Le premier recueil de la poète Pascale Cormier, écrit en lettres de feu, nous brûle encore entre les doigts, même deux ans après sa sortie. La fille prodigue est une genèse, le début d’une route qui se poursuit dans ses trois autres livres publiés aux éditions de l’Étoile de mer. Il était une fois le présage d’une résurrection violente :
Le printemps va pleuvoir en gouttes de feu.
Ce qui m’a avant tout attirée vers ce recueil, c’est l’auteure, une femme transsexuelle, plus âgée que moi, que j’ai rencontrée dans des séances de micro ouvert. L’exposition à des modèles positifs est un facteur de protection pour les groupes minoritaires. C’est ce qu’a été Pascale Cormier pour moi : une femme qui écrivait, comme je souhaite le faire; qui a relevé l’épreuve de la transition, et qui se présentait fièrement devant un public. Me pencher aujourd’hui sur son premier recueil m’est nécessaire : je crois que la voix des femmes trans qui ne sont pas dans la vingtaine est souvent ignorée, alors un témoignage d’une telle artiste sur ses premiers pas dans sa féminité serait sûrement empreint de sagesse.
Une mère en devenir et sa fille
Le texte se divise en trois parties. La première présente une prophétie inquiétante et sa réalisation : « tant de vie jaillira d’un seul coup / tant de vie, trésor, qu’elle nous tuera peut-être ». Ainsi se confie la voix du texte à sa fille. La vie a la force d’un désastre naturel dont on écope. L’image de ce qui approche est floue comme dans un rêve : « ma peau se perd dans mes draps de douleur/ dans le faisceau de mes identités ». Tout est à perdre, mais la mère promet que
nous franchirons des ponts sans balustrades
au-dessus de nos propres abîmes
agrippées l’une à l’autre
pour qu’y tombe nos chaînes
Un sentiment d’urgence nourrit les métaphores. Elles expriment un paradoxe : tout sacrifier pour peut-être rester debout.
à présent j’ai des griffes
ma bouche est un trou noir
j’avale à pleins poumons
il me pousse des hanches
je prépare mon cri
Un bond dans la fantaisie
La deuxième partie nous remet vite les pieds sur terre. La section « Le chant des sirènes », moins lyrique, témoigne des démêlés d’une femme avec les sites de rencontres « Now… / Fail / je renverse mon verre de bière sur mon clavier / j’ai mis mon rouge à lèvres dans ma trousse sans son/ capuchon / il a tout barbouillé ». Le côté exubérant de Cormier ressort. Autre imprimé du quotidien, le combat avec des vêtements et tant de robes qui « fuient ». Persistent tout de même de brèves épiphanies:
il y a des jours où on se demande
si c’est bien la peine d’être au monde
au moment où des loups s’étreignent
et nous couvrent de honte
La mort hante en filigranes le texte. C’est une cave inaccessible, mais l’auteure sait trop bien ce qui l’y attend : « on me dit qu’elle est vide mais je n’en crois rien / j’y ai fait tomber trop de morts ». Une prise de conscience fait son chemin : même après la transition, la mort viendra.
J’ai beaucoup apprécié la fin de la deuxième partie, où on rejoint l’imaginaire du conte. C’est d’ailleurs un mouvement qui a pris son ampleur dans la publication suivante, Cendrier, conte satyrique. Dans La fille prodigue, le poème « le chant des sirènes » honore la figure de la princesse et de la sirène qui sont mises en opposition. La féminité souhaitée s’accompagne d’un fantasme de royauté avec « une robe d’azur et de lumière ». La destination est bien ambitieuse pour le jeune garçon qui habitait une théière. C’est plutôt sirène qu’il devient, lesquelles sont dites cruelles « parce qu’elles n’ont pas de sexes ». La micro histoire se conclut quelques poèmes plus loin, par un abandon à l’amitié et à l’entraide entre sirènes. Un éloge à l’amitié entre femmes trans.
Écouter celles qui ont mené le combat
La fille prodigue raconte l’histoire d’une transition de genre, dans ses éclats comme dans ses chimères. On nous offre une histoire intemporelle, géographiquement nébuleuse, dans un dialogue intime et grandiose, bref, on est ailleurs que dans la prise de position sur des enjeux sociaux d’actualité. Je salue le courage d’une écrivaine qui a fait le point sur sa vie, dans un mouvement littéraire caractéristique des premiers recueils. Pour les femmes qui caressent le rêve de transitionner, où qui en sont aux débuts dans leur parcours de combattant, le recueil constitue un témoignage vital. Pour les autres, le texte est une invitation à se plonger dans les publications subséquentes issues de la même plume, Cendrier, 27 variations sur le thème du désir et Une cathédrale de chair, qui plongent dans certaines articulations les plus singulières du premier recueil.
Bibliographie
La fille prodigue
Pascale Cormier
77 pages
Les Éditions de l’étoile de mer