Poésie et théâtre
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Nous sommes tous l’histoire d’une autre personne

Cela est arrivé

Par une nuit orageuse, dans le doute et les détours du souffle

Cela est survenu

Dans la crainte de la folie

Avec la peur du vent et de l’imparfait

 

Le temps s’était mis en marche

Avec sa fâcheuse habitude de tout mesurer

Paul-Émile Saulnier, Petits paquets de nuit, Collection à la cantonade

Ça vous est tous déjà arrivé d’apprendre à connaître une personne, jusque dans ses recoins les plus intimes, mais sans même l’avoir déjà croisée ou, si oui, très furtivement. Connaître quelqu’un dans l’image et les propos d’un autre. Connaître quelqu’un, mais en fragments, une personne racontée, comme une histoire par une autre personne, celle-là marquée, positivement ou négativement. Apprendre à connaître une personne dans son passé, dans celui qu’elle partageait avec celui ou celle qui raconte. On relit alors des points interceptés un peu au hasard et on crée une sorte de constellation sans reliures entre les points.

Je vais vous raconter une petite histoire comme celle-là qui m’a suivie une longue partie de ma vie. J’y ai repensé il y a peu de temps en fouillant dans l’une de mes bibliothèques de livres qui dorment toujours chez mes parents (en attendant d’avoir un chez moi un peu plus… définitif, disons).

Je suis retombée sur un recueil de poésie qu’une amie m’avait offert pour Noël 2006. Il y a déjà près d’une dizaine d’années de cela et c’est aujourd’hui que ce livre et moi nous avons rendez-vous.

Mais je n’entrerai pas ici au cœur du livre, je parlerai davantage de l’histoire qui l’entoure. C’est un peu comme mon amour pour le café et pour tout ce qui entoure cette boisson douce et amère, les lieux, les échanges, les tasses, les cafetières, les sortes de grains, etc.; pour moi, le livre existe pour ce qu’il dit, mais aussi pour son auteur, pour les rencontres qu’il crée et pour son rayonnement comme objet et en dehors aussi.

L’auteur, qui est-il et comment a-t-il doucement marqué ma vie, sans la chambouler, mais seulement comme ça, parce que pour mon histoire, pour la sienne et pour celle des gens qui l’ont croisé et qui le côtoient toujours, ça vaut la peine d’en parler et de laisser une toute petite trace brillante, lumineuse et sage.

Son nom : Paul-Émile Saulnier.

J’ai souvent cloué mes idées au mur

Des petits morceaux de vie

Des petits riens insaisissables

D’une vie abstraite

Peut-être certains l’ont-ils connu comme professeur d’art au Cégep de Rimouski, d’autres pour ses réalisations visuelles ou encore pour sa poésie, ses Petits paquets de nuit.

Pour ma part, je suis née et j’ai grandi en entendant son nom mille et une fois briller de la bouche de ma mère. Maman a étudié en arts au cégep avant de poursuivre à l’université et de finalement choisir de partager sa passion en devenant enseignante. Elle l’est toujours d’ailleurs, passionnée et enseignante. Je crois que grâce à elle, plusieurs jeunes, dont certains sont devenus grands et parents, ont découvert qu’ils avaient eux aussi la capacité de ressentir quelque chose face à une œuvre d’art. Quand un enseignant réussit à transmettre sa passion, je crois qu’il parvient à quelque chose d’essentiel, à la fois comme humain et comme passeur de connaissances. Et c’est probablement ce qui s’est passé avec Paul-Émile. Je ne pourrais dire exactement les cours qu’il a offerts à l’époque où maman l’a eu comme enseignant, ni ce qu’il lui a dit pour la marquer, mais toute mon enfance, j’ai entendu parler de ce Paul-Émile et bien sûr, lorsqu’il a été temps pour moi d’entrer au Cégep de Rimouski, je priais pour qu’il soit aussi mon enseignant.

Mais je n’ai pas eu cette chance.

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*

Derrière le cégep, à l’époque, on travaillait à construire ou à agrandir l’école de musique. Mais quel malheur, durant la période des travaux, l’endroit est passé au feu deux fois, heureusement sans tout détruire les deux fois. La boucane montait dans le ciel et je me trouvais, je ne sais plus exactement pour quelle raison, dans un passage, où je ne me rendais pas très souvent, aux hauts murs blancs, de cette école labyrinthique. Je me suis arrêtée à la fenêtre pour regarder et Paul-Émile a fait la même chose. Peut-être que je m’étais arrêtée là, en le voyant, justement pour provoquer un moment de partage avec lui, je ne suis plus certaine. Mais il était là, avec son énergie. Un peu de celle que j’avais créée autour de sa personne, un peu beaucoup de celle qu’il dégageait déjà en tant qu’artiste habité d’une forte tranquillité.

