Littérature québécoise
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Créatures du hasard: donner la parole aux femmes

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Ceux et celles qui me connaissent savent que je suis captivée par l’Amérique latine depuis des lustres. Ce n’est donc pas surprenant que Lula Carballo, autrice québécoise d’origine uruguayenne, ait piqué ma curiosité lorsque j’ai entendu parler de son premier roman, une oeuvre dédiée à sa grand-mère, où l’autrice retrace le quotidien de son enfance en Uruguay.

Ce roman écrit en fragments m’a beaucoup plu. Si les origines de l’autrice nous incitent à croire que l’histoire se déroule en Uruguay, le récit est tellement universel par son authenticité que l’intrigue pourrait tout aussi bien se dérouler au Québec. Les morceaux de l’enfance de Lula se succèdent au fil des cent-cinquante pages du roman, et forment un casse-tête volontairement incomplet, où le.la lecteur.trice doit combler les trous par lui.elle-même. Le non-dit est aussi important ici que l’énoncé.

L’histoire d’une famille contaminée par la dépendance au jeu

Lula grandit au cœur d’une famille et d’un quartier très pauvres. Les habitants de sa rue brûlent leurs déchets à l’avant de leurs maisons et les coups de feu retentissent dans la nuit. Sa mère travaille comme femme de ménage et rêve d’une vie sans insécurité financière. Et surtout, son arrière-grand-mère, sa grand-mère et sa mère ont toutes une dépendance au jeu, qui se transmet de génération en génération selon la narratrice:

« Léo [son arrière-grand-mère] m’envoie jouer à la Quiñela. Je mise une grosse somme sur le 227, une autre sur le 342 et je garde ce qui reste pour un troisième numéro. Je choisis le 216, jour et mois de ma naissance. L’épicier me laisse faire, même si je suis mineure. Léo est une bonne cliente. Il ne soupçonne guère que la maladie familiale se propage dès le plus jeune âge. »

La dépendance au jeu de la mère de Lula est telle que les deux femmes doivent parfois jeûner quelques jours faute d’argent à dépenser pour manger. Le titre du roman est, par conséquent, judicieusement choisi; dans cette histoire, les femmes sont des créatures du hasard, puisque leur vie est déterminée par le jeu.

L’influence de Ducharme 

Étant une grande admiratrice de l’oeuvre de Réjean Ducharme, j’ai été ravie d’apprendre que Lula Carballo fut très inspirée par cet auteur lors de la rédaction de son roman. On dénote d’ailleurs une certaine ressemblance entre sa narratrice et les personnages d’enfants dans les romans de Réjean Ducharme – notamment dans Le nez qui voque, L’avalée des avalés, et L’Océantume. À l’instar des personnages ducharmesques, la narratrice enfant dans Créatures du hasard est pourvue d’un regard extrêmement lucide sur le monde adulte qui l’entoure. Par moments, on sent la voix de l’enfant fictif alterner avec la voix de l’autrice adulte.

La candeur de l’enfance est également très bien représentée à travers l’écriture de l’autrice. Malgré la misère qui l’entoure, l’enfant trouve manière de s’amuser dans le bazar des adultes. Tout devient magique dans le regard de la narratrice, qu’il s’agisse de la pilule que sa mère prend pour ne pas entendre la voisine ou des bocaux qu’elle remplit de farine et d’eau pour faire des «potions magiques».

Voix féminines

Omniprésentes, les femmes sont les protagonistes du récit, ce qui contraste avec la quasi-absence des hommes. Le roman donne la parole aux femmes, peu importe leur âge, leur comportement ou leur situation sociale. Le livre débute d’ailleurs avec un extrait du roman Les Enfantômes de Réjean Ducharme, dans lequel l’absence du père est mise en exergue, ce qui est annonciateur du propos central du livre:

« On était trois dans la grande maison, trois tourtereaux de rien, si seuls et si bien. Pas de père. On ne savait pas ce que c’était. Quand on l’a su, on n’a pas trop compris à quoi ça aurait pu servir. »

Dans une entrevue médiatique, l’autrice a souligné qu’elle voulait ainsi mettre l’accent sur «ce qui se passe quand les hommes ne sont pas là».  Le récit insiste sur l’observation du quotidien des femmes, dans une société où elles sont souvent effacées. En ce sens, le roman s’inscrit dans la littérature féministe, ce que j’ai personnellement fort apprécié.

Et vous, avez-vous découvert des récits qui laissent la place entière aux femmes?


Le fil rouge remercie les éditions Cheval d’août pour le service de presse.

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