L’été dernier, les Éditions du passage ont fait au Québec un grand cadeau avec la sortie du Lactume de Réjean Ducharme. Cette publication fut posthume, puisque l’auteur nous a quitté quelques jours à peine avant sa parution. Album graphique, littéraire et mystérieux, Le lactume se superpose avec justesse dans la brillante toile que forme l’œuvre de notre regretté géant littéraire.
L’ouvrage nous est présenté par Rolf Puls, qui nous raconte en introduction l’histoire rocambolesque de ce recueil. En effet, c’est en 1966 que Réjean Ducharme envoie le manuscrit du Lactume aux éditions Gallimard, auquel il joint une petite note qui dévoile bien son éternel sens de l’humour :
«Monsieur l’éditeur,
Veuillez ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins. Je ne sais pas plus dessiner qu’écrire. Seulement, est-ce qu’il ne suffit pas d’être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains? J’ai mis toute ma liberté et tout mon amour dans ces dessins. Si vous les jugez sans intérêt, ne me les retournez pas. Offrez-les à une jolie femme de ma part.
Vous priant encore de ne pas me trouver insolent
Réjean Ducharme.»
Mais le document restera dans les archives du directeur artistique Robert Massin, ce dernier ne connaissant pas encore l’auteur. Le manuscrit ne prendra sa forme de livre que cinquante-et-un plus tard, après un long voyage qui l’a fait traverser l’océan Atlantique et passer de mains en mains. C’est en grande partie grâce à celles de Claire Richard, la compagne et porte-parole de Réjean Ducharme, que le livre verra le jour. Un dénouement particulièrement touchant lorsqu’on relit la note de l’écrivain, qui souhaitait que son livre soit remis à une jolie femme…
Recueil volumineux de 198 dessins en couleurs, exécutés au crayon et souvent anguleux, Le lactume est un véritable trésor retrouvé. L’esprit ducharmien y est partout, dans chaque détail : chaque dessin est accompagné d’une légende qui reprend l’humour et les thèmes chers à l’auteur comme l’enfance perdue, la difficulté d’aimer ou la duplicité des adultes. IL s’y retrouve aussi le goût bien prononcé de l’écrivain pour les jeux de mots, une abondance de références culturelles dissimulées et des formulations comiques et étonnantes. Si Le lactume est un ouvrage haut en couleur, c’est parce qu’on y voit merveilleusement bien s’étaler toutes les facettes du génie de son auteur. Énigmatique, il faut le lire chez soi dans le silence, lors de ces moments calmes où l’on peut se poser pour méditer.
Cette dernière recommandation part de ma propre expérience ; la découverte du Lactume ne fut pas chose évidente. Loin d’être une spécialiste de Ducharme, j’ai dû bûcher un coup pour comprendre un peu mieux ses dessins. Mais ces recherches en ont valu la peine, car une fois son aspect mystérieux dépassé, Le lactume est une clé qui ouvre l’accès à l’univers ducharmien.
L’été dernier, l’univers littéraire du Québec n’a pu dire au revoir comme il l’aurait souhaité à son grand magicien des mots. Ce dernier s’est assuré de demeurer un mystère pour tous et que le mythe ne soit pas brisé après son départ. Mais, pour ma part, je suis quelque peu consolée par le cadeau d’adieu qu’il nous a laissé ; je crois qu’il n’aurait pu nous faire de plus beau clin d’œil qu’avec Le lactume, où nous avons tout ce qu’il faut pour le garder vivant dans nos mémoires, à jamais.
Connaissiez-vous Réjean Ducharme? Parmi toutes ses œuvres, laquelle est votre favorite?
Le fil rouge tient à remercier les Éditions du passage pour le service de presse.