Littérature québécoise
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Fictions et récits de Compostelle (partie 1) : La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes d’Amélie Dubois

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Marcher le chemin de Compostelle a été pour moi une expérience marquante. Revenue dans la vie quotidienne, j’ai eu de la difficulté à retrouver dans ce qui m’entourait la sensation qui m’a habitée tout au long de mon pèlerinage. Le fait d’aller à la rencontre d’œuvres littéraires dans lesquelles des auteur.e.s racontent leur expérience du chemin a été un moyen de ressentir à nouveau le bonheur de marcher, dans ma tête, la littérature me permettant de combler le vide laissé par mon retour et de revivre l’expérience à travers elle. Dans cette série d’articles, je présenterai quelques-unes des œuvres qui se passent sur le Chemin de Compostelle. Peut-être vous donneront-elles envie de partir, vous aussi, au sens propre comme au niveau littéraire?

 

Amélie Dubois. La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes

Pendant l’été 2017, je marche le « Camino del Norte », un des nombreux chemins de Compostelle situés en Espagne. En 2015, Amélie Dubois publie La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes, un roman dans lequel elle raconte l’histoire d’une protagoniste marchant le « Camino francés » en Espagne, qui est l’une des routes les plus célèbres. En décembre 2017, je tombe par hasard sur son livre et décide de m’accorder un petit moment de lecture au cœur des tumultes de la fin de ma rédaction de mémoire.

Pendant l’été 2017, je traîne dans mon pack-sack un petit cahier Moleskine beige, qui accueille mes réflexions à la manière d’un journal mais aussi d’un cahier de notes. J’y entasse des listes, des anecdotes, des descriptions de mes rencontres… J’y commence d’ailleurs une section intitulée « Anecdotes d’albergues » dans laquelle je décris chacune de mes auberges de jeunesse à l’aide un mini paragraphe commençant par « La fois où ». C’est peu dire, j’ai eu mon lot d’expériences anecdotiques au fil du chemin et c’était une locution tout à fait pertinente pour les décrire.

La fois où, après 37 km, je suis arrivée juste à temps pour prendre une des dernières places d’une albergue située à deux pas d’une cathédrale qui a sonné à toutes les heures de la nuit.

La fois où il y avait un party devant notre fenêtre, un oiseau siffleur incessant et qu’on devait faire des acrobaties de cirque pour monter dans nos lits à deux étages trop haut et surtout, sans échelles.

La fois où l’albergue n’avait pas d’eau et où aucun pèlerin n’a pu prendre sa douche après avoir marché 27 km.

Ce bref échantillon ne fait qu’effleurer les péripéties que m’ont donné à vivre les 44 auberges de jeunesse qui m’ont accueillie au fil des jours. C’est quand même drôle qu’Amélie Dubois utilise justement cette formule pour parler du Chemin. « La fois où… », comme si on ne pouvait marcher le Chemin sans vivre des situations inusitées. Mais ces « fois où » ne sont qu’une partie des choses que La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes et mon aventure du Camino ont en commun.

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La fois où… il fallait aller à droite. Quelque part en Galice, Espagne.

Partir pour sortir des tracas de la vie 

La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes nous présente Mali Allison, jeune femme dans la trentaine, ancienne psychologue qui a tout quitté pour écrire à temps plein, ce qu’elle fait d’ailleurs, au moment où on entre dans le roman, depuis plusieurs années. En couple depuis sept ans, sa relation ne lui convient plus, mais elle s’y accroche désespérément. Alors qu’un amalgame d’évènements bouleversants arrivent en même temps, elle décide que le moment est venu de concrétiser un des souhaits inscrit sur sa bucket list, c’est-à-dire aller marcher une partie du Camino francés, en Espagne. Elle fait donc son sac et part pour une escapade de trois semaines… qui finira par s’allonger de trois semaines supplémentaires afin d’atteindre Santiago, qui est la destination finale de la plupart des pèlerins. Six semaines à suivre les fameuses flèches jaunes. Son but? Trouver des réponses, travailler sur elle-même… et revenir avec une idée pour un prochain roman.

