Littérature québécoise
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Pour un imaginaire du road trip québécois

Jasper, Whistler mountain

Jasper, Whistler mountain

L’Ouest a été mon tout premier amour. Après il y a eu l’Amérique du Sud et prochainement il y aura l’Asie, mais il a fallu commencer quelque part. Quatre jours de Greyhound bus, de Montréal à Vancouver, pour aller vivre le voyage que plus d’un Québécois décide de faire. L’image de la vallée d’Okanagan restera toujours un peu dorée pour moi, un souvenir agréable qui glisse sur la peau.

Au retour de l’Ouest, j’ai longtemps espéré tomber sur un livre qui aurait relaté mon expérience. Je n’avais qu’à l’écrire, me direz-vous. Oui, tout à fait. Mais pour l’instant, par pudeur ou par simple lâcheté, mes écrits incomplets qui tiennent davantage du cadavre exquis que du roman resteront cachés.

Les Kerouac, Djian et Bouvier de ce monde l’ont fait. Ils ont écrit la route, l’ont couchée sur papier. Du côté du Québec, les ouvrages Chercher le vent de Guillaume Vigneault et Volkswagen Blues de Jacques Poulin ont été mes premiers contacts avec ce genre de récit. Aujourd’hui, je peux affirmer que ces auteurs ont contribué à nourrir chez moi une fixation à propos de tout ce qui concerne le voyage: autant en littérature et en cinéma que l’acte lui-même.

Récemment, les livres Vers l’Ouest de Mahigan Lepage et Toutes mes solitudes! de Marie-Christine Lemieux-Couture sont atterris entre mes mains. Ils se sont avérés être en plein ce que je cherchais. Je les ai d’ailleurs dévorés en peu de temps, ma lecture ponctuée de plusieurs sourires lorsque je lisais des passages qui faisaient écho à mes souvenirs. À travers leurs plumes, c’est l’Ouest d’abord idéalisé et ensuite vécu que l’on découvre. Tous les éléments de ce voyage y sont, de l’émerveillement du premier regard jeté aux Rocheuses jusqu’aux groupes religieux qui offrent des repas gratuits.

Partir à tout prix et revenir trop vite

Site des éditions Mémoire d'encrier

Site des éditions Mémoire d’encrier

Vers l’Ouest est écrit d’un seul tracé, comme si traverser le Canada était ici de l’ordre de l’urgence, de ce qu’on ne peut interrompre. Dans ce récit, l’écriture initiatique reflète la nature du voyage. Très rapidement, rupture et départ deviennent difficiles à dissocier, on ne sait lequel des deux engendre l’autre. David, le protagoniste, souhaite se définir comme une entité indépendante à sa famille, la distance se comptant en kilomètres devient alors nécessaire pour lui. Il est pourtant conscient des contradictions inhérentes à son geste: il ne fait que marcher dans les traces de son père et de sa mère, qui ont pris cette route bien avant sa naissance. Dans son empressement, le narrateur semble oublier que les coupures trop hâtives ne font parfois que provoquer un retour à la case départ. Néanmoins, il quitte le Bas-du-Fleuve, bien décidé à habiter son corps et à habiter le territoire.

En délaissant l’Est natal pour l’Ouest tant désiré, ce sont ironiquement ses racines qui refont surface. Dans son envol, il se bute à des échecs ainsi qu’à une solitude trop lourde à porter: «D’abord les allumettes qui me brûlent dans la poche et maintenant l’huile d’arachide qui me salit les shorts, ce sont ces petits malheurs de rien du tout qui, dans la solitude de la route, font mal et font douter (1)».

En parcourant la Transcanadienne, certaines villes passent comme en rêve alors que d’autres possèdent un imaginaire détaillé relié à la façon dont on y pénètre. Les mythes de la route vers l’Ouest sont d’ailleurs mentionnés; je pense ici à Wawa et l’histoire entourant ce no man’s land pour ceux qui font du pouce. Dans cette quête de l’Ouest qui se veut linéaire a priori, les schémas de pensée de David reviennent en boucle comme le font les paysages de l’Ontario. À travers les réflexions du narrateur, tantôt anecdotiques, tantôt profondes, c’est une filiation père-fils lésée qu’on découvre, une incapacité à se rejoindre.

