Littérature québécoise
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Roux clair naturel de Fanie Demeule : performer la rousseur envers et contre tous

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Mentir. Raconter un évènement en occultant certains détails. Trafiquer le déroulement d’un souvenir. Qui ne l’a pas déjà fait? Je suis la première coupable. Que ce soit pour ne pas avoir à entrer dans des longues explications concernant des choses personnelles, pour faire plaisir, pour masquer l’inconfort, j’ai menti. Mais j’ai aussi menti pour être mieux vue, pour ne pas être jugée. Dire « oui », alors que non, je n’étais alors pas en couple. Ou répliquer « j’étais malade » à quelqu’un qui me reproche de ne pas être allée à une soirée où j’ai « choqué » à la dernière minute. Est-ce à dire qu’on finit par croire à nos mensonges, à ces petites menteries qui viennent camoufler la réalité, la rendre meilleure ou plus alléchante? Et si ces petits mensonges paraissent inoffensifs, que faire lorsqu’ils prennent des proportions considérables?

J’avais hâte de lire le second roman de Fanie Demeule, qui est aussi une collègue et amie. Son livre Roux clair naturel, dont le thème principal est le mensonge, ne m’a pas déçue et je l’ai dévoré. Ce livre a tout d’un thriller « capillaire » qui, par la force de l’écriture, nous transporte dans l’esprit obsessionnel d’une héroïne dont la rousseur ne peut qu’être vraie, tant performée qu’incarnée.

Le pouvoir du mensonge

Le pouvoir du mensonge, la narratrice de Roux clair naturel le découvre très jeune. Elle est à la garderie lorsqu’elle raconte des histoires rocambolesques à ses camarades. Ceux-ci la croient, la magie opère, et elle voit ses mensonges prendre vie. Déjà, la fiction qu’elle se crée rejoint la réalité et la jeune fille découvre le pouvoir qu’elle détient sur celle-ci.

Alors qu’elle se teint les cheveux massivement et qu’elle s’identifie aux héroïnes rousses de son enfance pour convaincre (elle-même et les autres) qu’elle est née avec cette couleur, l’héroïne voit un jour l’étau de son mensonge capillaire se resserrer sur elle, dramatiquement. À 17 ans, elle rencontre le garçon qui deviendra son chum pour les années à venir. Adepte des rousses, il la remarque et elle lui dit ce qu’il (et elle) veut entendre, ce mensonge fatal : « oui », c’est sa couleur naturelle.

La construction de son identité de rousse se fait donc par une performance constante dans laquelle elle se complaît, mais aussi par une vigilance inébranlable et obsessionnelle qui se met tranquillement à la détruire de l’intérieur. Tous les sacrifices et toutes les cachotteries possibles sont mis en place pour garder cette fiction réelle et la faire exister pour vrai. S’il n’y a « pas de honte à se teindre », comme dit une femme que la narratrice rencontre, c’est pourtant là que tout se joue, au contraire, car s’il y a la rousse naturelle, ce spécimen d’une rareté singulière, la fausse rousse est, pour sa part, un être de seconde catégorie qui incarne une grossière supercherie.

Un roman de l’obsession

Aborder le thème du mensonge par l’intermédiaire de la coloration des cheveux est vraiment original et j’ai trouvé que l’autrice réussit vraiment bien à le traiter dans son roman. Toutes les facettes du mensonge sont exprimées et toutes les pistes, explorées. Car s’il y a le fait de raconter des mensonges, il y a plus, c’est-à-dire aller jusqu’à se raconter des mensonges auxquels on croit et qui, ainsi, deviennent en quelque sorte la réalité. Fanie développe avec très grande justesse cette double facette du mensonge et pose en filigrane cette question-clé : pour qui ment-on, au fait?

Le roman est bouleversant et frappant. Quant à l’écriture, elle est franche, nette et précise, en plus d’être extrêmement évocatrice. Plusieurs passages sont restés pour moi des moments forts, extrêmement bien décrits et irréprochables dans leur composition, qui renvoie presque, dans certains cas, à des tableaux artistiques.

Roux clair naturel est un roman que je recommande chaudement. Il se lit d’un trait, en une soirée, et on ne peut le lâcher avant d’en arriver à la dernière ligne. Par sa grande beauté, mais aussi parce qu’il réussit à montrer l’ambivalence et le mal-être du personnage, le roman en vient à nous habiter en tant que lecteurs.trices, alors qu’on se questionne à notre tour sur nos obsessions : jusqu’où nous serions prêt.es à aller pour devenir quelqu’un ou quelque chose que nous ne sommes pas réellement? Et finalement, cela a-t-il vraiment de l’importance, du moment qu’on y croit?

 

Je tiens à remercier les éditions Hamac pour le service de presse.

 

 

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