J’ai adoré la façon dont Amélie Dubois raconte son périple. Manifestement, il est très autobiographique, et on le sait non seulement par la photographie prise d’elle-même sur le Chemin qu’on retrouve à la dernière page du roman, mais aussi par les innombrables détails que seul.e un.e pèlerin.e peut savoir ou avoir vécu. J’y ai d’ailleurs retrouvé plusieurs échos avec ma propre expérience. Par exemple, l’acquisition de notre credencial (le petit livret dans lequel chaque auberge qui nous accueille appose une étampe, ce qui marque notre progression); les joies des dortoirs de groupe (avec notamment les ronfleurs, qui sont peut-être la pire chose-qu’on-ne-vous-dit-pas-avant-de-partir et qui apparaissent une fois la lumière éteinte: comme quoi même les plus sympathiques voisins de lits peuvent se révéler être des monstres du ronflement!); la lessive faite à la main, tous les jours (et qui ne sèche pas toujours bien si on n’a pas de tordeur à disposition); le fameux « Buen camino! » lancé à chaque personne croisée sur la route; les couvre-feux à 22h; les questions d’usage que tout le monde pose à tout le monde (sur le Chemin, on demande rarement où on va, mais surtout d’où on vient. « Et toi, d’où es-tu parti.e?! » Et au fur et à mesure que le voyage avance, il se crée une sorte de respect pour les marcheurs qui proviennent du plus loin); les douleurs physiques des premiers jours; les derniers kilomètres de la journée qui sont les plus difficiles; les amours de Camino, communément appelés les « Camino Crush »; les rencontres spontanées de gens qu’on ne revoit plus jamais parce qu’ils ont ou parce qu’on a soi-même pris de l’avance; les gens que tu ne pensais jamais revoir, mais que tu revois finalement à la toute fin; la satisfaction innommable que tu vis chaque soir, une fois les souliers retirés et la douche prise, pour la distance que tu viens de parcourir; les rires partagés en fin de soirée; les journées vraiment trop chaudes; ou juste le fait de marcher, qui devient alors la chose la plus importante de toutes. Mali vit la route du Chemin un peu à la manière dont je l’ai vécu, et les émotions qui sont décrites sont profondes et sincères. J’ai aimé marcher avec elle à travers le roman et parcourir tant les étapes interminables, sous l’indescriptible chaleur, que les jours plus monocordes, pluvieux; tant les étapes chaleureuses, plus calmes, que les mouvementées.

Les personnages d’Amélie Dubois sont définitivement hauts en couleur, et les dialogues maîtrisés, punchés. Le roman est, cependant, un peu long à décoller. Amélie Dubois nous offre une longue mise en bouche d’une centaine de pages dans lesquelles elle fait advenir visites chez le coiffeur, amies et congrès de filles (pour ceux ou celles qui ont lu ses autres romans, vous comprendrez). Un peu caricaturés et plutôt extravagants, ces passages m’ont laissée indifférente. Lorsqu’ils revenaient périodiquement, au fil des chapitres, j’avoue que je les sautais, sans les lire. Son style est d’ailleurs un peu intense par moments, même s’il a beaucoup de saveur. Personnellement, je pense que je préférais de loin les moments un peu plus sérieux, émotifs, que ceux où l’humour frôlait parfois le ridicule.

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La fois où… on avait bien marché. Deba, Espagne.

Spiritualité et réflexions sur la vie

Ce qui est intéressant avec le Chemin de Compostelle, c’est qu’on y retrouve la spiritualité à différents degrés. Libre à tous d’y prendre ce qui les rejoignent. Cet aspect est bien présent dans le roman d’Amélie Dubois, dans lequel la protagoniste est souvent confrontée à des questionnements s’accordant à cette dimension. Par exemple, il arrive un moment où Mali croise cette immense inscription: « WHY ARE YOU WALKING? », qui vient la faire se questionner sur ses raisons de faire le chemin. Ces interrogations reviennent nécessairement à celui ou celle qui se lance volontairement dans une aventure, surtout lorsqu’elle implique de marcher un mois et demi sur des chemins pas toujours plats. Pourquoi tu marches, toi? Cette question, d’ailleurs, on se la pose tous, souvent. Libre à nous d’y répondre.

