Sophie Labelle et son travail ont été l’objet d’attaques incessantes de la part de groupes néonazis. Comme nombre de fans de sa BD Facebook pro-trans assignée garçon, je souhaite souligner l’importance de la prise de parole de cette auteure montréalaise. Cette chronique s’intéressera à la toute dernière publication « papier » de la bédéiste, Comment sortir avec quelqu’un quand on est trans et queer.
Une histoire intriguante dans un format appétissant
Ce qui saute aux yeux, c’est la qualité de l’objet-livre : en couleur à l’extérieur comme à l’intérieur, avec des dessins comportant tous une composition simple, mais truffée de détails judicieux. Pour une publication « maison », la finition n’est pas balayée du revers de la main. Analyser les vêtements des personnages est d’ailleurs en soi un plaisir de lecture. Dans les premières pages, on nous présente les personnages avec de courtes descriptions amusantes, d’une façon qui m’a donné un baume sur le cœur en me rappelant les BDs d’Astérix et Obélix que je lisais, enfant. Pour cette publication, l’histoire ne tourne pas autour de Stéphie, jeune fille trans mise en vedette dans la version Internet d’ « assignée garçon », mais plutôt autour de Ciel. Elle est une personne non-conforme dans le genre (qui utilise les pronoms féminins ou neutres) et son aventure débute quand elle avoue son amour pour son ami Eirikur. L’histoire se déroule à Montréal, et les héros reflètent toute la richesse culturelle de l’île : Ciel est d’origine brésilienne, Eirikur vient d’Islande, Frank, le copain de Stéphie, est arabe. Qu’on ne se contente pas que de personnages blancs pour une bande dessinée s’intéressant surtout aux questions trans donne une teinte vraisemblable à l’univers.
Les zines d’assignée garçon permettent de mieux présenter une histoire suivie ; sur Facebook, avec les publications de planches chaque quelques jours, l’anecdote prend le pas sur le récit. On peut toutefois remarquer une influence du format Internet sur la bande dessinée, chaque page contient son propre « punch » ou un tableau qui pourrait relativement se suffire à lui-même.
Simple et compliqué : le sujet d’un amour d’adolescence
Ciel ressent plus que de l’amitié envers son ami Eirikur. Tous les signes sont là : les gribouillages dans l’agenda, la photo d’elleux deux installée au mur, le nouveau gilet du chien familial Borki à l’effigie d’Eirikur. Le moment serait venu de faire une déclaration, pour connaître si les sentiments sont réciproques. Le problème? D’habitude le garçon demande à la fille de sortir avec lui. Ciel est une personne non-binaire dans le genre et son objet d’affection est un garçon bisexuel. Qui fait le premier pas?
Ce petit dilemme est, selon moi, le cœur de la bande dessinée et une expérience pertinente pour beaucoup de personnes trans, surtout celles qui transitionnent pour affirmer une identité féminine. Dans les petites interactions du quotidien, il y a toujours un équilibre à respecter : il faut à la fois affirmer son genre, tout en évitant d’être limitée par le machisme. Ciel a le désir innocent de suivre une habitude sociale, parce que selon son point de vue ça lui permettrait de mettre de l’avant sa féminité. Néanmoins, son désir ardent de voir la situation se résoudre et d’être fidèle à ses sentiments lui enlève le goût de tenir un rôle trop passif dans la situation, même si c’est un rôle féminin. Le mieux serait d’agir de façon féministe, mais est-ce que Ciel se sentirait bien dans la situation pour autant? Tout un casse-tête!
Après nombre de faux pas (qui impliquent beaucoup d’araignées), on apprendra que le désir d’affirmer sa féminité et la volonté de jouer un rôle actif dans sa vie n’ont pas à être mutuellement exclusifs. Il faut respecter qui on est, mais ne pas avoir peur de prendre des risques et de sortir de ses habitudes quand le jeu en vaut la chandelle.
Un message fort qu’on cherche à enterrer
Quelques jours avant la cyberattaque ayant mené à la publication de l’adresse et des informations personnelles de Sophie Labelle, l’auteure de Comment sortir avec quelqu’un quand on est trans et queer faisait son lancement montréalais à la librairie l’Euguélionne. Elle nous a parlé longuement des commentaires haineux sous la publication des planches hebdomadaires.
La bande dessinée n’est ni destinée à choquer les réactionnaires ni destinée à éduquer un public non trans. Comme la bédéiste l’expliquait, le but est plutôt de répondre à un besoin des lecteurs et lectrices LGBT, et particulièrement trans : celui de lire des histoires qui résonnent avec leur vécu.
Néanmoins, avec ce but simple, Sophie Labelle accomplit beaucoup. Les œuvres sont beaucoup plus lues et partagées en anglais, mais sont néanmoins toujours partagées simultanément dans une version française, ce qui permet de proposer des termes intéressants pour des réalités qui sont surtout discutées en anglais. Notamment, « morinomer » (nommer une personne trans par son mauvais nom) et « mégenrer » (accorder fautivement le genre d’une personne) sont désormais assez populaires à Montréal dans les communautés trans francophones.
Même si elle est constamment sous attaque, Sophie Labelle a construit un petit bout d’univers indestructible, où beaucoup de gens ont trouvé leur place. Et vous, qu’avez-vous tiré du travail de cette auteure?
Le travail de Sophie Labelle est disponible à la librairie l’Euguélionne, ainsi qu’à la librairie La Flèche rouge.
Visitez aussi la boutique en ligne de l’auteure.
toujours un plaisir de flâner sur vos pages. au plaisir de revenir. N »hésitez pas à visiter mon blog.
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