Des fois, la ligne est mince entre la sociologie et la littérature. Un bon ouvrage sociologique peut se lire comme un roman policier avec un mystère, l’observation d’une anomalie et une enquête pour en découvrir la source. De même, certains romans sont tellement précis dans leur représentation de l’univers dans lequel évoluent les personnages et le type d’interaction qu’il y a entre ceux-ci, que l’on dirait de l’observation sociologique. Il ne manque plus qu’une question de recherche et une analyse des données! C’est pour ça que je crois que certains auteurs, comme Léon Tolstoï, Virginia Woolf et Annie Ernaux, auraient aussi fait de bons sociologues. C’est aussi le cas de l’auteur qui nous occupe dans cet article : Bi Feiyu.
Bi Feiyu est un auteur chinois qui écrit à la fin du XXe siècle, alors que la Chine connaît un début d’ouverture sur le reste du monde et que les écrivains sont à la recherche de leurs racines culturelles. Dès ses premières publications, il connaîtra une grande popularité, autant chez les critiques que parmi les lecteurs. Il sera influencé par les auteurs réalistes et les auteurs du 4-Mai (dont je vous ai parlé ICI). Bi Feiyu s’attarde à décrire la psychologie complexe des êtres humains, particulièrement des groupes marginalisés. Les Aveugles se veut une incursion psychologique et sociale dans le monde des non-voyants en Chine. L’histoire se déroule principalement sur leur lieu de travail, le centre de Tuina, où les personnages sont des massothérapeutes certifiés. Leur condition d’aveugle est censée faire en sorte qu’ils sont les meilleurs dans ce domaine parce que leur sens du toucher serait plus développé que la moyenne. À travers ce roman on rencontre des personnages qui tentent, à travers des jeux de pouvoir complexes, de faire la place dans le monde. Plus que tout, ils veulent être traités comme des êtres humains à part entière, être reconnus pour ce qu’ils sont, trouver le bonheur et peut-être même l’amour.
Bi Feiyu nous offre donc une incursion dans le monde des non-voyants avec une construction narrative par portrait et non pas de façon chronologique. Ceci permet à chaque personnage d’avoir son heure de gloire, d’être le temps d’un chapitre ou deux le personnage principal du roman. La grande force narrative de Bi Feiyu réside dans la fluidité que l’on retrouve en passant d’un tableau à l’autre. L’important n’est pas tant la chronologie des événements que de comprendre la fierté et l’orgueil qui habitent chacun des personnages. Ils cherchent à sauvegarder leur amour propre en refusant la pitié des voyants, en refusant d’être jugés en fonction de leur handicap, en refusant de se sentir constamment redevables envers la société.
Quel univers méconnu avez-vous découvert grâce à un roman?