quoi qu’il en soit, chacun possède son propre monde intérieur, l’habite, l’apprivoise jour après jour, certains avec aisance, d’autres avec maladresse. L’important, je crois, c’est d’accepter cet univers qui nous est propre, de le cultiver, de lui permettre d’être, tout simplement.
« Raph, tu vis dans ton monde, mais c’est un beau monde. » Oui, je le pense aussi… et je ne l’échangerai contre aucun autre.
Et vous, quelle relation entretenez-vous avec votre monde intérieur?