Vous la connaissez parce qu’elle a fait la première partie du show L’existoire de Richard Desjardins? Parce qu’elle a été championne québécoise du slam en 2009? Parce que vous l’avez déjà lue? En tout cas, Marjolaine Beauchamp, originaire de Buckingham en Outaouais, est à découvrir! Collaboratrice assez régulière au blogue Filles Missiles, Beauchamp a aussi un disque de slam disponible sur bandcamp si vous voulez entendre ses textes comme elle les lit.
Une poésie abrasive : Aux plexus
Aux plexus (2010, Éditions de l’Écrou), qui a été finaliste au prix Estuaire en 2011, offre des poèmes beaux et forts sur des gens ordinaires aux prises avec la misère humaine. Dans une langue joualisante, orale, proche d’une voix entendue lors de soirée de slam, Beauchamp fait exploser les préjugés dans ses poèmes narratifs. Aux plexus ne prend pas de détours pour traiter de sujets lourds comme le suicide, la pauvreté, le bien-être social, l’adultère et d’autres moins « lourds » sans être moins importants ou imposants comme l’amour, la maternité et la famille.
Dans une entrevue dans La Presse, Beauchamp a dit : « Je saurais écrire autrement, mais pas m’exprimer autrement. » Dans une entrevue avec Le Droit, elle a tenu des propos similaires en affirmant : « Moi, j’aime jouer avec la langue, le joual. J’aime le côté abrasif des mots, leur potentiel d’irrévérence, aussi. » Aux plexus est définitivement irrévérencieux, et c’est pour ça, pour ce souffle d’ordinaire et de prise de parole, que je le salue. Desjardins d’ailleurs dit qu’elle « a un regard juste et senti sur les poqués de ce monde » – commentaire qui résume également bien mon sentiment.
Divisé en trois parties, le recueil explore des thèmes adolescents en suivant des jeunes filles qui « oubliaient souvent leur nom / mais qui savaient pertinemment / comment faire un nœud coulant » (p. 15). Beauchamp plonge au cœur du désespoir, dans ces «histoire[s] vraie[s] / en chique de viande » (p. 58).
Sans filtre, ni voile d’agencement entre ses mots et le réel, Beauchamp se fait « porte-étendard d’une pauvreté standard / j’avale le B, le S passe mal » (p. 67). Et explique comment : « nous trouvons une raison / bidon / pour pas s’avouer vaincus / par le quotidien » (p. 94). Bref, Aux plexus dérange tant par son extrême lisibilité qu’on n’associe pas de prime à bord à la poésie que par ses propos parfois miséreux.
Retour en terrains connus : Fourrer le feu
La poésie de Beauchamp se maintient à coups de poings dans le réel avec son plus récent recueil, Fourrer le feu (Éditions de l’Écrou, 2016). Retour sur des sujets explorés dans le premier recueil, mais d’un point de vue plus personnel et laissant une plus grande place à ce silence envahissant et incapacitant : « Mais toujours le silence / Ce qui se passe de plus violent / Toujours en silence » (p. 45). Dans Fourrer le feu, la voix d’une femme qui s’essaie à l’amour, qui explore son « corps canevas » (p. 81) et qui rencontre un homme porte de secours porte le recueil. S’il surprend moins parce qu’on connaît désormais la voix singulière de Beauchamp, ce retour en terrains connus ne déplaît pas pour autant.
Je reviens de tous ces hommes
Que j’ai pétris
De mes bras étau
Et ma tête automne
Comme c’est effrayant
D’être l’écorchure de quelqu’un (p. 96).
Petit bémol : dans les deux recueils, la plupart des poèmes sont très courts, ne dépassant pas une page, ce qui fait que les trois ou quatre poèmes qui prennent plusieurs pages et qui font plutôt office de slam détonnent. Mais après tout, sa poésie au complet détonne, pourquoi est-ce que ses recueils présenteraient une harmonie parfaite?
Bref, même si Beauchamp écrit ne pas être « une fille de première impression / Ni de deuxième » (p. 80), sa poésie marque dès la première lecture.
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