Toutes les rencontres au détour de la route

Site des éditions de ta mère

Site des éditions de ta mère

Dans le «roman de plage pour intellectuels. Made in Canada. Classé E (pour tous) » (2) de Marie-Christine Lemieux-Couture paru chez les éditions de ta mère, tout est matière à ironie. La narratrice évite en tout point de se prendre au sérieux. C’est en mangeant des nouilles sur la rue Saint-Michel que Chri décide d’accompagner Jean Couillon, son copain, dans une traversée des provinces canadiennes. Ses questionnements vis-à-vis ce voyage persisteront jusqu’à la fin; la route ne pourra lui offrir de confirmation, et encore moins de conclusion.

Le pouce levé, c’est la Colombie-Britannique qui s’impose comme destination finale. Du «Jésus freak» au soldat bedonnant, les automobilistes donnent le ton aux pensées et au voyage de la narratrice. Le texte est entrecoupé de brefs passages en retrait qui se présentent comme des tirades sur la société, la consommation et les convictions. Chri joue avec les lieux communs et les expressions courantes tout au long du récit. Elle écrira d’ailleurs, après avoir repoussé les avances brutales d’un conducteur: «La chair n’est pas un plat qui se mange froid» (3).

Dans ce roman de Lemieux-Couture, pas de place pour le glamour de l’aventure, c’est l’Ouest cru. En d’autres mots, ce sont la saleté sur la peau qui colle à l’identité du voyageur et les cantines poétisées de la Transcanadienne qui définissent et décrivent le parcours. Impitoyable, Chri passe tout au couteau: l’égo littéraire est dégonflé, le post-modernisme et les théories de la lecture sont découpés, le lector in fabula est mis à rude épreuve. Bien qu’elle analyse et décrive tout ce qu’elle voit avec une certaine distance, l’arrivée en sol albertain semble avoir fait bouger quelque chose en elle, ne serait-ce qu’un court instant:

«Avec ses montagnes enneigées, ses canyons insolites et ses paysages vertiges, le BiCi a quelque chose de l’univers parallèle. Pendant que Jean cherche son serpent à sornettes, je rêve de mon chat Cheshire. Les sables bitumineux et l’odeur du pétrole de l’Alberta doivent m’avoir altéré le cerveau, pour un peu je prendrais la route pour un chemin de rêves éveillés où les lièvres gambadent en sifflotant l’air de God Save the Queen» (4).

 Hit the road Jack

Vers l’Ouest et Toute mes solitudes: un même parcours, deux façons bien singulières de le raconter. Sans pour autant documenter avec précision ce qu’implique un voyage dans l’Ouest, ces auteurs ont réussi à faire ressurgir des images et des traits qui le constituent. J’y ai trouvé mon compte. Quand je repense à mes étés là-bas, je les décrirais un peu comme une chanson de Bernard Adamus: beaucoup de boisson et pas mal d’histoires décousues. La beauté de faire un peu n’importe quoi. Partir en bateau gonflable sur un lac, pas de rames, pas de plans, seulement du fun et beaucoup de rhum. Un jour j’y retournerai, mais d’une autre façon. Avec ma future famille et un westfalia, peut-être.

Un petit tour dans l’Ouest

Pour ceux qui voudraient aller saluer les Rocheuses et passer l’été la tête dans les cerises, ce groupe-là regorge d’informations et de précieux conseils sur l’essentiel d’un voyage en Colombie-Britannique.


Notes:

(1) Mahigan Lepage, Vers l’Ouest, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, p. 56.

(2) Marie-Christine Lemieux-Couture, Toutes mes solitudes!, Montréal, Les éditions de ta mère, 2012.

(3) Ibid., p. 71.

(4) Ibid., p. 290.

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