Littérature étrangère
Laisser un commentaire

Le secret le mieux gardé d’Asie du Sud-Est

Il existe des passions que l’on peut s’expliquer et d’autres que non. Dans mon cas, le Myanmar fait partie de la deuxième catégorie, il a toujours exercé une étrange fascination sur moi. Pays situé entre l’Inde et la Thaïlande, j’en avais entendu parlé la première fois à cause des violentes répressions politiques qui y avaient lieu. Mais au fil de mes curiosités, il était devenu nécessaire que j’y aille. Derrière tout ce qu’on disait, je soupçonnais quelque chose de beau.

Et je ne m’étais pas trompée.

La magie de la pagode Shwedagon

La magie de la pagode Shwedagon à Yangon

Avant d’y mettre les pieds, le Myanmar (ancienne Birmanie) était pour moi l’altérité absolue, l’Orient fantasmé avec tout son lot de clichés. Mais ce serait vous mentir que de dire que j’y ai été dépaysée. La propension des gens à vouloir établir un lien avec moi a fini par constituer un point d’ancrage bien plus que solide.

Partir n’a pourtant pas été un coup de tête, j’ai longtemps jonglé avec la question. Était-ce éthique d’aller faire du tourisme dans un pays où le régime en place était tristement connu pour ses nombreuses violations des droits humains? Je respecte ceux qui choisissent le boycott, mais mon expérience là-bas n’a fait que me convaincre que j’avais pris la bonne décision. Je ne prétends pas ici que le tourisme consiste en la solution miracle qui enrayera la pauvreté et établira la démocratie, mais je crois que ce sont surtout les habitants qui ont souffert et souffrent encore de l’isolement dans lequel le pays fut plongé. Sans compter qu’il est possible de voyager là-bas tout en respectant ses principes, acheter aux artisans locaux que vous croiserez et loger dans les auberges familiales plutôt que dans les gros hôtels liés au parti en sont des exemples. Il existe même des circuits proposés par certains guides de voyage qui visent à mettre le moins d’argent possible dans les poches du gouvernement.

Aung San Suu Kyi, récipiendaire du prix Nobel de la paix et politicienne se battant pour la démocratie, est d’ailleurs revenue sur ses propos qui appelaient les étrangers à boycotter le Myanmar. Elle a récemment affirmé que le tourisme pouvait être une façon de faire évoluer les mentalités. Des élections sont prévues cette année et elle se présente à nouveau. Tous les espoirs sont permis.

Bagan, des centaines et des centaines de temples

Bagan, des centaines et des centaines de temples

Orwell au pays des millions de pagodes

On connaît certainement le George Orwell de 1984 ou d’Animal farm, mais qu’en est-il de celui de Burmese days ? Avant de devenir le célèbre auteur qui a marqué le XXe siècle, il fut policier colonial dans le nord du Myanmar. Son expérience là-bas aurait inspiré sa plume contestataire. Dans ce premier livre d’Orwell, on y reconnaît déjà aisément son style. Et on grince des dents (plusieurs fois) devant cette description d’un empire colonial britannique aussi odieux que raciste.

Le personnage central du roman, Flory, est un marchand britannique qui vit au Myanmar depuis plusieurs années. Il pourrait facilement être qualifié d’anti-héros, son alcoolisme et son ennui mortel le gangrenant au plus haut point. Pourtant, j’ai ressenti un vif attachement envers lui durant ma lecture. C’est qu’au milieu de ses compatriotes anglais avec qui il se réunit au club, il est bien le seul chez qui on dénote un amour de la culture birmane. Il n’y a d’ailleurs que lui qui entretienne de véritables liens avec les habitants, les autres membres du club tenant fermement à ce qu’aucun natif de l’Asie ne soit admis dans leur cercle. Vous devinerez qu’être épris du Myanmar causera beaucoup de torts à cet homme seul au milieu des défenseurs de l’idéologie coloniale. La solitude n’est d’ailleurs pas une mince affaire chez cet homme, on l’accompagne dans sa débâcle continuelle. Roman de l’échec, il est toutefois parsemé d’une ironie qui permet d’équilibrer la lecture et de ne pas tomber dans un pessimisme total.