Je ne sais même plus ce que l’on s’est dit. On ne s’est pas beaucoup parlé. Et le silence était habité entièrement par la présence et par l’instant. C’était un échange qui se passait au-delà de tout. Peut-être est-ce que je le magnifiais, mais si vous entendiez d’autres personnes parler de lui, je crois qu’elles diraient d’aussi belles choses. Je me sentais, à ce moment-là, tout simplement privilégiée de partager un moment avec cet homme aux cheveux en bataille tous blancs, qui avaient déjà plusieurs vies d’avance sur moi.

Je me souviens d’avoir ressenti, à ce moment-là, toute la force d’énergie et de sensibilité, de sagesse et d’humanité qui traversait cet homme. Et si j’en parle aujourd’hui, plusieurs années plus tard, c’est que quelque part, c’est toujours présent et que ça continue de m’habiter et de me faire grandir.

Le rayonnement d’une personne, peut-être qu’on oublie, la plupart du temps, plongé dans le superficiel, de se laisser percuter positivement par la seule présence des gens.

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*

C’était l’automne, j’étais dehors aux alentours du cégep avec mon amie (celle qui m’a offert le recueil de poésie) et on faisait de la photo (mon amie à de multiples talents, dont celui d’être une excellente photographe), quand on a vu Paul-Émile sortir dehors, s’assoir sur une marche de béton et ouvrir un livre. Il attendait probablement qu’on vienne le prendre ou alors il prenait l’air. Je l’ai trouvé si beau. Pas d’une beauté alliée au désir, mais d’une beauté presque intemporelle, artistique et humaine. Il avait toujours de lui, cette énergie, cette sagesse qui émanait.

En riant comme deux petites filles qui préparent un mauvais coup, on a sorti l’appareil photo et nous avons photographié Paul-Émile pendant qu’il feuilletait son livre. Il n’enseignait pas plus à mon amie qu’à moi, mais il était pour nous quelqu’un d’important, juste par sa présence. Une icône, enseignante, artiste.

J’aime retomber par hasard sur cette photo, soit dans mes archives informatiques ou dans une vieille boîte à chaussures remplies de photos papier de l’époque. À coup sûr, ça me fait sourire.

Je n’ai pas revu Paul-Émile depuis ce temps. Je n’ai pas suivi non plus sa carrière artistique. Mais parfois, il revient dans nos mémoires et nous nous remémorons des souvenirs avec lui. Il a enseigné à plusieurs de mes amis. Et lorsque j’ai dit à maman que j’écrivais sur lui, sa voix pleine de sourires à prononcer son nom avec bonheur.

Né au Nouveau-Brunswick, Acadien que le parcours a mené à Montréal puis à Rimouski, Paul-Émile Saulnier enseigne les arts au Cégep de Rimouski tout en poursuivant l’élaboration de ses projets artistiques. Il troque ici ses matériaux habituels, papier somerset, objets ready-made, bois, métal, contre les mots.

Partout dans ces Petits paquets de nuit on retrouve de semblables aller-retour entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Mais dans tous les cas, Paul-Émile Saulnier procède un peu de la même façon, par l’acuité du regard qui sait saisir et rendre le nom, le lieu précis, le moment.

Peut-être apprendrais-je à mieux connaître l’homme et l’artiste en entrant dans ses Petits paquets de nuit, servis comme des petites portes aux passages éclairés de son être.

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par

Louba-Christina Michel est une passionnée. Elle écrit depuis qu’elle sait comment faire et même avant, dans une sorte d’hiéroglyphes inventés. Et dessine depuis plus longtemps encore, elle a dû naître avec un crayon dans la main. Elle est transportée par tout ce qui touche à la culture et dépense tout son argent pour des livres et des disques (hey oui!). Elle prend beaucoup trop de photos de son quotidien, depuis longtemps. Des centaines de films utilisés attendent d’être développés dans des petites boîtes fleuries. Sa vie tourne autour de ses grandes émotions, de ses bouquins, de l’écriture, de l’art, du café et maintenant de sa chatonne princesse Sofia. Après une dizaine d’années d’errance scolaire et de crises existentielles, entre plusieurs villes du Québec, elle est retournée dans son coin de pays pour reprendre son souffle. Elle travaille présentement à un roman et à une série de tableaux.

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