J’ai eu la chance de rencontrer la charmante Marie-Claude Lapalme lors du lancement collectif de nos (premiers!) livres, le 30 août dernier à Montréal, où nous avons célébré la belle cuvée d’automne des éditions Hamac. En plus d’une personne particulièrement sympathique, j’y ai découvert une femme de lettres talentueuse et une plume à découvrir en cette rentrée. Originaire et habitant toujours Sherbrooke, elle enseigne le français et le cinéma au collégial.
Le bleu des rives (Hamac, 2016), de son poétique titre, est une immersion dans le cadre naturel des rives, au sens premier et figuré. Le texte se présente comme un archipel de nouvelles cadrant différents personnages comme autant d’îlots s’articulant autour de l’eau et de ses imaginaires. Le lac trône au milieu des récits comme un œil inquiétant, d’une force insondable et menaçante. On plonge dans l’écriture coulante de Lapalme pour atteindre des profondeurs vertigineuses, pour toucher quelque chose d’enfoui en nous, en nos vertiges. Sublime est le mot qui m’est venu à l’esprit en lisant, comme l’impression de se tenir près d’un gouffre qui nous attire dans sa noirceur. Les récits se coiffent d’envolées oniriques qui mettent en tension les liens archaïques entre l’humain et son environnement. S’y entremêlent les rêves, les mythes, les angoisses sous-jacentes. L’auteure parvient à distiller une inquiétante étrangeté peuplée de créatures et de spectres qui ne rôdent jamais loin, de ces choses innommables qui remuent toujours un peu au fond du lac. Les thèmes de la mémoire, de la revenance, de l’apparition et de la disparition voilent le texte d’une brume dans laquelle se confondent les réalités et les temporalités, teintant les nouvelles d’une délicieuse incertitude.
C’est peut-être essentiellement personnel, mais pour moi une étrange nostalgie émane de ces tableaux, qui rappellent les chalets d’enfance surannés. Quelque chose de l’ordre de la désuétude et de l’obsolescence qui devient presque obsédant dans son parfum de langueur. Ce qui m’a conquise. Le ton est poétique, voire lyrique, mais d’un lyrisme élégant, comme venu du fond des âges – ou des lacs. Il faut souligner l’agilité de l’auteure pour composer des images d’une grande justesse, sans jamais trop en faire. L’ensemble demeure toujours équilibré, vibrant d’une langue ciselée à son meilleur. Et l’émotion est au rendez-vous. Sur ce plan, mention spéciale pour le texte L’étrangère, qui m’a fendu le cœur en raison de sa troublante sérénité:
Parfois, je crois voir ma chute dans l’eau. Je ressens le fracas de mon crâne sur le rebord de la barque. Je revis la descente sans fin autre que la lueur mourante au-dessus de moi. L’étreinte molle du fond qui me retient jusqu’à ce qu’on m’engloutisse. Qu’on fasse disparaître mon corps parmi les sédiments. (p. 93)
Une première parution remarquablement solide. À la fois réconfortant et angoissant, lumineux et éminemment obscur, Marie-Claude Lapalme nous introduit dans son royaume riverain tout en demi-teintes, où il fait bon frissonner. Je salue l’immensité du travail d’écriture de l’auteure et lui souhaite que sa plume poursuive ses merveilles, pour notre plus grand plaisir.
Marie-Claude Lapalme. Le bleu des rives. Hamac, 30 août 2016, 156 pages.