Il n’y a aucun doute que Burmese days a su bonifier mon expérience de voyage. En lisant ces lignes, je me sentais un peu plus près de l’histoire de ce pays si méconnu. À travers la vision d’Orwell, je me suis indignée à mon tour et j’ai compris à quel point j’aimais le Myanmar. Plusieurs des habitants lui semblent d’ailleurs reconnaissants d’avoir raconté à sa façon leur histoire. Il y a d’ailleurs une blague qui circule là-bas ; on dit que le célèbre auteur n’aurait pas écrit un roman sur le pays, mais bien trois: Burmese daysAnimal farm et 1984. Les deux autres livres pouvant tout aussi bien s’appliquer au passé et au présent du pays. On ne sait pas trop si l’on doit rire ou pleurer.

Mon histoire birmane

Il n’est pas tâche facile de rendre compte de la mosaïque que représente ce pays. Il faut aussi dire que je n’ai pas tout saisi. Sans parler des régions fermées aux touristes et des nombreuses cultures avec lesquelles je n’ai pas été en contact. Le pays semble dans une constante évolution, j’y retournerai probablement dans dix ans pour y découvrir tout autre chose.

Mais quand j’y repense et que j’essaie de recoller les morceaux, je me rappelle les jeunes filles moines arpentant les rues chaque matin en demandant l’aumône. Crânes rasés, habits roses et oranges, regards curieux en notre direction. Je me rappelle l’énorme serpent adopté par les habitants d’un monastère, il était devenu leur mascotte. Je me rappelle l’employé de l’aéroport si attentionné qu’il a tenu à laver le couvercle du bol de toilette avant que mon copain puisse entrer dans le cabinet. Je me rappelle les furieuses inondations qui ont pris d’assaut le pays et les gens qui se construisaient des radeaux avec des canettes de plastique. Je me rappelle les currys à 1$ et les milles tasses de thé vert. Je me rappelle le vélo dépourvu de freins à Bagan, le plus beau lieu que j’aie jamais vu. Je me rappelle le plus long Bouddha couché au monde, encore en construction. Juste en face, les travaux d’un Bouddha destiné à être encore plus long. Je me rappelle les toilettes « squats » qui semblent te chuchoter gentiment que non, tu n’es pas à la maison. Je me rappelle l’histoire de M. Anthony à propos des moines qui volent dans la capitale. Je me rappelle les gens qui se bousculaient pour nous saluer et qui s’empressaient d’engager la conversation. Je me rappelle les enfants qui pleuraient en nous apercevant. Je me rappelle les enfants qui riaient en nous apercevant. Je me rappelle les pagodes qui brillaient et les bouddhistes prosternés. Je me rappelle les villes où l’on ne croisait que deux ou trois touristes.

Le Myanmar serait donc le secret le mieux gardé d’Asie du Sud-Est.

Mais pas pour longtemps.

Allez-y.

Et qui sait, vous y trouverez peut-être George Orwell vous aussi.

Sagaing, pas très loin de Mandalay

Le temple de Sagaing, pas très loin de Mandalay

Histoire de cultiver l’intérêt :

  • Le film The lady de Luc Besson, qui raconte la vie d’Aung San Suu Kyi et qui nous plonge au coeur de l’histoire politique du pays par le fait même.
  • Le documentaire They call it Myanmar, qui constitue un portrait exhaustif du pays.
  • La bande dessinée Chroniques birmanes de Guy Delisle. Amusante, complète, tout simplement réussie. Une parfaite entrée en matière.

George Orwell, Burmese days, Londres, Penguin books, «Modern classics», 2001[1934], 320 p.

Laisser un commentaire