Féminisme
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Rencontre avec Camille et Sandrine de L’Euguélionne

Au début de ma maîtrise en littérature à l’UQÀM, j’ai rencontré deux femmes extraordinaires, avec qui je partage toujours un amour de la littérature des femmes. Eh bien, deux ans plus tard, mes deux amies se sont lancées dans le projet de créer une librairie féministe à Montréal. Je suis très fière de vous présenter Sandrine Bourget-Lapointe et Camille Toffoli, qui font toutes deux partie du collectif de la future librairie féministe L’Euguélionne. Elles travaillent très très très fort pour un projet qui nous sera, à toutes et à tous, essentiel! Pour les aider à démarrer la librairie, L’Euguélionne a lancé unecampagne de socio-financement. Pour les aider, c’est ici! Plein de belles choses vous sont offertes en échange!

En attendant l’ouverture de ce magnifique lieu, on a jasé de la genèse du projet et de comment tout se déroule jusqu’à maintenant.

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Camille Toffoli et Sandrine Bourget-Lapointe, membres du collectif de L’Euguélionne

Je sais que vous portez ce projet en tant que collectif, mais on veut savoir qui est derrière L’Euguélionne? Moi, je vous connais, mais quelles libraires êtes-vous, Sandrine et Camille? 

Sandrine : Évidemment, j’ai hâte de faire découvrir le corpus pour lequel je travaille pour mon mémoire, c’est-à-dire les biographies de femmes féministes en bandes dessinées. J’aime également beaucoup les livres artistiques, comme les zines, les brochures, etc.  C’est ce que j’ai hâte d’amener à la librairie!

Camille: Personnellement, je travaille beaucoup à partir d’essais théoriques et philosophiques, qui ont moins de place dans une librairie traditionnelle. C’est un genre assez marginalisé et je veux leur donner une place, une meilleure visibilité. J’ai hâte de rencontrer une communauté de lectrices avec qui partager cet intérêt! D’ailleurs, étonnamment, lors de notre étude de marché, il y a énormément de personnes qui ont indiqué qu’elles lisaient des essais. J’espère pouvoir discuter des rapports entre littérature, philosophie et politique, c’est ce qui m’intéresse le plus.

Vous vous faites probablement poser la question vraiment souvent, mais j’aimerais quand même savoir pourquoi vous avez décidé de créer une librairie féministe à Montréal?

Sandrine: Il y a 7 ou 8 mois, nous avons commencé à travailler sur le projet en se rendant compte que plusieurs personnes avaient cette idée, mais qu’elle ne se mettait pas en place. On fréquentait les milieux littéraires et les milieux féministes et on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de lieu comme tel pour que des événements qui joignent ces deux intérêts prennent place. L’idée de créer un lieu où la littérature des femmes* et la littérature féministe aurait une place privilégiée a donc émergée.

Camille : Plus personnellement, c’est en allant dans une librairie à Chicago, que je me suis rendue compte que cette initiative existait. Je suis allée à la librairie Woman and Children first et je me suis dit : « Wow, c’est vraiment chouette, pourquoi il n’y a pas de lieu comme ça à Montréal? » Depuis que j’y suis allée, à l’été 2014, je me suis rendue dans plusieurs événements et je voyais qu’il y avait de plus en plus de personnes, que le féminisme a pris de la place, qu’il y a eu un regain d’intérêt pour le sujet. Par exemple, les cours universitaires sur le féminisme sont toujours pleins, c’est vraiment un truc auquel les gens sont de plus en plus sensibles. J’ai trouvé ça beau, quand j’étais dans cette librairie à Chicago, parce qu’il y avait autant des étudiant.e.s en littérature qu’une mère qui achetait des livres non-genrés pour ses enfants, qu’une dame de l’âge de ma grand-mère. Je voyais comme un rassemblement de plusieurs types de féminismes, des femmes qui n’étaient pas nécessairement militantes, qui se retrouvaient là. C’est un partage que j’ai trouvé beau!

Gabrielle : J’aime beaucoup cette idée de lieu « central » des lettres et du féminisme!

Sandrine : C’est certain qu’il y a plusieurs librairies indépendantes à Montréal, qui sont des alliées du féminisme, de l’édition féministe, mais il n’y a pas de lieu que se spécialise dans ça.

Pourquoi avoir choisi la formule de coopérative de solidarité?

