J’ai découvert le slameur David Goudreault du temps où je vivais à Sherbrooke et je découvre aujourd’hui le romancier David Goudreault, avec son premier roman coup de poing La bête à sa mère.
Déjà dans le temps, les images fortes et sans censure qu’évoquaient David durant les soirées de littérature me restaient accrochées dans l’esprit des jours durant. J’ai encore en tête quelques scènes de ses slams d’ailleurs.
La bête à sa mère, dont l’histoire se situe en plein centre-ville de Sherbrooke, risque de me suivre longtemps. C’est que je suis très visuelle !
Titre évocateur et accrocheur: La bête à sa mère. Poignant résumé en quatrième de couverture : «Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatries et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics.»
J’ai attendu avec impatience de tenir le petit livre gris entre mes mains et je manque de mots (une fois de plus) pour dire ce que j’ai vécu à travers ces lignes. Je suis une émotionnelle, moi. Je ressens plus les choses que je ne suis capable de les expliquer. Mais voici tout de même ce que j’ai pensé de ce roman qui donne voix à un personnage de l’ombre avec sa propre vision de ce qu’est la vie et qui ne suit pas les rangs, que ce soit par choix, par obligation ou par sa différence.
C’est beau de voir ça!
Le personnage central, bien ancré dans le récit (narration au «je») a plus de difficulté à s’ancrer dans sa vie. C’est un exclu de la société, qui dès l’enfance se voit imposer ce titre de nuisible.
Il est rare qu’on prenne le temps de se mettre à la place de ces gens, trop occupés à garder «la tête dans le sable». On préfère ne pas se questionner et suivre les autres en maudissant tous en chœur ceux qui ne suivent pas les lois.
Un jeune homme seul, sans père, avec une mère instable et suicidaire se retrouve «barouetté» d’une famille d’accueil à une autre. Il ne faut pas oublier durant tout le récit que le personnage principal, bien qu’il soit «passionné» de littérature, souffre d’un trouble de l’apprentissage, la dysphasie. Les informations s’enregistrent alors dans son cerveau pour une compréhension légèrement décalée par rapport au reste du monde. Bien que la plupart de ses gestes, de ses actions et de ses pensées entrent en contradiction avec la norme, il arrive qu’il se lance dans une réflexion qui te brasse et tu te demandes bien qui a le plus raison entre les deux, lui ou moi?
«L’incohérence crasse du petit monde m’exaspère. Oh non, il a tué un chat! So what, calvaire ! On se bourre la face d’animaux morts à longueur d’année. Des centaines. Des milliers. Des dizaines de milliers dans une vie. Évidemment qu’il y en a un paquet qui sont torturés en cours de route, élevés dans des conditions dégueulasses, séparés de leurs mères et gavés de force avant d’être assassinés pour nourrir des limaces humaines. Et je devrais culpabiliser d’avoir tué mon propre chat, que j’ai élevé et tant aimé ? »
Dans ce cas-ci, je ne suis ni pour les animaux morts pour être mangés, ni pour le chat tué, mais ça porte tout de même à réfléchir.
C’est sous la forme d’un plaidoyer qu’il veut nous faire voir sa manière de penser les événements qui l’ont amené à commettre un acte grave. «Mais on ne peut arriver à sa conclusion avant de connaître l’histoire. Voici ma version. Je me livre à cœur ouvert. Ça ne changera rien, peut-être. Peut-être tout, aussi. Si ça n’excuse pas mon geste, ça peut l’expliquer. […] C’est ma vérité et c’est la seule qui compte… Je vous laisse en juger. Je vous jugerai aussi, en temps et lieu.»
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Quelle métaphore puissante et criante entre le jeune homme et les chats !
Le chat de ruelle, qui se bat pour sa survie.
Un chat de ruelle, c’est bien pratique, ça mange la vermine. Mais c’est plein de bibittes. Ça pu même si ça se lave, ça se multiplie, ça s’entretue et ça se magane. Ce n’est pas toujours beau à voir. Ça essaie de rester fier pareil, mais ce n’est pas toujours facile. Chaque jour c’est à recommencer. Mais le petit, s’il est trop vite arraché du sein de sa mère sans être sevré, il va devenir agressif. Le chat de ruelle est un animal familial. Il a besoin de caresses, de tendresse et d’amour pour être heureux.
À travers le récit, on voit se dessiner une relation ambiguë entre le personnage central (sans identité) et les chats qui croisent sa route. Mais, ironie du sort (pour nous, puisque pour lui ça semble être d’une logique…), il en vient à travailler pour la SPCA, dans le seul but de ramasser suffisamment d’argent pour acheter de belles fleurs à sa mère qu’il revoit pour la première fois depuis qu’ils ont été séparés il y a plusieurs années de cela, par les services sociaux.
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Un récit où il nous est impossible de fermer le livre en cours de lecture, sauf peut-être pour reprendre son souffle après une scène racontée à vif (c’est très cru et dérangeant).
Un roman qui fait réfléchir sur la vie de ces jeunes abandonnés par leurs parents, à leur propre sort et sur ceux qui ne voient pas la vie de la même manière que les autres.
Un livre qui grafigne la peau.
Une plume talentueuse et accrocheuse.
Un tour de force pour un premier roman. À LIRE !
*Attention âmes sensibles.
Comme dirait ma propre mère «on ne sait pas ce que les autres ont vécu en se levant le matin avant d’aller à l’école ou au travail, alors si on pouvait arrêter de les juger un peu ! »
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«Premier Québécois à remporter la Coupe du Monde de poésie, à Paris en 2011, David Goudreault prend la parole et rend l’écoute. Travailleur social de formation, il utilise toutes les poésies en tant qu’outils d’expression et d’émancipation dans les écoles et les centres de détention de la province de Québec, au Nunavik et en France. Il organise et anime les cabarets Lis Ta Rature pour l’Association des Auteurs de l’Estrie et les compétitions Française Vive la parole libre, qu’il parraine aux côtés de Grand Corps Malade, pour l’Association France-Québec depuis 2012. David Goudreault fût récipiendaire de la médaille de l’assemblée nationale du Québec à l’automne 2011 pour ses réalisations artistiques et son implication sociale. Il fût invité d’honneur du Printemps des poètes de Normandie de 2012 à 2014 et reçu le titre de Patriote de l’année du CSQE en 2013. Il a co-produit, avec Frank Poule, ses albums Moins que liens (2009) et ÀpprofonDire (2011). On y retrouve des collaborations avec Gaële, Mathieu Lippé, Boogat et France Book (Misteur Valaire) pour ne nommer que ceux-là. En 2014, il lance son album La Faute Au Silence, réalisé par Jipé Dalpé, un succès critique et commercial, où l’on retrouve des collaborations avec Grand Corps Malade et Kim Thuy. Il publie un premier récit poétique intitulé Premiers soins aux Écrits des Forges à l’automne 2012 et un recueil de Poésie, S’édenter la chienne, à l’automne 2014. Ce dernier fut recommandé par Pierre Foglia dans le journal La Presse. Il est aussi publié en France aux éditions Universlam dans un recueil intitulé Mines à Vacarmes (2012) colligeant une quinzaine de ses textes. Au printemps 2015, il publie, aux Éditions Stanké, son premier roman fort attendu, La bête à sa mère.»
Source : http://www.davidgoudreault.org
*D’autres suggestions de lecture, si vous appréciez: Ma belle blessure de Martin Clavet et Sam de Sophie Bienvenu.
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