Ou encore, il y a les fameuses roches qu’il est coutume de porter dans son sac comme représentation d’un problème ou d’une situation que l’on prévoit ensuite laisser derrière soi, métaphoriquement :

Trimballe une pierre qui incarne ce que tu veux laisser derrière toi à la fin de ton pèlerinage. Tu la portes avec toi dans ton sac et, à Santiago ou avant, tu la laisses quelque part. Tu t’en débarrasses pour toujours.

Vers la fin du chemin, quelques étapes avant Santiago, on voit beaucoup de ces roches sur les bornes indiquant les kilomètres restants. Les gens se délaissent de ce qu’ils ont réussi à « régler » sur leur route. Le sac du marcheur, qui ne fait qu’un avec lui, est d’ailleurs souvent une image forte qui est utilisée pour illustrer la charge que chacun porte mentalement pendant la marche. Amélie Dubois le convoque aussi, surtout que, pour Mali, le voyage est sous-tendu d’un poids provenant des raisons de son départ :

Le poids du sac du marcheur équivaut à la somme des peurs de celui qui le porte. Je dois donc trouver le comptoir d’enregistrement de ma compagnie aérienne afin d’y déposer douze livres et demie de peur à destination de l’inconnu.

Mais surtout, la spiritualité est amenée tout au long du roman par l’intermédiaire d’un roman que Mali apporte avec elle, un petit livre qui va accompagner sa route physique et spirituelle : Changez vos pensées, changez votre vie, de Wayne W. Dyer. Mais si elle y fait souvent référence, il ne pèsera jamais négativement sur le récit. Le roman en lui-même est d’ailleurs rempli de ces phrases qui viennent nous faire réfléchir, ce que j’ai trouvé tout à fait chouette, puisqu’elles s’insèrent dans un récit qui a de la place pour elles.

La vie, c’est ça […]. Des rencontres et des personnes sur la route, avec qui l’on chemine.

 

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La fois où… c’était quand même bien (trop) indiqué. Güemes, Espagne.

Amours et rencontres du chemin

Et bien sûr, le chemin est un endroit où les rencontres sont les plus importantes, les plus intéressantes, les plus fortes. Amélie Dubois réussit bien à exprimer ce qui se passe entre les marcheurs, de tous âges et de toutes nationalités, lorsqu’ils se croisent au fil de la route ou dans les auberges de jeunesse. Il se crée, entre tous, des amitiés significatives, évoluant beaucoup plus rapidement que dans la vie quotidienne, notamment parce que le contexte est propice aux rapprochements et qu’il permet des rencontres des plus authentiques. Amélie Dubois le décrit bien :

[…J]e ne me soucie même pas de quoi j’ai l’air. Jamais maquillée, toujours les mêmes vêtements. […] En chemin, on ne peut pas jouer ni prétendre être quelqu’un d’autre. Le chemin fait ressortir, qu’on le veuille ou non, autant les bons que les mauvais aspects de notre personnalité.

Au fil de son périple, Mali rencontre quelqu’un qui va bouleverser son voyage. Et pour cela, le roman La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes prend tout son écho avec ma propre expérience, dans laquelle un pèlerin étranger rencontré par hasard devient un ami, puis un compagnon de marche, puis un amoureux. « L’aventure se passe avec [lui], dorénavant ». Et Mali vit de la même façon cet étrange allongement du temps qui caractérise ces rencontres, quelques semaines ensemble signifiant alors des mois et des mois de fréquentation à vitesse « normale ». On s’accroche à ces histoires parce qu’elles sont – ou nous apparaissent alors – comme des plus vraies.

Le roman d’Amélie Dubois est rafraîchissant, touchant et nous donne irrésistiblement envie de partir, ou bien, dans mon cas, de repartir… Qu’attendez-vous pour chausser vos bottes de marche et vous lancer à l’aventure? Mais pour cela, pas besoin de traverser l’océan! Comme le rappelle un marcheur à Mali, « le véritable chemin ne commence qu’une fois qu’on a arrêté de marcher », c’est-à-dire partout, tous les jours, il ne suffit que de le décider.

Et vous? Pourquoi marchez-vous?

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