Camille : C’est aussi une question financière…! Le collectif est plein de bonne volonté, a plein de temps et plein d’énergie à donner, mais pas nécessairement le fond de quelques milles dollars à investir, malheureusement. L’idée vient aussi de faire quelque chose de viable dans le temps, au sens où si une entreprise tient le projet sur ses épaules et que les personnes quittent ou abandonnent, c’est terminé : elles peuvent vendre la compagnie, ou bref, faire ce qu’elles veulent avec l’idée. Une coop permet à un projet de pouvoir perdurer puisqu’on peut donner le flambeau. Il y a cette idée de communauté, que ça ne soit pas juste deux personnes qui décident et qui embauchent des employées. On ne voulait pas nécessairement qu’il y ait de patron. C’est donc aussi dans une perspective féministe. Aussi, ça permet d’impliquer plein de personnes : il peut y avoir autant des membres travailleurs et travailleuses que des membres de soutien, ou encore des gens qui veulent organiser des événements. On ne veut pas que ce soit juste un commerce, on aimerait faire converger plein de groupes et qu’il y ait des organismes qui soient membres, par exemple, des groupes communautaires ou des universités.

Sandrine : Bref, nous on va mettre en place la coop, mais c’est peut-être pas nous qui allons le faire survivre…

Gabrielle : …à jamais! (rires)

Sandrine : Exact! Ça permet à l’équipe de pouvoir changer, que ce ne soit pas fixe. Le collectif pourra muter. La formule coop permet une plus grande flexibilité. Aussi, on s’entend, une librairie, ce n’est pas la chose la plus rentable au monde, donc d’avoir une coop de solidarité permettra peut-être à L’Euguélionne de perdurer dans le temps.

Concrètement, quelles sont les étapes pour ouvrir une libraire?

Sandrine : Avoir l’idée! (rires) Après, il faut penser à la mission de la librairie et à quel genre de livres on veut proposer, pour pouvoir contacter des maisons d’éditions. Il faut aussi choisir le contenu de la librairie, c’est-à-dire est-ce qu’on veut vendre seulement du neuf ou est-ce qu’on va tenir de l’usagé, choisir le type de livres aussi. Après avoir pris ces décisions, il faut vérifier ce qui est disponible chez les éditeurs et comment ça fonctionne.

Après, bon, avoir de l’argent! (rires) Donc, trouver un moyen d’avoir de l’argent, faire des demandes de subventions, devenir membre de l’ALQ (note: Association des libraires du Québec).

Ensuite, il faut choisir un quartier et trouver un local.

Camille : Et l’aménager. Après, on lancera une campagne de promo, lorsque nous serons plus proche de l’ouverture de la librairie. On espère pouvoir, à ce moment-là,  faire des partenariats avec des profs et des cégeps, par exemple. On cherche vraiment à créer une communauté et rejoindre toutes les collectivités, comme les bibliothèques aussi.

Sandrine : Ah oui! Aussi, il faut savoir ce que les gens veulent dans une librairie. C’est ce que notre étude de marché nous a permis de faire, en fait. On peut savoir aussi à qui on s’adressera dans notre librairie.

Justement, par rapport au lieu, avez-vous déjà fait des démarches? Où en êtes-vous?

Camille : Ce qu’on a appris alors qu’on recherchait un local, c’est qu’un bail commercial ne fonctionne pas comme un bail pour un logement. En fait, dès que tu signes un bail commercial, tu dois occuper le lieu immédiatement. Donc, on ne peut pas vraiment décider en avance. Pour l’instant, quelqu’un du collectif s’occupe de rester alerte à tout ce qui est vacant dans centre-sud, le quartier que nous avons ciblé.

Sandrine : En ce moment, il y a beaucoup de roulement dans le quartier ciblé. On ne sait pas si c’est positif ou négatif, mais bon! On regardera plus sérieusement en avril.

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Mes amies et moi (au centre), trop contentes de ce projet! 🙂

Avez-vous eu des embûches, jusqu’à maintenant? Ça semble assez laborieux tout ça!

Sandrine : Le défi, c’est qu’on est juste des littéraires! Faire des budgets, des études de marché, tout ça est nouveau pour nous.

Camille : Oui! Et en plus, ouvrir une coop demande beaucoup de gestion légale, ce qui est assez exigeant.

Sandrine : Donc, pour nous aider, on va suivre une formation pour les coopératives de travail, entre autres.

Camille : Les embûches ne sont pas vraiment liées à des gens ou quoi que ce soit, notre réseau est littéraire et en plus, féministe, donc c’est encourageant. C’est plutôt de s’être rendu compte de toutes les étapes qu’il y a à faire. On a aussi rencontré une libraire de chez Gallimard qui nous a fait prendre conscience de tous les coûts affiliés à l’ouverture d’une librairie et de la faible marge de profit qu’un livre rapporte. Il faut donc dynamiser le lieu, rentabiliser la librairie. On ne peut pas juste s’attendre à ce que les gens entrent et s’achètent des livres. Donc, pour pallier, on a fait le choix de vendre des livres usagés.

