J’me souviens encore du seul et unique examen que j’ai coulé. J’étais en cinquième année. C’était un test sur les divisions. Un test surprise.
Quand madame Diane avait lancé avec un p’tit sourire narquois qu’on serait évalué là, maintenant, tout de suite, sur ce qu’elle nous avait enseigné la veille, j’ai buggué. Les autres soupiraient. Les autres tappaient du crayon nerveusement.
Mais moi. J’ai buggué. Beaucoup.
J’ai cru que le monde s’effondrait. J’étais pas préparée. D’habitude, j’étudiais, me pratiquais jusqu’à temps que ce soit ancré en moi comme si je l’avais toujours su. Comme si j’étais née en sachant diviser des nombres compliqués. Mais là, je ne pouvais pas, j’étais impuissante, je n’étais pas prête, je ne me souvenais de rien.
Les mains moites. Le pied droit nerveux. Les yeux pleins d’eau. La prof qui passait d’un pupitre à l’autre en s’assurant de déposer face contre table le bout de papier qui me faisait trembler l’intérieur.
Elle est arrivée à mon pupitre. Elle a déposé le test devant moi. Elle a dit : dans 4, 3, 2, 1, allez-y. J’ai tourné la feuille. J’ai inscrit mon nom, en haut à droite, en essayant de tenir mon crayon qui glissait entre mes doigts.
J’ai regardé les questions sans pouvoir les lire. Et je les ai lues sans pouvoir les comprendre.
Black out.
J’étais pourtant une des meilleures de la classe. En fait, j’étais la chouchou. Celle qui gosse parce qu’elle a toujours des bonnes notes. Celle qu’on traite de bolée à longueur d’année. Être bonne à l’école c’était ma porte de sortie, c’était ma manière de faire taire les t’es-pas-capable. De ne pas donner raison aux tu-vaux-pas-grand-chose. Fallait que j’excelle, que je sois la meilleure, tout le temps, pour prouver à mes idées noires à quel point elles se mettaient le doigt dans l’œil.
Être la meilleure dans toutte. C’était beaucoup de pression pour une petite fille de 11 ans.
Devant le test surprise, avec toutes les divisions qui ne voulaient plus rien dire, devant le néant des trous de mémoire causés par mon angoisse, j’ai perdu mes moyens, je n’allais plus être la première de classe. J’allais échouer. Mon cerveau me jouait des tours. Je ne savais plus rien. Les chiffres perdaient leur signification. Tout ce que j’avais appris la veille s’était évaporé, avait pris la poudre d’escampette.
Une goutte est tombée sur la feuille laissant une trace translucide sur le papier. Les autres n’ont pas tardé, elles ont suivi en force, en armée de larmes, jusqu’à ce que l’encre de mon nom s’efface. La prof m’a prise par la main. On est sorties de la classe. Mon visage était humide et mes yeux rougis. Ma respiration s’accélérait sans que je puisse la calmer. Madame Diane m’a demandé ce que j’avais. J’ai dit : je ne sais pas.
J’ai eu zéro, mais elle m’a rassurée que c’était loin d’être dramatique, que j’allais me reprendre au prochain examen. Que ce n’était pas la fin du monde. Que je ne devais pas m’en faire avec ça. J’ai tenté un sourire, mais ça écorchait mon dedans un zéro dans mon bulletin.
À 22 ans, j’ai su que ça s’appelait de l’anxiété de performance.
À 22 ans, j’ai su pourquoi en troisième année, je ressentais aussi intensément le regard des autres. J’ai su pourquoi j’angoissais autant à jouer de la flûte, la sueur dans le cou, les doigts tremblants. Les notes qui faussent parce que je manque de souffle. Pourtant j’avais pratiqué pendant une semaine complète la chanson débile. Et la prof du cours de musique qui me crie d’arrêter, devant tous les autres élèves, et elle continue de gueuler : VAS-TU FAIRE UNE CRISE CARDIAQUE? Moi, je rougis. J’ai chaud. Et j’aimerais être capable de lui dire qu’elle comprend pas, c’est plus que ça, que les chansons-débiles-à-jouer-à-la-flûte-devant-trente-élèves c’est pas une bonne idée pour les gens anxieux.
Mais je ne savais pas encore, à ce moment-là, ce que j’avais.
J’ai su, à 22 ans, que je ne pouvais pas être la meilleure dans toutte. Et qu’il fallait que j’accepte mes trous de mémoire quand la pression était trop forte. Qu’il fallait en rire. Qu’il fallait faire prendre le bord à ceux qui y voyaient de la faiblesse. Parce que c’était loin d’être le cas. J’ai eu peur longtemps de fucker ma vie à cause de ça. De ne pas être capable de gérer la pression, d’oublier tout, tout le temps, quand ce n’était pas le moment. De ne jamais fitter dans le moule de la société. D’être vouée à essayer de m’insérer dans un cadre qui n’allait jamais me convenir.
J’en étais venue à la conclusion que j’étais beaucoup trop sensible pour la société dans laquelle je vivais. Pas capable de suivre le rythme effréné des autres. Pas capable de me lever de mon lit. Trop fatiguée d’essayer d’être ce que je n’étais pas.
Parce que c’est fatiguant de vouloir performer, tout le temps. De ne pas supporter l’idée d’échouer. De craindre de ne pas être suffisante, pour personne.
C’est épuisant.
Jusqu’à ce que tu tombes sur les humains qui trouvent ça adorable quand tu trembles en jouant une chanson débile à la flûte. Ces personnes-là que tu réveilles en plein milieu de la nuit, la veille d’un examen, avec le stress dans l’tapis pour qu’elles puissent te dire que tu vas être capable, comme toujours. Celles-là mêmes pour qui tu es amplement suffisante, dans toutes tes petites parcelles, entre chacune de tes angoisses, pour qui tu seras, toujours, la meilleure dans toutte, peu importe.
Wow ! J’aime cette petite fille anxieuse devenue grande dans toute sa sensibilité ! Très beau texte, merci !
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Magnifique texte qui m’a mis la larme à l’œil et qui m’a rappelé la petite fille anxieuse que j’étais et l’adulte toujours anxieuse que je suis 🙂
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