Ça faisait longtemps que j’avais braillé en lisant un livre. C’est l’effet qu’ont eu sur moi les courts récits charnels, avec leurs cris de plaisir et de désespoir qui résonnent, de Faire l’amour d’Anne-Marie Olivier. J’ai dévoré chaque mot avidement, avec empressement, comme on consume un corps qu’on a trop désiré. Une pièce de théâtre, à la poésie juste, vraie et crue, publiée par Atelier 10 en 2014, qui m’a touchée drette là où il faut, au bon moment dans ma vie, lorsque j’étais fin prête à lire ces quelques vérités sur le désir et tout ce qu’il implique. Rien de moins.
Anne-Marie Olivier est une comédienne, auteure et metteure en scène québécoise à qui l’on doit notamment Gros et détail et, plus récemment, Scalpée. Sa dernière création, Faire l’amour, est une pièce de théâtre dite documentaire puisque basée sur des faits véridiques. Des histoires de sexe, de fesses, de cul (si vous préférez), de deux (ou trois) êtres se donnant l’un à l’autre pour la première fois, pour la énième fois, qui sont réellement survenues. C’est pas rien. L’idée tourne autour de témoignages de gens par le biais d’un questionnaire, assez cochon merci, qui interroge les moments les plus langoureux d’une existence ou ceux de sexe raté qu’on souhaiterait mettre aux oubliettes.
Parfois c’est merveilleux, on en voudrait pour toute la nuit, parfois c’est dégueu, on anticipe seulement la fin avec impatience, parfois c’est la passion, le désir d’une nuit, l’amour d’une vie. Mais « peu importe que ce soit la faute à la reproduction de l’espèce, que ça dure 72 heures ou 15 ans, ça reste un foutu miracle électrisant, deux êtres qui se désirent ». Bam.
C’est beau, ça donne envie de faire l’amour, du début à la fin, on est émoustillé entre les monologues et les dialogues qui ponctuent la structure épisodique d’histoires tout autant alléchantes que dévastatrices. Une femme en Argentine perdue entre deux Colombiens, un garçon enthousiaste à voir des seins pour la première fois et une grande-mère, Marguerite, en lingerie fine qui étale à sa petit-fille, Anna, comment faire un striptease. Une pièce qui parle d’enrailler le désir d’un amour impossible, d’un triangle amoureux meurtrier et d’êtres qui s’unissent encore et encore pour oublier les lendemains. Une pièce qui choque par ses mots crus, sans détour, qui fait du bien parce qu’on lit des vraies histoires qui ressemblent aux nôtres, parce que faire l’amour, ce n’est pas comme dans les pornos.
On y réfléchit à notre perception de se donner complètement (ou à moitié) à quelqu’un. Comme cet homme, un peu cynique, discutant avec une femme, après leur ébat : « on va faire l’amour encore, beaucoup, pis après moins, pis après, on le fera plus. On va se perdre de vue, même si on a été les personnes les plus importantes l’une pour l’autre ». Un passage que j’ai lu comme un poignard pour mon cœur sensible qui veut croire à la passion impérissable, qui espère que malgré l’âge on peut encore désirer, désirer beaucoup et toujours.
Belle poésie qui bouleverse par ses coups de vérité. J’ai pleuré en parcourant le témoignage d’une femme qui a perdu l’amour de sa vie, pris en otage par le cancer, celui avec qui elle s’est abandonnée au grand complet « dans le champ de fraises à l’île d’Orléans, sur la plage au Portugal, dans le cabanon des beaux-parents », partout, tout le temps. De l’amour avec un grand A et le souvenir douloureux de la dernière fois, de cet adieu déchirant de deux corps qui se sont aimés à l’infini. On lit et ça nous déchire le cœur aussi. Elle dit : « faire l’amour comme tel, c’est fini. Baiser, j’ai rien contre. Baiser sans problème, n’importe quand ou presque. Mais faire l’amour, tout donner… c’est juste impossible ». Parce que s’unir au point de n’être qu’une seule et même chair, qu’une seule et même flamme brûlante, d’être tout pour l’un et pour l’autre, ça n’arrive bien souvent qu’une seule fois dans une vie.
On a fait l’amour, de temps en temps on a baisé et parfois c’était magique, mais toujours, sans exception, c’était le plus grand pied de nez à la mort : « qu’est-ce qu’on était en vie! ». Faire l’amour aborde ces moments-là avec finesse, ces points lumineux où on se sentait vivants, parcourus par les frissons de l’existence.
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