Toute petite, chaque année c’était inévitable, la veille de la première journée d’école, je saignais du nez. Ma mère me renversait la tête par en arrière, me plaçait un mouchoir sous les narines et je fixais le plafond durant de longues minutes.
La rentrée était synonyme, pour moi, d’une belle et merveilleuse semaine d’insomnie où je cauchemardais, tournoyais dans mon lit terrorisée à l’idée de voir de nouveaux visages, d’avoir de nouveaux professeurs, de nouvelles matières à apprendre et de nouveaux examens à faire…
Souvent, je me réveillais en sursaut, la tête qui m’élançait, après avoir cru que mon cadran n’avait pas sonné et que j’étais en retard pour mon premier cours. Mais il me restait, bien évidemment, trois heures à dormir que je gaspillais, bien entendu, à fixer encore une fois mon plafond (ah ce fameux plafond!).
En vieillissant, mon cas ne s’est pas vraiment amélioré ou, en tout cas, la seule différence était que je ne saignais plus du nez, mais que de très jolies plaques rouges couvraient, de façon très esthétique, mon cou en montant jusqu’à mes oreilles! Il m’aurait fallu une douche de fond de teint pour être capable de les camoufler.
Malheureusement, pour moi, tous ces tourments se sont ravivés cette année lorsque j’étais assise dans un cours universitaire de littérature. Le professeur a eu cette brillante idée de nous demander de nous présenter chacun notre tour.
Dites-moi simplement votre nom, le programme dans lequel vous étudiez et un livre qui vous a marqué.
Ok. Mon nom, ça, je le connaissais. Mon programme aussi. Mais je devais trouver un livre. Et, même si j’en avais lu des tonnes et des tonnes, un énorme trou de mémoire m’empêchait de réfléchir. Mon cerveau avait arrêté de fonctionner ou plutôt, il se concentrait, avec un dévouement exceptionnel, à faire trembler mes doigts et battre mon cœur comme si je courais un marathon.
Les autres étudiants commençaient à se présenter. Un à un. Chacun leur tour. Et ce qu’ils disaient n’étaient qu’un vague bourdonnement à mes oreilles. L’angoisse me tordait l’estomac. Je n’avais pas encore trouvé de livre à nommer, mon tour arrivait bientôt et mon visage devenait écarlate.
Lorsque ma voisine de bureau se mit à se présenter, ma gorge se noua. Pendant un instant, j’ai réellement pensé qu’aucun son ne serait capable de sortir de ma bouche. Que ma voix avait subitement oublié le chemin jusqu’à mes lèvres.
Bref, j’étais certaine d’être devenue muette.
Lorsque tous les petits yeux, y compris ceux du professeur, se sont rivés sur moi, j’ai tenté d’ouvrir la bouche et, miraculeusement, quelques sons discrets s’y sont échappés.
Je m’appelle Alexandra, j’étudie en Littérature comparée et cinéma et j’adore Le petit prince de Saint-Exupéry.
J’ai essayé, ensuite, de faire mon plus beau sourire qui, de toute évidence, avait plutôt l’allure d’une grimace étrange tremblotante puisque le professeur me regardait avec inquiétude.
Je n’étais pourtant pas en danger de mort. Ni face à un ours. Ni atteinte d’une grave maladie. Mais j’ai angoissé comme si j’étais présidente des États-Unis et que je devais faire le plus important des discours.
Et, une fois le cours terminé, j’ai tout oublié… comme tous les autres élèves de la classe qui se fichaient pas mal de ma voix qui tremblait, de mon nom et de mon livre préféré!


Ping : Le fil rouge fête sa première année et Marjorie et Martine ont quelques mots pour vous… |