Lorsque je faisais mon bac en sociologie, j’ai suivi un cours de littérature chinoise contemporaine. Je l’ai choisi juste comme ça, parce que la Chine m’avait toujours fascinée et que j’avais envie de découvrir un autre monde littéraire. Tout le monde a ri de moi, quel cours inutile! Pourtant, c’était un cours captivant, rempli d’histoire, de culture et d’écrivains rebelles. J’avais toujours hâte d’y assister. Et c’est avec un grand plaisir que j’ai fait mentir tout le monde en y trouvant mon sujet de mémoire, quel cours utile finalement! Alors, pendant 2 ans, j’ai travaillé sur le Mouvement du 4-Mai en Chine, qui regroupait plusieurs centaines d’auteurs.
Qu’est-ce que le Mouvement du 4-Mai?
C’est au début du XXe siècle qu’émerge le Mouvement du 4-Mai. C’est un mouvement à la fois littéraire et politique qui a pour principal objectif de moderniser la Chine, afin de la rendre plus compétitive face aux grandes puissances impériales de l’Europe. Comment comptent-ils y arriver? Grâce à la littérature, évidemment! Les romans deviennent alors le principal vecteur de diffusion des idées nouvelles. Pendant plus ou moins 3 décennies, les auteurs du 4-Mai rejetteront la tradition confucéenne et chercheront par tous les moyens à devenir moderne, tout en gardant une identité distincte des pays occidentaux. Parmi tous les auteurs qui ont participé au Mouvement du 4-Mai, je vous propose d’en découvrir 4.
Lu Xun
D’abord, il y a celui qui est considéré comme le père de la littérature chinoise moderne : Lu Xun. Cet auteur a reçu une éducation confucéenne traditionnelle durant laquelle il a appris le mandarin classique, une langue qui est seulement écrite et jamais parlée. D’ailleurs, elle n’est pas adaptée à la vie de tous les jours avec ses tournures poétiques et son vocabulaire imagé. Elle est aussi très longue et difficile à apprendre, ce qui fait que la majorité de la population ne comprend pas le mandarin classique et ne sait pas le lire. Face à cette situation, Lu Xun s’emploie à simplifier l’écriture, afin qu’elle soit plus facile à apprendre et par le fait même à rendre la littérature plus accessible. C’est dans le même esprit que Lu Xun choisira d’écrire dans la langue vernaculaire, celle que l’on entend dans les rues de Pékin, afin de permettre à la littérature d’être plus proche de la réalité. C’est ainsi qu’en 1917 il publie la première nouvelle entièrement écrite en langue vernaculaire : Le Journal d’un Fou. Cette nouvelle est une allégorie qui présente la tradition comme un mal aliénant dont il faut libérer la Chine. Pour Lu Xun, faire la révolution, moderniser la Chine, devait commencer par « guérir les esprits malades » et quoi de mieux que les romans pour accomplir cette tâche?
Lao She
Le deuxième auteur important du Mouvement du 4-Mai est Lao She. Contrairement à la majorité des auteurs de ce mouvement, Lao She ne vient pas d’une famille de lettrés, mais plutôt d’une lignée de militaires. Sa famille sera déchue avec la chute du dernier empereur Qing en 1911 et Lao She grandira dans la pauvreté. C’est parce qu’il connaît bien les quartiers populaires de Pékin et les gens qui y habitent qu’il décide de mettre en scène des roturiers dans ses nouvelles, tels un tireur de pousse ou un fabricant d’icônes en papier. Ce qui est le plus fascinant dans les nouvelles de cet auteur c’est que l’on peut sentir le déchirement des personnages qui sont pris entre la tradition et la modernité. Bien que le style de Lao She se veut ironique et mordant, j’ai surtout été touchée par ces personnages qui éprouvent tant de difficulté à s’adapter à la nouvelle réalité chinoise. Il peut être si difficile de se sentir à sa place dans un monde en pleine transformation, qui rejette ce que l’on pensait immuable.
Xiao Hong
En troisième lieu, il me faut absolument vous parler de Xiao Hong, un véritable coup de cœur pour moi. Le Mouvement du 4-Mai a permis aux femmes de faire entendre leur voix à travers la littérature pour la première fois. Xiao Hong est l’une de celle qui profitera de cette opportunité. Née en Mandchourie dans le Nord-Est de la Chine, elle doit prendre la fuite quand l’envahisseur japonais arrive. Les nouvelles de Xiao Hong parlent d’injustice et d’exclusion, les personnages sont touchants dans leur simplicité. Ma nouvelle préférée est sans doute Les Mains, qui raconte l’histoire d’une fille de teinturier au collège, les difficultés qu’elle rencontre et le rejet qu’elle subit. Xiao Hong met en scène la fragilité humaine, mais aussi la résilience dont il faut faire preuve face à l’adversité.
Mao Dun
Le dernier auteur que je veux vous présenter est Mao Dun. Cet auteur était présent lors de la création du Parti Communiste Chinois (PCC) et une grande partie de son œuvre est un appel à la jeunesse à participer à la vie sociale et politique, à être un élément actif dans la construction de la nouvelle Chine. Toutefois, la part la plus intéressante de l’œuvre de Mao Dun réside dans sa description détaillée du Pékin des années 1930. Une ville, mais aussi un pays, ravagés par l’instabilité politique et la guerre. Si Mao Dun a grandement contribué à la diffusion du communisme en Chine et a longtemps été proche du PCC, il s’en éloignera à partir des années 1940. Afin de se protéger des représailles du PCC, il brouille les événements de sa vie, ce qui fait qu’à ce jour aucun biographe ne semble s’entendre sur la façon dont il a vraiment mené sa vie.
C’est un tout nouveau monde littéraire qui est né avec les auteurs du 4-Mai, le style réaliste gagne en importance et il y a une grande diversification des personnages mis en scène. Bien que la majorité des auteurs de ce mouvement ait été interdite après la prise du pouvoir par le PCC, ils continuent d’influencer la littérature chinoise contemporaine. Il reste chez les intellectuels cette volonté de rendre le monde meilleur grâce à la littérature.
Et vous, pensez-vous qu’il y a des livres qui peuvent changer le monde?
Ping : Plongeon dans l’univers des Aveugles, par Bi Feiyu | Le fil rouge