J’ai toujours été une raconteuse d’histoires. Lorsque j’étais enfant, j’occupais le plus clair de mon temps à imaginer des mondes et les personnages extraordinaires les peuplant. Je me souviens même avoir utilisé les jeux vidéo pour en détourner l’objectif initial dans l’unique but de réinventer une vie au protagoniste principal. Avec moi, Link vivait de toutes nouvelles aventures sur son île dans Wind Waker. Le plus intéressant dans tout cela, c’est que j’avais déjà un public à l’époque, incarné par mon petit frère. Aujourd’hui, presque vingt ans plus tard, je me prête encore à ce petit jeu à travers les jeux de rôle.
Comment on écrit une partie de Donjons et Dragons?
En fait, c’est assez simple. J’écris une histoire comme j’écrirais un roman. Il y a de courtes descriptions amalgamées à des dialogues. Bien entendu, je dois laisser des trous dans le scénario puisque je ne peux pas prévoir les réponses de mes joueurs. Par conséquent, il m’arrive très souvent de devoir improviser, et ce, même si le texte est écrit depuis plusieurs semaines. On ne sait jamais jusqu’où les joueurs vont nous conduire. Il faut donc être à l’aise avec les imprévus et ne pas trop s’attacher à certaines scènes pré-établies. L’écriture se fait de façon individuelle. Après tout, je dois garder mes secrets pour surprendre le plus possible mes joueurs. Je consacre dix à douze heures d’écriture par partie. Je m’inspire ici et là. Parfois, j’emprunte des objets magiques à des mondes fictifs déjà existants. D’autres fois, mes personnages ressemblent beaucoup à certains protagonistes rencontrés dans des livres ou dans des séries télévisées. Bref, je n’hésite pas à laisser mon imagination se balader entre mes influences personnelles et mon monde intérieur.
Écrire des aventures pour des joueurs réels
Écrire des parties de Donjons et Dragons, c’est plonger tes amis dans ton esprit et espérer ne pas les décevoir. Cela représente un réel défi. Une pression énorme, mais stimulante s’empare de moi lorsque vient le moment de satisfaire l’imagination bouillonnante de mes joueurs. Il faut penser à tout. Comprendre chacun de leurs besoins. Une telle veut devenir un Animagus. Un tel souhaite vivre une relation amoureuse avec son mentor. Une autre a des convictions politiques très ancrées qu’il faut mettre en ligne de compte. Quel bonheur de permettre à tous ces personnages fictifs de prendre vie! Plus précisément, je participe et j’assiste à la naissance de la créativité pure de mes amis. Je me dois donc de leur offrir le meilleur des panoramas, le meilleur des espaces, pour développer leur deuxième « moi ». Quoi de mieux que le genre fantastique pour y arriver?
Une réaction immédiate
Évidemment, en faisant vivre des aventures imaginaires à des individus du monde authentique, je vis aussi leurs réactions en temps réel. La réception est immédiate. Elle ne se fait pas à travers des critiques dans les journaux ou par des messages dans ma boîte de courriels. Elles sont transmises à même leurs expressions faciales et les sentiments que je tente de leur faire expérimenter. Sans avoir l’air sadique, faire pleurer un joueur, c’est une sorte d’apogée en tant que maîtresse de jeu. Ils finissent par s’investir pleinement dans leur rôle et bientôt, ils deviennent ceux qu’ils ont inventés. Ils débordent de passion et ils prennent à cœur leur seconde identité. Il arrive donc qu’ils soient déçus, ce qui est extrêmement difficile à voir pour celui ou celle qui crée leur périple. Bref, écrire des jeux de rôle, c’est autant apprendre à accepter ses échecs qu’à savourer ses belles victoires.
La création de personnages
L’écriture de jeux de rôle implique également la création de NPC (Non Playing Character ou PNC en français, Personnages Non Joueurs). D’une part, j’écris ces personnages en fonction du caractère de mes joueurs afin que certains de ceux-ci deviennent amis et que d’autres deviennent ennemis. D’autre part, il arrive que ces protagonistes reflètent, d’une façon ou d’une autre, ma propre personnalité. Après tout, c’est moi qui devrai incarner leurs défauts et leurs qualités. Je dois jouer le rôle du caméléon et me glisser dans la peau de multiples personnages aux ambitions diverses. Par moment, je suis une vieille femme bornée, mais pleine de ressources. À d’autres instants, je suis un homme imbu de lui-même et à l’égo démesuré. Il faut donc être polyvalent afin de rendre le jeu le plus crédible possible.
Écrire des parties de Donjons et Dragons en tant que femme
Ce n’est un secret pour personne, le monde des jeux de rôle est manifestement plus masculin que féminin. Heureusement, dans les dernières années, il y a un véritable engouement pour ce loisir et les femmes sont enfin les bienvenues. Par conséquent, l’arrivée des femmes au sein de ce jeu a fait évoluer la façon de l’aborder. De nouvelles possibilités voient le jour et une vision novatrice s’offre à tous et à toutes. Il nous appartient maintenant de créer des univers dans lesquels les femmes peuvent être fortes physiquement et psychologiquement. Elles peuvent être des combattantes inégalées. Elles ont le droit d’être des femmes de tête, aux commandes d’un royaume complet, et ce, grâce à leur qualité de meneuses et non en raison d’un mariage fructueux. Bien entendu, rien ne les empêche de jouer un rôle plus « traditionnel ». Tout est possible. D’ailleurs, je crois qu’il s’agit de la plus grande force de ce jeu: il n’y a pas de limites. Vous pouvez être qui vous voulez et faire ce qui vous plaît. J’ai le plaisir immense d’être une des créatrices de ce monde meilleur et rien ne peut me combler plus.
Depuis que j’écris des aventures pour mes compagnons, je me rends compte que l’écriture de fiction a toujours fait partie de moi. Lorsque j’étais jeune, je rêvais d’écrire des romans dans lesquelles une jeune fille découvrait des mondes magiques. En vieillissant, je me suis tournée vers la poésie et mon rapport à l’écriture a changé de façon assez radicale. L’écriture de parties de Donjons et Dragons agit comme un échappatoire pour moi. Elle me permet de retrouver mes plaisirs d’enfant.
Vous êtes-vous déjà prêtés à ce genre d’exercice? Avez-vous déjà écrit des aventures ou des histoires pour vos propres amis? Avez-vous été de ces joueurs qui se prêtent cœur et âme au jeu?
Crédit photo : Michaël Corbeil