Elle laisse rarement de glace. On aime ou on déteste la poésie. Ou on l’évite. Et je comprends qu’elle puisse rebuter certains, surtout si le premier contact avec ce genre littéraire ressemblait à un poème poussiéreux écrit en vieux français que vous deviez décortiquer à l’école. Fait vécu! La poésie, je l’ai donc boudée jusqu’à il y a 4 ou 5 ans. Comme je compte dans mes amis quelques poètes de talent qui m’envoient parfois leurs textes, je me suis ouverte à la chose tranquillement. J’ai pu constater en les lisant qu’inaccessible n’est pas forcément ce qui caractérise le style, comme je le pensais avant.
Il y a les poèmes qui riment, avec structure et tout et il y a ceux sans règle stricte de musicalité, écrits en vers libres, venant souvent avec une figure de style poétique. Comme dans Shrapnels, d’Alice Rivard. L’auteure, née en 1985, sort l’artillerie lourde, sans vers ni rimes. La lecture de son Shrapnels évoque la noirceur d’une existence en mode survie depuis la plus tendre (pas si tendre) enfance.
« Deux ans
Le père mort
Un huissier
La mère en pleurs
La maison vide
La mère ivre
La mère vide
La mère-morte. »
Ça commence raide. Et ça se poursuit. Les bombes sont larguées sur sa tête une après l’autre… Sous un ciel bourré de grosses munitions qui font mal, qui détruisent, mais qui ne touchent juste pas assez pour achever sa victime. J’espérais qu’incessamment viendrait un moment d’accalmie, j’étais dans le champ. Précarité, violence, abus sexuel, automutilation, suicide d’un proche, name it! C’est lourd, mais on n’étouffe pas à la lire. C’est écrit avec doigté. Quelques perles se trouvent tout au long du livre, dont celle-ci:
« Tu étudiais en sémiologie
Les boeu’ ont dit que c’était l’étude des singes
Ils m’ont demandé s’il y avait des signes avant-coureurs
Des bœufs, des singes, des signes qui courent
Quand j’y repense, c’était ironique
Tu étudiais les signes
Mais tu les cachais
Et j’étais trop aveugle pour les voir courir. »
Du gros vécu pas facile qui vient noircir une à une les pages du livre de son existence. Qui peut malgré tout faire sourire, par l’habileté de l’écriture de l’auteure. Ce qui n’est pas peu dire, dans ce contexte d’écorchée décrit à coup de mots crus. Et sa vie continue, de peine et de misère. Une vie qui finit par maganer:
« La docteure était ben gentille
Ben à l’écoute de mes épanchements
Ben soucieuse de ne pas me neyer dans les pilules
Elle me procurait des Kleenex aussitôt que ma valve ouvrait
Comme un pusher à un junkie
Il paraît que j’ai un trouble de la limite »
Aller chercher de l’aide a pu, par chance, donner un peu d’éclaircie à son ombrage, qui a tout au long de ma lecture été teinté d’authenticité. Une qualité que je recherche dans la vie tout comme quand je lis. Je trouve important de sentir le vécu derrière les mots. Ça touche toujours plus. Fiction ou non.
Lire de la poésie ressemble à faire de l’observation de bouts de vie à travers le regard sensible d’une tierce personne. Et ça tombe dans le mille si ce qu’elle écrit fait chavirer, comme cette dernière lecture l’a faite pour moi. C’est peu de mots, mais qui fessent souvent. Un concentré de ressentis. À force d’explorer, on finit par tomber sur une auteure ou une approche qui nous touche plus particulièrement que d’autres. Ce qu’a réussi à faire Alice Rivard avec son livre qui, heureusement, vers la fin, contient sa part d’espoir.
Shrapnels est le premier recueil d’Alice Rivard, tout juste sorti en septembre 2016 sous les Éditions de l’Écrou.
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