Bibliothérapie
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Littérature et incarcération: les clubs de lecture pour se reconstruire

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J’ai participé à deux reprises à des clubs de lecture; une fois avec Le fil rouge et l’autre avec un groupe d’amies féministes. À chaque mois, ces rencontres arrivaient juste à temps, elles étaient pour moi un répit nécessaire qui passait par la littérature.

À propos de ces clubs, je dois dire que j’aime autant l’idée en soi de se réunir autour de lectures communes que le pouvoir émancipateur qui se dégage de pouvoir échanger sur celles-ci. Un peu comme si ces moments donnaient un second souffle aux œuvres, elles prenaient vie parmi nous et bénéficiaient d’un prolongement possible par la parole.

Mais j’éprouvais également, lors de ces soirées, un plaisir indéniable à formuler des opinions à brûle-pourpoint, quitte à me mettre à rire en réalisant l’incohérence de mes propos. Au travers de ces discussions sur la littérature, je me surprenais surtout de l’aisance avec laquelle nous partagions nos vies. J’y ai souvent ressenti un fort sentiment de solidarité et de bien-être : un safe space en tout point.

C’est à l’émission de radio Médium large que j’ai entendu pour la première fois l’existence de clubs de lecture en prison. La journaliste Noémi Mercier y racontait son expérience en tant qu’observatrice de rencontres littéraires qui ont eu lieu au pénitencier de Joliette. Intriguée par ce nouveau phénomène, je me suis plongée dans le livre The Prison Book Club qui relate l’expérience de l’auteure Ann Walmsley dans le tout premier club de ce genre au Canada, au pénitencier de Collins Bay en Ontario.

Briser les préjugés par la prise de parole

Issue d’un milieu aisé, Walmsley raconte d’abord le cheminement personnel qu’elle a dû faire pour accepter de se rendre à l’intérieur des murs de la prison. N’ayant aucune connaissance du milieu carcéral, sa réticence initiale est accentuée par le fait qu’elle ait été récemment victime d’un acte criminel. Bien que le livre aborde principalement l’influence de l’expérience littéraire auprès des incarcérés, il traite en parallèle de la guérison du trauma de l’auteure.

Toutefois, au fil des rencontres, l’appréhension d’Ann Walmsley envers les hommes du club se dissipe pour laisser place à un partage de réflexions et la création de véritables liens. Graduellement, elle cesse de les associer à ses agresseurs. Sa méfiance s’estompe complètement lorsque les détenus de Collins Bay lui avouent être honorés et surpris qu’elle veuille leur consacrer son précieux temps. En regard de cette nouvelle tournure des événements, l’auteure décide d’aborder ces rencontres au pénitencier en ayant en tête une phrase que son père lui a transmise : « If you expect the best of people, they will rise to the occasion ».

Repenser l’expérience de l’incarcération à travers la littérature

Je ne suis dans doute pas la seule, mais je me suis toujours dit que si j’aboutissais un jour en prison, je passerais le plus clair de mon temps à lire. Dans cet optique, The Prison Book Club énumère les bienfaits de la lecture derrière les barreaux. En plus de donner une certaine confiance aux détenus, notamment à travers l’accomplissement de terminer la lecture d’un livre, la littérature s’avère un pont entre la prison et l’extérieur. Ainsi, ces hommes ont de nouveaux buts qui dépassent l’enceinte de Collins Bay, ils sont rattachés à quelque chose de plus grand. Le club de lecture rompt d’ailleurs avec les structures quotidiennes en sollicitant leur opinion, ceux à qui on ne demande jamais de s’exprimer sur les phénomènes sociaux et d’actualité. Encouragés par cette routine littéraire, certains hommes ont d’ailleurs décidé de pousser l’exercice plus loin en se donnant le défi personnel de dévorer les classiques tels qu’Hemingway, Hugo et même Foucault.

Des tabous littéraires ?

Lorsque j’ai entendu parler des clubs de lecture en prison, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit concernait le choix des lectures. Y avait-il de la censure ? Les livres étaient-ils orientés vers un but spécifique, voire moralisateur? Heureusement, les œuvres au programme à Collins Bay semblent indiquer le contraire: on y traite de criminalité, de discrimination et de violences en tout genre. Walmsley affirme que les hommes du club souhaitent s’exprimer et discuter de ces sujets. Ainsi, pas de tabous dans les lectures proposées, les membres du club sont amenés à réfléchir à ces thèmes par le biais d’univers littéraires.

Par la lecture de récits difficiles, entre autres lorsqu’il est question de racisme et de pauvreté, les membres du club échangent à propos de la question des privilèges et font ainsi des liens avec leur propre vie. Ces lectures entraînent certains de ces hommes à vouloir partager leurs témoignages personnels, leur permettant ainsi de s’ouvrir et de recevoir du support.

Tissu littéraire, tissu social

Ce qui m’a le plus marqué lors de ma lecture du livre The Prison Book Club, ce sont tous les liens créés par cette activité dans le pénitencier. Si chacune des œuvres au programme s’avère pour les détenus une fenêtre  sur un autre univers, le livre de Walmsley permet l’incursion du lecteur dans le milieu carcéral.

Le club de lecture a également une incidence sur le reste de l’établissement: il brise momentanément les structures de clans caractéristiques à la prison. Dans le cercle du club, les interactions sont égalitaires et respectueuses, les invités extérieurs à la prison ne manquent d’ailleurs pas de souligner le courage de ces hommes qui vivent quotidiennement de l’exclusion et de l’humiliation. À travers ce moment littéraire, des interactions improbables ont lieu. Des mots qui ne sont jamais prononcés peuvent être dits et viennent guérir, à petite et grande échelle.

Faire mentir tous ceux qui disent que la littérature ne sert à rien

En lisant ces pages d’Ann Walmsley, j’ai eu un regain d’amour envers les livres et tout ce qui les entourent. À mon sens, c’est un parfait exemple du pouvoir de la littérature: celui de bâtir une certaine communauté. En plus de favoriser un moment avec soi, les livres consolident les liens qu’un lecteur entretient avec les autres. Pour les hommes de Collins Bay, le club fut un moyen de s’exprimer, d’élargir leurs horizons et d’éventuellement préparer leur retour à l’extérieur. Et si les livres sont réputés pour leur capacité à augmenter l’empathie chez le lecteur, The Prison Book Club donne envie d’en savoir plus sur les récits et points de vue des détenus rencontrés par Walmsley.

Je dois avouer qu’avant d’entamer ma lecture, j’ai eu quelques craintes sur la tournure des événements. Y aurait-il des incidents à l’intérieur du club de lecture? L’auteure saurait-elle comment agir avec aisance dans ce milieu et pourrait-elle transmettre sa passion pour les livres? Et maintenant que j’ai terminé le livre, je réalise mon erreur: ces pages n’insistent pas sur les barrières, bien au contraire, elles dévoilent ce qu’il y a d’unificateur et d’humanisant dans la littérature.

Si vous deviez assister à un club de lecture en prison, quelle(s) lecture(s) suggéreriez-vous et pourquoi?

Quelques unes des œuvres lues à Collins Bay:

  • The cellist of Sarajevo, Steven Galloway
  • The curious incident of the dog in the night-time, Mark Haddon
  • The book of Negroes, Lawrence Hill
  • The Zookeeper’s Wife: A War Story, Diane Ackerman

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