Depuis quelques semaines, je suis un cours sur l’enseignement de la littérature au collégial. Ce séminaire nous invite à réfléchir sur le choix des corpus et sur ce qu’est la littérature marquante pour nous, futurs et futures enseignants et enseignantes au cégep (du moins, on l’espère tous). Cette réflexion n’est pas banale et de multiples questions me trottent dans la tête depuis que je me suis penchée sur le sujet. Je tenais donc à vous faire part de mes impressions dans cet article.
Les devis du ministère
De prime abord, les devis du ministère demandent aux enseignants du collégial de faire lire des oeuvres qui « ont marqué l’histoire de la littérature d’expression française. » Ce genre d’affirmation suscite de nombreuses interrogations selon moi. D’emblée, marquantes selon qui? Au moment même où vous lisez ces lignes, chacun n’a pas en tête les mêmes titres. D’une part, parce que la lecture a quelque chose de très personnel. Nous ne sommes pas tous touchés par les mêmes auteurs, les mêmes livres, les mêmes courants et les mêmes lignes. D’autre part, parce que nous n’avons pas nécessairement des définitions identiques de ce que sont la littérature légitime et la paralittérature (je n’aime pas trop ce terme, mais c’est à des fins de compréhension). Ce qui nous amène au point deux : La littérature légitime et la paralittérature.
La littérature légitime et la paralittérature
Quelle question que de tenter de se positionner! La littérature légitime entre guillemets c’est celle qui fait partie du canon littéraire. Les Balzac, Baudelaire et Molière de ce monde. Il est aussi possible de la classer par genre. La poésie romantique, le théâtre de l’absurde et le roman de l’époque classique pourraient être de fiers représentants de la littérature légitime au sens où l’entend une grande majorité. En contrepartie, la paralittérature c’est Harry Potter, l’oeuvre d’Isaac Asimov et celle des poètes plus obscurs. La science-fiction est le typique mal-aimé de ceux qui se disent les grands littéraires. Et si pour moi, et je me considère comme une pas pire littéraire, l’oeuvre de J. K. Rowling pouvait être mise sur le même piédestal que celle de Proust? Et si je désirais comparer la poésie et l’écriture d’observation du poète Charles Baudelaire à celle du poète contemporain Marc-Antoine K. Phaneuf? Je suis persuadée que des savoirs et des savoir-faire pourraient être enseignés dans ces circonstances. Alors pourquoi autant d’enseignants du collégial s’évertuent encore à ne mettre que des classiques à leur corpus? Ce qui nous amène au point trois : Les classiques.
Les classiques
Évidemment, je ne suis pas contre la lecture et l’enseignement des classiques. Les auteurs étant considérés comme marquants sont les piliers de l’histoire littéraire et loin de moi l’idée de les ranger aux oubliettes. Ceci étant dit, ces derniers se placent dans une réalité qui n’est pas nécessairement celle des étudiants qui se trouvent devant nous. Bien entendu, il est de notre devoir de permettre à nos étudiants de comprendre que les thèmes qu’ils abordent et que les enjeux dont ils traitent peuvent s’ancrer dans notre quotidien. Or, je continue à penser aux intérêts de ces jeunes qui sont de plus en plus difficiles à captiver avec l’abondance de stimuli qu’ils ont avec les réseaux sociaux et autres technologies. Alors pourquoi pas un mélange des auteurs d’autrefois et de ceux d’aujourd’hui? Ce qui nous amène au quatrième et dernier point : Les époques.
Les époques
Bien des cégeps utilisent les mêmes balises en ce qui a trait à la structure des quatre cours obligatoires de français. 101= littérature d’expression française du Moyen Âge au XIXe. 102= littérature d’expression française du XIXe à 1960. 103= Littérature québécoise parfois de la colonisation à aujourd’hui, d’autres fois, de 1960 à aujourd’hui. 104= communication. Dans bien des cas, la littérature de nos auteurs contemporains est oubliée. Cela découle bien souvent du fait qu’il est encore trop tôt pour savoir si ces écrits resteront avec le temps. Mais pourquoi est-ce si important? Si je réussis à ouvrir l’esprit de quelques-uns de mes étudiants avec le travail de Sophie Bienvenu ou celui d’Anaïs Barbeau-Lavalette, je considère que j’aurai accompli un critère de ma mission, soit celui de donner le goût de la lecture. Il est plus que nécessaire de comprendre le passé pour réfléchir notre présent. Ceci étant dit, il ne faut tout de même pas bâcler la dernière étape de ce processus. Pour former des citoyens consciencieux qui portent un regard critique sur la société dans laquelle ils vivent, il me semble important de revenir à nous à travers les chemins sinueux des anciens.
