Lorsqu’on foule les bancs de l’université en tant que futurs enseignants, on a la chance d’être mis en contact avec des œuvres jeunesse parfois percutantes. Il y a quelques années, dans un cours dont j’oublie le nom, ma professeure nous avait fait la lecture d’un album jeunesse écrit par Bertrand Santini et illustré par Bertrand Gatignol aux éditions Autrement.
Comment j’ai raté ma vie.
Nous avions rigolé un peu en entendant le titre. Comment j’ai raté ma vie. Quel titre saugrenu, quelle idée d’intituler un album jeunesse ainsi! Quel coup de génie, aussi, d’utiliser un titre aussi percutant, qui, dès sa lecture, nous donne envie d’en savoir plus. Ne voulant nous en dire plus, notre professeure a commencé à nous lire l’album sans nous permettre de regarder les images.
Comment j’ai raté ma vie. Les mots de ce texte nous amènent à découvrir l’histoire d’un homme qui fait état du gâchis qu’est devenue sa vie, elle qui avait pourtant si bien commencé. À l’aide de phrases courtes, mais percutantes, il nous explique comme il était heureux durant sa jeunesse, alors qu’il vivait dans un endroit magnifique, qu’il était bien entouré et qu’il possédait une grande intelligence. Puis, au fil du temps, alors que la vie adulte l’a rattrapé, sa vie s’est détériorée. Ses amitiés se sont évaporées, son intelligence aussi. Il est devenu menteur, sans beauté et sans amour.
Tout se passait bien… jusqu’au jour où j’ai grandi.
Nous avons tous terminé notre écoute, troublés. Voilà qu’on nous faisait le récit d’une déchéance déchirante, d’un parcours de vie qui ne menait que sur le vide. Et il s’agissait d’un album jeunesse par-dessus le marché!
Devant notre réaction, notre enseignante nous a annoncé qu’elle nous referait une lecture de l’ouvrage, cette fois en nous donnant accès aux images. Dès lors, nous avons été confronté au véritable sens de l’échec chez cet homme. Les images de sa jeunesse où il avait été si heureux ne ressemblaient en rien au bonheur qu’il nous avait décrit. Sa maison de rêve était en réalité un taudis en ruine, sa plus chère amitié était celle qu’il partageait avec une peluche, sa beauté incroyable ne correspondait pas aux standards de la société… Mais alors que tout cela nous parait comme ridicule, lui, vivait, à ce moment, les plus belles années de sa vie. Premier coup de poing.
Et ça continue. Vint l’âge adulte. Cette période de misère, cette période où tout s’est effondré pour le personnage principal de cet album. Alors qu’il se dit sans ami, on le voit entouré de dizaine de confrères de travail, alors qu’il se dit stupide, on le voit obtenant son diplôme, alors qu’il se dit laid, on le voit modifier son apparence pour répondre à ce qu’on attend de lui dans la société… Deuxième coup de poing.
Les images, ici, ont un pouvoir gigantesque. Elles viennent lancer un message d’une force inouïe en s’opposant au texte, ou du moins, en nous semblant s’opposer au texte. Elles viennent démontrer comment le bonheur peut être très loin de ce que l’on qualifierait comme tel. Elles nous rappellent, de façon brutale, que le bonheur est bien plus une question de perception de soi que de réussite, d’argent ou de ce que l’on attend de nous.
J’ai passé des années à chercher cet ouvrage dans les librairies, il manquait cruellement à l’appel. J’étais dévastée par mon incapacité à le retrouver, alors que nous avions appris tellement avec ce simple album de quelques pages. Il me semblait que, si moi, alors étudiante universitaire, avait été aussi marquée par cette lecture, elle pourrait également toucher les jeunes esprits avec force.
Je l’ai retrouvé la semaine dernière, il m’attendait sur la table de la bibliothèque de mon école. Je l’ai relu en vitesse pour voir si je n’avais pas embelli son effet sur ma personne. Encore une fois, mille frissons se sont emparés de moi pendant que je relisais cet album coup de poing.
Il n’y a pas à dire, l’auteur a créé, avec cet ouvrage, un puits sans fond de réflexion, un bijou qui ne laisse personne indifférent. Comment j’ai raté ma vie saura, sans aucun doute, faire réfléchir les enfants, comme les plus grands, sur le réel sens d’une vie réussie.
Merci de partager cette histoire touchante et inspirante.
Moi qui ait recommencé ma vie à quelques reprises, j’ai le goût de lire et partager cet album. Si vous savez où le trouver, Il pourrait revivre dans les classes que je visite.
Melanie, enseignante
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Bonnjour, merci pour ce commentaire. L’album est maintenant beaucoup plus facile à trouver en librairie. Le site suivant vous donne d’ailleurs un aperçu des endroits où vous pourrez vous le procurer, peu importe dans quelle région vous vous trouvez: https://www.leslibraires.ca/livres/comment-j-ai-rate-ma-vie-bertrand-santini-9782746713376.html . Il est aussi possible de le commander en ligne!
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Moi aussi j.avais été secouée par cet album. Par cette totale (apparente) contradiction entre texte et image. Je viens de l’acheter pour l’offrir à Noël. Je pense le moment bien choisi pour repenser nos échelles de valeurs. Bertrand Santini est décidément un grand auteur.
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Je suis bien d’accord. Quelle belle idée de partager cet ouvrage pour Noël!
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