Novembre : la pluie, la grisaille, les arbres nus qui ont perdu toutes leurs couleurs, l’obscurité de plus en plus envahissante. Voilà l’ambiance de ce mois mal-aimé, dans laquelle nous plonge parfaitement le livre Les groseilles de novembre d’Andrus Kivirähk.
« Peu avant midi, le soleil se montra un instant. Cela faisait plusieurs semaines que l’on n’avait plus vu un tel prodige : depuis le début d’octobre, le temps était resté gris et pluvieux. L’astre du jour épia une dizaine de minutes entre les nuages, puis le vent se leva, reboucha le mince interstice qui s’était ouvert brièvement, et le soleil disparut. De la neige fondue se mit à tomber. » (p.9)
Cet incipit n’est qu’un exemple de ces passages décrivant le climat morose de novembre. Le livre contient 30 chapitres comme les 30 jours du mois. Ainsi chaque chapitre décrit une journée de novembre du matin au soir, en commençant par une description de la météo. Mais malgré la neige fondante, le vent humide et la « bouillie liquide » (slush) qui nous ramènent facilement à notre quotidien gris, ce roman éclaté nous fait voyager dans un univers complètement décalé.
Estonie d’un autre monde
Le roman se déroule dans un village estonien dans lequel les paysans tentent d’alléger leur quotidien et d’échapper à leurs conditions en pactisant avec le diable. En échange de leur âme, ils obtiennent un kratt, serviteur formé par un amas de vieux objets à qui le diable donne vie pour qu’il puisse voler ou travailler pour leur maître. Pour concrétiser le pacte, les paysans doivent donner de leur sang. Mais ils ont une astuce. Plutôt que leur sang, ils utilisent des groseilles pour flouer le diable et obtenir un kratt sans vendre leur âme. C’est à partir de cette tromperie que se dessinent certaines intrigues.
Ce roman foisonne en personnages, en intrigues, en créatures surprenantes. Il nous transporte dans un univers merveilleux et magique qui étonne constamment.
« Dehors, un démon fit le tour de la niche et essaya d’y entrer pour se mettre au chaud, mais le chien l’en empêcha : il se mit à gronder furieusement en montrant les dents. Le démon soupira et retourna dans la forêt d’où il était venu. »p.35
Lire Les Groseilles de novembre est un drôle de voyage. Les genres s’entremêlent et le livre allie poésie, humour et grotesque. Par exemple, le passage sur un kratt bonhomme de neige, éphémère dans un mois de novembre qui hésite encore entre la pluie et la neige, qui initie son maître à l’amour courtois fait partie des plus poétiques. Mais on retrouve aussi des scènes scatologiques, comme celle où un gâteau est fourré de caca pour conquérir le cœur d’une femme. On s’initie aussi un peu à l’histoire et à la culture de l’Estonie. Le récit pourrait se situer au Moyen âge, période pendant laquelle, à la suite de campagnes d’évangélisation tardives, le régime féodal est instauré, une élite allemande domine et les paysans estoniens sont réduits au servage. L’amour fait aussi partie des thématiques du livre. Un triangle amoureux ajoute une dimension dramatique à l’œuvre. Liina, une jeune paysanne, est amoureuse de Hans, qui lui n’a d’yeux que pour la jeune baronne de la seigneurie, qui évidemment ne le connait pas et ne l’a jamais remarquée.
Du film au livre
C’est grâce au festival Fantasia que j’ai découvert Les Groseilles de novembre. En 2017, j’ai eu un coup de cœur pour November, un film estonien en noir et blanc, à la photographie magnifique. Ce film poétique et déroutant m’a donné envie de lire le roman qui m’a tout autant charmé.
La lecture de ce livre fascinant m’a donné envie de voyager en Estonie, d’en découvrir davantage sur son histoire, sa mythologie et sa culture. J’ai aimé être complètement dépaysée dans cet univers singulier, chercher les démons au détour d’un mur et empiler les objets inutilisés dans l’espoir qu’ils s’animent.
Quel est le dernier roman qui vous a transporté dans un univers complètement décalé?
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