Poésie et théâtre
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Renard, traversée poétique de Simon Philippe Turcot

J’ouvre le recueil et tombe dans le paysage:

Le visage peint je suis entré en forêt, fou dans le mur de pics, la peur dans les jambes d’être perdu, piégé. Poitrine battante j’ai marché, couru les yeux rougis de sueur et suis enfin sorti des neiges, des troncs cordés.

Devant moi la route s’enfuyait. Comme nous. L’oreille tendue je l’ai prise, avec la ferme intention de vivre fort.

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Paru le 8 septembre aux éditions La Peuplade, Renard est le troisième livre de Simon Philippe Turcot, éditeur et auteur saguenéen. Précédemment, il a publié, chez La Peuplade, le roman Le désordre des beaux jours en 2007, ainsi que le recueil de poésie Le paysage est un atelier chez Les Heures bleues, en 2007. De plus en plus reconnue, la maison d’édition La Peuplade, que Turcot a cofondé avec Mylène Bouchard au Saguenay-Lac Saint Jean il y a plus de dix ans, s’est donnée pour mission de peupler le territoire. Son recueil Renard participe activement à cette mission. Quelque part entre récit et poésie, Turcot, à travers les tableaux de nature vivante et les images mouvantes, nous fait pénétrer dans une forêt intérieure. On y suit les déambulations sauvages d’un peintre-narrateur dont les sentiments se mêlent à la fougère et aux conifères.

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Un peintre-poète, avatar créateur, s’adressant à l’amour que l’on devine lointain: « Tu me trouveras dans les tableaux que je peindrai. Tu les accrocheras peut-être aux murs. L’amour parfois dort sur des clous. »
Même s’il est contemplatif, le style de Turcot ne manque pas d’élan, chaque page étant une course effrénée vers le cœur, une quête vers l’amour qui s’éloigne ou s’éteint. Le pas est furtif comme celui du renard et on arrive à la fin rapidement, presque à bout de souffle, des épines de sapin et de la neige plein les bottes. On se dit qu’on en voudrait plus, qu’il semble y avoir encore des espaces inexplorés dans cette vaste étendue sauvage. L’envie de rester, un peu plus, dans cet univers frais à la fois intérieur et extérieur.

Ce que j’ai trouvé remarquable chez Turcot, que je découvrais avec Renard, est sa capacité à créer des images sensorielles, parfumées et goûteuses, à la géométrie variable et recherchée. « Le temps voyage entre mes doigts engourdis comme les fruits sauvages gèlent sur leurs branches. » L’aspect visuel étant à l’avant-plan, c’est un recueil qui donne véritablement à voir les mots, mais qui les tissent également dans leur dimension matérielle. On sent l’hiver dans toute sa froideur qui, loin d’être accablante, est ici sublime; la lumière du blanc, le gel qui pénètre l’atelier du créateur et devient motif et sujet de l’œuvre, guidant ses gestes. Car même glacés, la vie perdure et les souvenirs s’activent, comme la nature s’endormant sous le frimas. Et l’amour, comme la forêt, ne meurt pas malgré la froidure. Chez Turcot, humanité et nature s’amalgament dans une unicité organique et élégamment illustrée. Faune et flore, animé et inanimé s’organisent avec agilité et prennent place dans les tableaux que brossent le peintre de mots.

Renard parle de ces œuvres, souvent secrètes, que l’on dédie à l’être aimé. Aux mondes infinis que l’on élabore dans le silence de nos ateliers intimes, parfois en vain. Toute en demi-teintes, c’est aussi une lecture d’automne à lire au grand air, alors que les arbres entrent en dormance et que les bois se peuplent d’une étrange vie.

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Fanie est étudiante au 3e cycle en Études littéraires à l’UQÀM. Enfant, elle avait tendance à se battre avec les ti-gars dans la cour d’école, ce qui expliquerait peut-être pourquoi elle rédige une thèse sur les figures de guerrières des productions de culture populaire contemporaine. Son arc comporte quelques cordes; en plus de faire partie de l’équipe des joyeuses fileuses, elle codirige le groupe de recherche Femmes Ingouvernable, collabore à la revue Pop-en-stock, à la revue l'Artichaut, ainsi qu’au magazine Spirale. À part de ça, elle a écrit le roman "Déterrer les os" (Hamac, 2016). Dans son carquois, on trouve un tapis de yoga élimé, un casque de vélo mal ajusté, trop de livres, un carnet humide, un coquillage qui chante le large et une pincée de cannelle – son arme secrète ultime contre les jours moroses. Féminisme et végétalisme sont ses chevaux de batailles quotidiens.

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