Y a-t-il un sujet plus actuel que celui de la vitesse? De la performance et de notre travail toujours plus acharné? Dans le livre La vie n’est pas une course, Léa Stréliski, humoriste et mère de famille, souhaite remettre en question les valeurs d’ultraperformance et de vitesse de la société. Comme elle le dit mot à mot, elle « aimerait savoir pourquoi tout le monde court ».
C’est décidément un sujet qui m’intéresse, et c’est la raison pour laquelle je souhaitais lire ce livre à tout prix. Je suis une fille qui court (au propre comme au figuré, je dois le préciser). Je m’améliore, mais je cours quand même pas mal, dans ma vie.
Malheureusement, je n’ai pas du tout été satisfaite de ma lecture. En fait, je vais vous le dire, j’ai été vraiment déçue. Car, si Léa Stréliski aborde certains enjeux cruciaux de notre société d’aujourd’hui, elle tombe malheureusement dans les idées reçues et les discours figés, en plus de ne pas vraiment offrir d’idées nouvelles sur la question – ce qui est dommage, quand même! Par exemple, je pense pour ma part que j’ai quand même de bonnes raisons de courir. Je ne dis pas que c’est sain, mais que c’est justifié par des envies, des objectifs, des contraintes, etc. En ce sens, je pense que la question à poser ne serait pas « pourquoi court-on? », mais plutôt « qu’est-ce qui nous fait courir? » ou « comment la société est-elle faite pour qu’on coure autant? ». Voilà! Je trouve que Léa Stréliski ne pose pas la bonne question et qu’elle ne donne pas les bonnes réponses.
Ce livre s’adresse à… ?
D’abord, je n’ai pas trop su à qui s’adressait ce livre. À des mamans comme elle? Elles la trouveront clichée et infantilisante. À des étudiant.es sans enfants? Aux autres humoristes en formation? Ils seront probablement les « petits » qu’elle pointe du doigt en disant qu’ils n’ont pas la vie aussi dure qu’elle. À monsieur-madame-tout-le-monde? La plupart des choses racontées dans ce livre sont des choses que nous savons déjà, voire qui sont de l’ordre de l’évidence.
Ensuite, Léa Stréliski est visiblement très éparpillée. En voulant parler de la vitesse de notre société, elle parle aussi de la société de consommation, de la publicité, des antidépresseurs, du syndrôme de l’imposteur, de l’inadéquation, de l’accouchement et de l’acceptation de la douleur, de l’apprentissage de la solitude, du stress, du trac de la scène, de la pression de performance, de l’alcoolisme, de la drogue, de la dépendance au virtuel, de la compétition, de la tyrannie de l’apparence, de l’anxiété, de la conciliation famille/carrière, etc. Elle saute d’un sujet à l’autre, mais ne prend jamais vraiment la peine d’en approfondir un. Et ce qui m’a agacée, c’est que ce sont des sujets complexes qui demanderaient des explications ou des mises en contexte, mais ils sont à peine esquissés et souvent associés à des idées reçues ou bien à des généralités qui manquent sérieusement de nuances. Et si on essayait plus de comprendre ce qui se cache derrière « toutes ces filles qui se construisent une identité inventée pour qu’on les aime » plutôt que d’en reconduire le stéréotype?
Aussi, Léa Stréliski, j’en suis sûre, n’a pas passé les dix dernières années coincée sur une île déserte, alors pourquoi aborde-t-elle les choses comme si personne n’en avait jamais parlé? Elle aborde le dilemme carrière-famille comme si elle était la première à le vivre et hurle qu’il n’y a pas de modèles de femmes de carrière qui sont aussi mères. Pourquoi ai-je l’impression qu’il y en a quand même quelques-unes? Que, tranquillement, nous les reconnaissons et les valorisons? Je ne dis pas que les classes de l’École nationale de l’humour regorgent de mères en formation, mais je suis pourtant entourée, au doctorat, d’étudiantes et d’étudiants qui ont aussi de jeunes enfants. Et est-ce que je me trompe en pensant que nous avons avancé dans le dilemme carrière-famille, que nous n’en sommes plus à devoir absolument choisir entre deux choses définitivement irréconciliables, mais que nous sommes plutôt en train de nous questionner sur les modalités de la conciliation?
Je dois dire que j’ai aussi été agacée par les titres des chapitres, qui se veulent humoristiques mais qui sont parfois de mauvais goût. Et quoi dire des dessins de style vintage insérés à chaque chapitre? Insupportables? Je me questionne encore sur leur pertinence. Pourquoi les mettre, si ça ne sert absolument pas le propos? Et le ton? Est-ce que c’est un essai humoristique, un monologue, une thérapie personnelle?
À la défense de l’autrice et des lecteurs et lectrices qui ont adoré le livre et qui en ont fait des éloges sur les blogues et dans les journaux (il y en a plein, je suis allée vérifier), je dois dire que j’ai lu, récemment, certains ouvrages sur le sujet, comme L’éloge de la lenteur de Carl Honoré (que je vous recommande chaudement, d’ailleurs!), qui sont à la fois pertinents, informatifs, nuancés, remplis d’anecdotes intéressantes, générateurs de remise en question… et que peut-être que j’avais des belles grosses attentes. Que j’espérais tenir dans mes mains un livre qui m’apprendrait quelque chose. Peut-être aussi que je suis exigeante. Mais il n’en demeure pas moins que j’ai l’impression que l’autrice est un peu passée à côté de son affaire.
Et la vitesse, elle? Va-t-on finalement en parler?
Merci aux éditions Québec Amérique pour le service de presse.