Littérature canadienne
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«Pauvres petits chagrins» : Jamais assez de douceur

«C’était la première fois que nous articulions notre principal point de désaccord. Elle voulait mourir et moi je voulais qu’elle vive et nous étions des ennemies qui s’aimaient. Nous nous sommes fait un câlin tendre et maladroit parce qu’elle était dans un lit, attachée à des trucs.»

L’une est une pianiste incomparable, une virtuose de la musique, et l’autre est une écrivaine de livres pour enfants sur le rodéo, mère de famille, amante maladroite. L’une d’elle veut mourir, tente sans cesse de mettre le point final à cette vie qu’elle ne sait mener. L’autre tente de la garder en vie, au détriment de tout, à bout de bras, à bout de souffle. Elfrieda et Yolandi. Deux soeurs.

Miriam Toews relate dans Pauvres petits chagrins l’histoire bouleversante de deux soeurs, de leur enfance jusque dans la quarantaine. Elfrieda la pianiste talentueuse tente de mettre fin à ses jours, encore une fois. Yolandi accourt à son chevet et tente par toutes les manières possibles de la ramener du côté de ceux qui veulent vivre. Elfrieda mène une vie de rêve, comparée à celle de sa soeur; elle a la gloire et l’argent, l’amour d’un homme fidèle et compatissant et malgré tout, n’y trouve pas l’espoir et la motivation pour rester en vie et en profiter. Mais ce regard là, celui-là même que nous tous posons sur la vie des autres, en est un extérieur et souvent biaisé par le jugement que nous faisons de la réalité des autres. Yoli tente tant bien que mal de comprendre sa soeur, mais son amour inconditionnel l’empêche d’envisager la situation pour ce qu’elle est vraiment: sa soeur ne veut plus vivre. Est-ce la maladie mentale? Est-ce passager? Est-ce un combat qui pourrait être gagné? Tant de questions qui restent souvent sans réponse… Et Miriam Toews le sait trop bien. Tout comme dans le roman, son père ainsi que sa soeur se sont suicidés.

IMG_2068Tout ça, je le savais avant de débuter ma lecture, c’est donc dire que ça a teinté ma manière d’appréhender le texte. Je savais avant même de commencer à lire que les questions soulevées par Toews allaient demeurer sans réponse. Mais là où tout chavire, c’est lorsque Elfrieda, après une deuxième tentative de suicide sur une très courte période de temps, implore sa soeur de l’amener en Suisse pour qu’elle puisse «subir» un suicide assisté. Elle n’en peut plus de souffrir, de se battre contre elle-même, de faire souffrir les gens autour d’elle. Qu’y a-t-il à répondre à cette supplication ? Yoli prendra une décision à l’encontre de son coeur de soeur et Elfrieda fera, comme toujours, à sa tête.

Je ne pourrais qualifier la prose de Toews que par ces trois mots : «hors du temps»… On déambule entre le présent et le passé, le futur parfois. On s’accroche aux rêves, on se les raconte. On prend une pause pour jouer au Scrabble, pour réciter un poème. On retourne à l’hôpital, contre notre gré. On voyage entre Winnipeg et Toronto, on écoute Elfrieda au piano. Tout ça est d’une douceur… Surprenant pour un sujet aussi dur et cruel que le suicide d’un être cher, mais pour peser le poids de l’amour, il n’y aura jamais assez de douceur.


Extrait:
«On se demande: mais comment c’est possible? Penser qu’avec toutes les mesures de sécurité que nous employons aujourd’hui pour nous protéger du dehors- clôtures et détecteurs de mouvement et caméras et écran solaire et vitamines et verrous et chaînes et casques de vélo et cours de cardiovélo et gardiens et portail-, nous puissions cacher des tueurs secrets à l’intérieur de nous… Que nous puissions nous retourner contre notre moi heureux comme des tumeurs envahissent des organes sains, comme des mères «normales» jettent soudain leur bébé du haut du balcon… Qui a envie de penser à des choses pareilles ?»

 Pauvres petits chagrins, Miriam Toews. Éditions Boréal, 2015. 384 pages.


*Le Fil Rouge désire remercier les Éditions Boréal pour ce service de presse, tout particulièrement Marion Van Staeyen chez Diffusion Dimédia.*

 

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