Sandrine: Et d’avoir un espace café! On trouve aussi que ça rendra le lieu plus inclusif, ce à quoi on tient vraiment. C’est plus invitant et accessible si tu peux bouquiner et prendre un café plutôt que s’il n’y a qu’un club sélect de littéraires qui occupe l’espace! J’ajouterais aussi que ça prend tellement de temps, comme projet! Au final, c’est devenu une occupation à temps plein.

Camille, tu as parlé de votre réseau, qui est essentiellement féministe. Avez-vous peur de recevoir des critiques masculinistes, ou voire, qu’ils se présentent sur place? Comment allez-vous y régir? Avez-vous eu cette réflexion?

Sandrine : On l’a eue, mais on s’est dit qu’il allait falloir y réfléchir plus longuement, plus en profondeur une fois la librairie ouverte. Il faudra même penser à comment on va s’organiser avec les rapports de police, par exemple, s’il y a du vandalisme, en sachant que la police n’est pas une institution nécessairement féministe et qu’elle est oppressive à plein de niveaux. Aussi, par exemple, quand on présente un projet féministe à M. et Mme tout le monde, souvent, on doit mettre de l’eau dans son vin… On doit penser à comment le présenter dans un média traditionnel, à comment expliquer c’est quoi une librairie féministe à des gens qui ne sont pas dans ce milieu. Il faut toujours prendre ça avec des pincettes. Nous avons eu des refus, des organismes qui nous on dit « Nous on ne veut pas endosser ça ». Donc, il faut se présenter comme une librairie spécialisée.

Gabrielle : Au même titre qu’une librairie jeunesse, par exemple.

Sandrine : Oui, mais la différence, c’est que certaines personnes pensent que c’est discriminatoire.

Camille : Alors qu’on est très inclusives dans notre féminisme! On n’arrête pas de se dire qu’on ne s’adresse pas seulement à des féministes convaincues, qu’on ne veut pas que ce soit juste un cercle d’initié.e.s qui entre dans la librairie.

Sandrine : On y pense même dans notre design. C’est tout un statement d’écrire « librairie féministe » sur une façade de magasin! Mais on veut rendre ça accessible, esthétiquement beau, pour que les gens aient envie de venir.

Camille : On veut que ce soit un lieu où il y a des familles qui viennent, des personnes âgées. Il faut montrer que c’est inclusif. Ça nous évitera sans doute d’avoir des critiques masculinistes… Peut-être!

Sandrine : On ne veut pas mettre de l’avant UN féminisme. Ce n’est pas à nous de déterminer cela. On a une volonté d’envisager le féminisme au sens large, de vraiment promouvoir un féminisme pluriel et le plus possible sans jugement.

D’ailleurs, avez-vous déjà déterminé des sections, ou pensé à une division quelconque? C’est quand même important, dans une librairie!

Sandrine : Oui, en fait, tu sais quand on disait qu’on a pris conscience de toutes les étapes pour ouvrir une librairie? Avant ça, on ne savait pas tout ce qu’il y avait à faire, on était vraiment excitées, alors c’est ça qu’on faisait! (rires) C’est vraiment important pour nous d’avoir de la littérature des femmes et des féministes qui viennent de partout dans le monde. En plus d’une division par genre de texte, il y aurait des sous-divisions par pays ou par région. On veut faire l’effort d’aller chercher plus loin que simplement le genre qui est sur la couverture d’un livre. On aimerait montrer une diversité des réalités de femmes.

Camille : Pour ça, on va essayer de mettre certains sujets en valeur dans les vitrines, ou de faire des présentoirs thématiques, par exemple. Ce serait un petit plus de L’Euguélionne!

Pour terminer, en tant que futures libraires féministes, quel serait votre top 3 de suggestions littéraires à Lise Thériault et à Sophie Durocher?IMG_2948 (2)

  • We should all be feminists de Chimamanda Ngozi Adichie
  • Les antiféminismes. Analyse d’un discours réactionnaire, sous la direction de Francis Dupuis-Déry et Diane Lamoureux
  • Le féminisme québécois raconté à Camille de Micheline Dumont

 

*L’Euguélionne utilise l’astérisque pour rendre visible la pluralité des réalités et des étiquettes auquel le projet veut s’identifier en utilisant cette appellation.

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