Lorsque j’ai découvert ce nouveau roman, je pensais savoir à peu près à quoi m’en tenir. Comme j’étudie dans le même département de littérature que son auteur, Kevin Lambert, à l’Université de Montréal, et que je connais le style de sa directrice de maîtrise, l’auteure Catherine Mavrikakis, j’avais une petite idée de ce qui m’attendait sous la couverture. Cependant, ma lecture s’est avérée pleine de surprises, de plus en plus grandes à mesure que j’avançais dans le récit.
Tu aimeras ce que tu as tué, paru en mars dernier chez Héliotrope, est le premier livre de Kevin Lambert. À vingt-quatre ans seulement, l’auteur, né à Chicoutimi, nous livre ici un texte puissant et ingénieux qui annonce la destruction de sa ville natale. Le jeune narrateur, Faldistoire, mène au pas de charge sa vengeance contre Chicoutimi, entouré de ses amis. Ces derniers ont tous connu une fin atroce alors qu’ils n’étaient que des enfants: l’une déchiquetée par une souffleuse, l’autre dévoré par des guépards au Zoo de St-Félicien, et un autre encore assassiné avec sa sœur par leur père devenu fou. Ils reviennent à la vie et poursuivent leur existence comme si de rien n’était, au milieu de cette ville présentée comme le royaume de la morbidité.
Qu’est-ce que ne ferait pas Chicoutimi pour protéger l’homme blanc et honorable, le bâtisseur de ses machines destructrices, de ses édifices de malheur, jusqu’où irait ma ville natale pour conserver sa pureté infâme ? Jusqu’à faire revenir ses enfants morts. Leur faire laver les marques de leur propre homicide, les forcer à vivre un peu plus longtemps.
Dans ce récit apocalyptique qui mélange fantastique et souvenirs, Kevin Lambert utilise la haine comme ton littéraire, choix qui m’a beaucoup plu car il demande, à mon avis, une certaine bravoure, dans notre Québec trop docile. Son écriture s’oppose à l’imaginaire de la fondation qui caractérise bien souvent la littérature québécoise ; l’auteur propose, pour changer, celui de la destruction. Il critique avec virulence la xénophobie et l’homophobie qui coulent encore trop fort dans les eaux de notre province. L’histoire foisonne de détails tous plus intrigants et subtils les uns que les autres, comme le prénom du narrateur qui désigne un siège destiné aux dignitaires de l’Église, et rappelle la sonorité d’une faille dans l’histoire.
Pour moi qui vit dans un cocon littéraire, réfugiée dans le monde de l’Université, ce livre a eu l’effet d’une claque en plein visage, car j’ai parfois tendance à oublier que de telles mentalités hostiles sont toujours un danger réel chez nous, et ce partout à travers le territoire québécois. Kevin Lambert propose la destruction d’un monde tolérant ces idées, et je ne peux faire autrement qu’approuver son projet. Détruire pour mieux reconstruire : une réflexion qu’il nous faudra tous faire un jour ou l’autre. Je qualifierais donc sans hésiter ce roman d’absolument nécessaire. Une œuvre dont l’écriture violente ne cessera jamais de me hanter, et c’est pour le mieux.
Et vous, quels livres vous paraissent indispensables à la société ?
Le fil rouge tient à remercier Héliotrope pour le service de presse.
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