Art et créativité
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« Tell Them Anything You Want: A Portrait of Maurice Sendak »

Peut-être n’êtes-vous pas familier avec Maurice Sendak, mais vous avez certainement déjà (re)lu son « Where the Wild Things Are » (ou « Max et les Maximonstres ») lorsque vous étiez enfant; vous vous rappelez, le petit garçon en pyjama blanc qui accoste sur une île peuplée de sympathiques monstres géants? Le livre culte a d’ailleurs été porté à l’écran pour le bonheur de tous en 2009 par le réalisateur Spike Jonze. Dans leur bref mais magnifique documentaire intitulé « Tell Them Anything You Want : A Portrait of Maurice Sendak” (2009), Spike Jonze et Lance Bangs nous livre un portrait  franc et vibrant du célèbre auteur et illustrateur qui a su réinventé la littérature jeunesse.

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Les œuvres de Sendak m’ont toujours et me font encore rêver, et l’entrevue de Jonze et Bangs m’a permis de découvrir le personnage caché derrière cet univers hors du commun. Et quel personnage! Sendak, plutôt déstabilisant, évince à chaque instant tous les préjugés que l’on pourrait potentiellement cultiver quant à un créateur d’histoires pour enfant. Le documentaire s’ouvre sur le visage grimaçant d’un homme de 80 ans qui répond, lorsqu’on lui demande quel est le message qu’il voudrait communiquer aux enfants d’aujourd’hui : « Quit this life as soon as possible. Get out, get out.» L’auteur jeunesse affirme d’ailleurs plus tard qu’il n’a jamais désiré avoir de progéniture et qu’il ne croit pas à l’enfance (« I don’t believe in childhood. »). Se profile un homme lucide et sans fard, à la fois cru et vulnérable (« I’m a piece of wasted sh*t.», souligne-t-il).

Sendak a bien entendu beaucoup d’humour, mais un humour assez grinçant et noir, peut-être désabusé. Mais derrière cette façade cynique se révèle une grande tendresse et une bonne dose de nostalgie, voire de mélancolie. L’auteur, assis dans son studio, parle de son œuvre, de son énorme succès comme des grandes controverses qu’ont soulevées la plupart de ses livres, les années 60 et 70 les ayant taxés de contre-éducatifs et de trop effrayants pour les enfants.

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« Tell Them Anything you Want », c’est avant tout une rencontre entre amis, dans l’intimité de la maison-studio de Sendak. L’approche de Jonze et Bangs, avec caméra à l’épaule et cadrages évocateurs, est très conviviale et on sent une réelle complicité entre l’auteur et les réalisateurs. Le résultat est un film à la facture simple et imprégnée de chaleur humaine. Un film radieux.

Sous les affectueuses caméras de Jonze et Bangs, Sendak raconte sa famille, sa mère, son père, ses frères et sœurs, sa chienne Jennie, son compagnon de vie; tous décédés. Et de la mort, Sendak en parle beaucoup. Dans ses livres comme dans son entrevue, la mort est omniprésente chez Sendak et teinte toute chose de sa fascinante obscurité. La mort est source d’angoisse profonde pour le conteur vieillissant, qui confie avoir l’âme coincée en enfance. C’est peut-être ce qui rend son œuvre si unique, cette façon d’aborder de manière intime et poétique cette mort autrement si bannie de l’imaginaire jeunesse. Ses livres proposent aux jeunes lecteurs une autre vision de la vie, certes sublimée, mais qui conserve tout de même son intégrité. Sendak ose sonder les recoins sombres de l’imaginaire enfantin, explorant les zones du cauchemar, de la perte et du deuil, de la transgression.

Selon Sendak, on peut tout dire aux enfants. Il faut savoir comment le dire, mais tout peut leur être raconté. « You can just tell them anything, anything you want. »

Maurice Sendak est décédé en 2012, à l’âge de 84 ans. Il aura laissé dans son sillage une vingtaine d’ouvrages illustrés et ouvert la porte vers un ailleurs dans l’univers du conte.

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« Tell Them Anything You Want » est un documentaire à voir impérativement si, tout comme moi, l’œuvre de Sendak vous habite, mais aussi pour rencontrer un créateur atypique et profondément inspirant, qui ébranle définitivement nos (mé)conceptions de l’enfance. J’en suis à ma troisième écoute, et même si mes larmes sont toujours au rendez-vous, je ne peux m’empêcher de me demander si l’on peut montrer un tel documentaire aux enfants, une telle nudité? Où se situe, justement, la limite de ce qu’on peut leur dire, faire voir ou faire comprendre aux jeunes esprits? Et même si notre message est romancé, peut-on réellement tout leur dire? Merci à toi, cher Maurice, d’avoir semé toutes ces interrogations! Une chose est sûre; comme toi, je crois fermement que l’enfance n’existe que dans notre cœur et qu’elle est susceptible d’y perdurer.

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Fanie est étudiante au 3e cycle en Études littéraires à l’UQÀM. Enfant, elle avait tendance à se battre avec les ti-gars dans la cour d’école, ce qui expliquerait peut-être pourquoi elle rédige une thèse sur les figures de guerrières des productions de culture populaire contemporaine. Son arc comporte quelques cordes; en plus de faire partie de l’équipe des joyeuses fileuses, elle codirige le groupe de recherche Femmes Ingouvernable, collabore à la revue Pop-en-stock, à la revue l'Artichaut, ainsi qu’au magazine Spirale. À part de ça, elle a écrit le roman "Déterrer les os" (Hamac, 2016). Dans son carquois, on trouve un tapis de yoga élimé, un casque de vélo mal ajusté, trop de livres, un carnet humide, un coquillage qui chante le large et une pincée de cannelle – son arme secrète ultime contre les jours moroses. Féminisme et végétalisme sont ses chevaux de batailles quotidiens.

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