Ta naissance
Lou,
Je ne sais pas si les souvenirs du jour de ta naissance seraient aussi clairs sans les photos prises par notre photographe de naissance, mais ils sont là; dans des images, mais aussi des sensations, des bruits, des odeurs. Je me souviens des contractions dans le bain, seule, à me demander si ça y était, sans aucun repère sinon l’application servant à calculer le temps entre chaque douleur intolérable (parce que maman n’avait pas appris à respirer, paraît-il). Les signes de ta venue imminente, qui me faisaient m’accrocher aux cadrages des portes et au cou de ton père. Et un peu moins classe; les contractions, cramponnée aux pantalons de ton père, dans les rangées d’un magasin à grande surface, où j’espérais que mon col dilate assez pour pouvoir rester à l’hôpital, le rassurant hôpital, où des gens avaient déjà vu ça, semblaient savoir ce qui se passait dans mon corps plus que moi-même. Et puis, sans aucune place pour un soupçon d’orgueil, les contractions chez McDonald, sous les regards interrogatifs d’une gang d’élèves de la Polyvalente Louis-Philippe-Paré. Le besoin du corps de ton père tout près, le rassurant regard d’une infirmière. Puis la douleur, la peur de mourir là, la sueur, le sang et les déchirures, la haine envers le corps médical, mais aussi le sentiment d’être l’être humain le plus fort au monde, me demandant si mon corps est une machine super puissante. L’émerveillement. La fierté de te voir grimper sur moi pour te nourrir puis l’immense peur de te perdre lorsque les infirmières t’ont retiré de mes bras ne s’effaceront jamais de ma mémoire.
Si tu étais né d’une histoire aussi impressionnante que celles qui se trouvent dans cette pièce de théâtre que j’ai lue jusqu’à en mouiller les pages, j’aurais pu l’exposer moi aussi, la mettre en scène, du moins dans un statut Facebook ou chez nous autour de la table.
Maman n’était pas prisonnière d’une voiture suite à un accident de la route, mais elle a été prisonnière de la peur de ne jamais y arriver. C’est moins spectaculaire, je te l’accorde.
Venir au monde
Aujourd’hui, je suis ébranlée par la lecture de toutes ces naissances. Bien qu’elles soient spectaculaires, leur véracité, leur brutalité, leurs douleurs, joies et espoirs me font revivre notre histoire plus sobre, entre douceur et virulence.
L’histoire rocambolesque de l’accouchement d’Élizabeth, qui reste prisonnière de sa voiture à la suite d’une collision avec un orignal alors qu’elle se rendait à l’hôpital, sert de trame de fond à une multitude de récits de naissance. On nous raconte l’histoire de la naissance de chacune des personnes qui lui viennent en aide. Une mère morte en couche, une mère autochtone victime de viol qui fuit l’hôpital, un bébé mort-né puis un bébé miracle, une femme qui accouche devant sa mère mourante, une autre qui donne la vie à la maison sous les encouragements optimistes de ses enfants. Ces histoires sont issues de témoignages, et c’est une des raisons qui rendent la pièce si émouvante. Parce que les images fortes, en vérité, dépassent la fiction.
Oui mon cœur, ce sont ces histoires de vie, et même d’horreur, de vulnérabilité, de rage et de haine, mais surtout d’amour fulgurant et d’espoir, qui ont fait pleurer maman. Je ne suis pas triste, mon amour. Je suis émue par ces mots qui décrivent la vérité du monde, cette vérité que je n’arrivais pas à comprendre hors de ses concepts avant de te mettre au monde.
L’histoire de ta naissance ne contient peut-être pas du matériel assez divertissant pour être immortalisée par la plume d’une scénariste, mais elle est jusqu’à maintenant ma préférée.
« Que ta vie soit aussi fabuleuse que ta naissance. »
À propos
La pièce Venir au monde, écrite par Anne-Marie Olivier et mise en scène par Véronique Côté, a été présentée au Théâtre du Trident au printemps 2017. Elle a gagné un des Prix littéraires du Gouverneur général 2018.
Quelle est la plus belle histoire de naissance que vous avez lue, entendue ou même vécue?