Des livres en attente d'être lus dans ma bibliothèque, je n'en manque pas. Malgré tout, je continue à fréquenter les librairies de manière compulsive et à me laisser charmer par certains livres que je m'empresse de lire en faisant fi de l'ordre de lecture que j'avais soigneusement prévu. Le roman Le corps de ma mère de l'auteure d'origine tunisienne Fawzia Zouari est l'un de ces livres qui ont attiré mon attention. Pourtant, cette auteure m'était inconnue. Toutefois, j'avais le goût d'ouvrir mes horizons à la Tunisie et aux femmes qui peuplaient les villages de ce pays avant d'être chamboulées par « la modernité ». Ce fut une belle découverte littéraire qui m'a permis de me plonger dans un univers surprenant.
Le roman de Fawzia Zouari est divisé en trois livres. Dans le premier livre, la narratrice raconte comment se sont déroulés les derniers jours de la vie de sa mère, Yamna. Alors que cette dernière est à l'hôpital dans le coma, sa fille, revenue de France dans l'urgence, passe ses journées à son chevet en compagnie des autres membres de sa famille. Elle profite de l'occasion pour chercher à comprendre qui était sa mère qu'elle estime ne pas avoir réellement connue, mais elle y parvient difficilement. Puis, alors qu'elle ne s'y en attend pas, elle réussit enfin à trouver sa porte d'entrée vers le récit de la vie de cette mère mystérieuse. C'est à ce moment que le deuxième livre intitulé Le conte de ma mère s'entame. Ce livre raconte les origines de sa mère ainsi que la vie de celle-ci dans le bled tunisien d'Ebba. Enfin, le dernier livre, L'exil de ma mère, raconte les vieux jours de cette mère dans la capitale tunisienne après qu'elle eut été forcée par sa progéniture de quitter le village auquel elle était attachée.
Dès le début du roman, la narratrice nous avertit qu'elle donne accès au lecteur à un monde qui lui serait normalement fermé, soit celui des femmes musulmanes de cette époque. Elle écrit :
Nos mères ne disaient pas leur joie ni se plaignaient. Veillaient à sauvegarder l'essentiel sans rire ni fanfaronner. Et s'il arrivait qu'on les entende c'était pour chanter une naissance ou pleurer une mort. Puis, le silence de nouveau, destiné à préserver l'enfance pour plus tard.
C'est dire que je connais peu de choses sur elle! Non pas qu'elle n'aimait pas raconter, ma mère. Elle emplissait notre enfance de contes et de légendes pour éviter les récits intimes. Les miracles des saints servaient à détourner notre attention du cours réel de son existence, et les descriptions précises des êtres de l'au-delà orientaient nos regards sur autre chose que son corps. Oui, maman prenait des chemins de traverse chaque fois que le propos risquait de passer par ses secrets! Elle fermait d'une main l'accès à sa propre vie, de l'autre elle nous tendait la clef du monde et son trousseau de mystères.
Ainsi, dès le début du deuxième livre, je me sentais privilégiée de connaître la vie de Yamna, cette femme passionnante et forte, malgré qu'elle était astreinte à vivre recluse dans une société qui accordait peu de libertés aux femmes. Puis, conviée à découvrir les anecdotes des habitants d'Ebba, je me suis laissée aller à ce récit empreint de vie. Cette femme, qui nous est d'abord présentée comme étant très froide, devient, au fur et à mesure de la lecture, attendrissante alors que l'on comprend mieux les préoccupations qui l'habitent.
Le corps de ma mère a remporté le prix des cinq continents de la francophonie dont le but est de mettre en valeur la diversité culturelle de la langue française. Sans aucun doute, cet ouvrage mérite cette distinction. Il a atteint ce but chez moi en m'éveillant à des traditions et à une réalité culturelle que je ne connaissais pratiquement pas. Si c'est le genre d'expérience que vous recherchez lorsque vous ouvrez les premières pages d'un roman, je crois que ce roman saura vous intéresser et vous toucher.