Je suis donc en train de monter un plan de cours pour mon séminaire en ayant tout cela en tête. J’ai décidé de faire une salade de fruits littéraire. Un beau mélange de Zola, de Baudelaire, de Breton, de Duras, de Nothomb, de K. Phaneuf et de Maupassant. La littérature est tellement riche et florissante que ce sera toujours un beau problème pour moi que de choisir. Oui, parfois il fera mal d’en oublier certains, mais rien n’empêche de les citer. Ce qui me semble nécessaire également, c’est de ne pas oublier les femmes qui demeurent bien souvent inexistantes dans les plans de cours.
Et vous, si vous étiez enseignant ou enseignante de littérature au collégial, quels seraient vos choix?
Je te dirais qu’à chaque session j’essaie de mélanger les classiques et la paralittérature. Évidemment, chaque département de français a sa propre façon de fonctionner; le mien se permet d’intégrer la littérature étrangère dans les deux premiers cours (et ce, sans respecter les époques préétablies). Cela nous permet une plus grande liberté, grandement appréciée.
Mes étudiants ont analysé les contes de Charles Perrault après avoir lu le premier tome de Harry Potter dans le 101.
J’ai fait lire « Et au pire on se mariera » de Sophie Bienvenu dans mes cours de communication pour observer la communication défaillante entre Aïcha et son entourage.
Je clos ma session de 102 présentement avec la lecture de « Hygiène de l’assassin » d’Amélie Nothomb qui jure avec les nouvelles réalistes qu’ils auront vu en début de session.
J’abord autant Tremblay que des recueils de la maison d’Éditions de l’écrou en 103.
Le défi d’oser enseigner des oeuvres « hors-canon » reste bien réel, mais ô combien plaisant à accomplir. Le meilleur moyen reste de parler d’une oeuvre classique par la lecture d’une oeuvre « moins » classique.
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Je ne peux pas m’empêcher de changer d’oeuvres à chaque session d’enseignement, sinon j’ai l’impression d’en délaisser certaines.
Le seul conseil que je peux te donner: Amuse-toi et assume tes choix 🙂
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Quelle approche géniale! Je suis totalement d’accord avec toi. Je prône un enseignement qui mélange les classiques et la littérature considérée comme ne faisant par partie du canon. « Le meilleur moyen reste de parler d’une oeuvre classique par la lecture d’une oeuvre « moins » classique », quelle idée magnifique et pertinente par le fait même! D’ailleurs, je suis enchantée par les choix que tu proposes. Je travaille « Hygiène de l’assassin » dans mon mémoire de maîtrise et je trouve qu’il s’agit d’une oeuvre marquante, qui permet de réfléchir notre propre rapport à la littérature. Merci!
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Fort intéressant comme article! J’obtiendrai en avril mon diplôme pour enseigner le français au secondaire, donc le débat me parle aussi. Par contre le problème du côté secondaire est qu’on doit faire avec les séries de classe qui ne sont pas toutes au goût du jour… Si j’enseignais au collégial ou à l’université, je ferais un mélange entre toutes ces œuvres dites classiques et celles qui sont, pour moi, des incontournables, comme Vanessa et toi le faites.
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J’enseigne au secondaire en ce moment et je partage tout à fait vos propos. C’est difficile de transmettre le goût de la lecture dans ces conditions.
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Tellement! Et c’est malheureux! C’est pourquoi je prévois lire des œuvres à voix haute (je lirai Eux de Patrick Isabelle bientôt en stage) et faire lire des œuvres différentes aux élèves. À un de mes groupes j’ai notamment fait lire la collection Tabou. Une collection intéressante qui les rejoint un peu plus!
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Oui je connais cette collection que nous avons aussi la chance d’avoir à l’école où j’enseigne. Quelle bonne idée que la lecture à voix haute! J’ai écrit un éloge à cette pratique sur le blogue il y a déjà quelques mois si cela vous intéresse.
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Article très intéressant (je ne connaissais pas le terme de « paralittérature »).
J’aime autant que les classiques et la paralittérature soient mélangés : en sixième, j’ai eu la chance d’étudier « Harry Potter », mais au lycée, nous n’étudiions que des classiques. C’était parfois décourageant, parfois ennuyeux (pour l’élève que j’étais alors), et ça me plaisait rarement. Ce sont des livres que je peux désormais apprécié, mais sur le coup, ça m’avait presque dégoûtée de la lecture (oui, à ce point).
Je pense vraiment qu’il faut proposer des lectures variées aux élèves, qu’ils puissent prendre du plaisir à étudier une oeuvre, qu’ils puissent se sentir proches des héros de leurs romans (on a tous eu du mal avec cette chère Mme Bovary, à laquelle personne n’arrivait à s’identifier, ou même à s’attacher). La diversité est une clé.
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