À Marie-Andrée Beaudet
À lire en écoutant le son de la musique à bouche
La venue du printemps et de son compagnon le beau temps me ramène toujours à lui.
«Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai» (p.59)
L’épanouissement de cette saison en fleur et l’éclosion de toutes ces passions ont fait renaître en moi ce besoin de m’évader à travers la poésie: eau-de-vie, source de bien-être, nectar de béatitude.
«tu viendras toute ensoleillée d’existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l’aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d’un pays d’haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie, notre vie
t’aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses» (p.59)
J’ai découvert ces vers et toute l’immensité qui peut habiter un être tel que Gaston Miron dans le fond d’une classe du cégep à la fin d’un hiver particulièrement ardu. Dès les premiers mots, il m’a heurtée. Il venait d’éparpiller mon âme en mille morceaux.
«La pluie bafouille aux vitres
et soudain ça te prend
de courir dans tes pas plus loin
pour fuir la main sur nous» (p.27)
J’avais l’étrange impression de tout comprendre et de tout ressentir. Par moment, j’ai même eu peur de l’avoir moi-même écrit. J’ai alors saisi que tout ce que je cherchais à faire depuis toujours c’était de m’enfuir et ce poète rendait mon désir possible. Auparavant, Baudelaire m’avait permis une introspection grâce à ses écrits glauques, introvertis et intimes. J’avais alors vécu le spleen, les fleurs du mal et les paradis artificiels au rythme de mon adolescence complexe et déjantée. Mon poète national est venu me recueillir au fond du puits. Je me suis lentement vue agoniser dans la déclaration dédiée à la dérision pour mieux renaître de mes cendres.
«Je suis seul comme le vert des collines au loin
je suis crotté et dégoûtant devant les portes
les yeux crevés comme des œufs pas beaux à voir
et le corps écumant et fétide de souffrance
je n’ai pas eu de chance dans la baraque de vie
je n’ai connu que de faux aveux de biais le pire
je veux abdiquer jusqu’à la corde usée de l’âme
je veux perdre la mémoire à fond d’écrou
l’automne est venu je me souviens presque encore
on a préparé les niches pour les chiens pas vrai
mais à moi, à mon amour, à mon mal gênant,
on ouvrit toutes grandes les portes pour dehors
or dans ce monde d’où je ne sortirai bondieu
que pour payer mon dû, et où je suis gigué déjà
fait comme un rat par toutes les raisons de vivre
hommes, chers hommes, je vous remets volontiers
1-ma condition d’homme
2-je m’étends par terre
dans ce monde où il semble meilleur
être chien qu’être homme» (p. 52)
Et ma condition de femme anéantie, je lui ai remise avec la plus grande confiance. Après le constat de ma déchéance, Miron, lui, me donnait une sortie de secours à ce monde sans issue. Parce que les mots de Miron c’est l’espoir.
«le monde est agrandi de nos espoirs de nos paroles» (p.108)
Parce que la poésie de Miron, c’est des possibilités infinies d’univers verdoyants, d’amour éternel et de désarroi collectif. En fait, il fut autant un homme de lettres que de pays. Ce Québécanthrope a fait naître en moi un nouveau Québec, plus reluisant et plus honorable.
«L’homme de ce temps porte le visage de la
Flagellation
et toi, Terre de Québec, Mère Courage
dans ta Longue Marche, tu es grosse
de nos rêves charbonneux, douloureux
de l’innombrable épuisement des corps et des âmes» (p.103)
Et lire ses révolutions intérieures n’a pas été suffisant. Il faut l’entendre. De cette voix profonde, frappante, mais réfléchie, les déclamations de Miron sont empreintes de pureté, de sincérité, mais également de rudesse. Et toujours cette marque laissée par un mal national qui l’appelle aux armes: ses mots.
«Compagnons des Amériques
Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage» (p.101)
Avant la lecture de L’homme rapaillé, j’étais souverainiste. Après l’écoute de ses déclarations, j’étais devenue fleur de lys. Merci pour ce don d’identité qui cadre si bien avec la carrure des femmes d’antan qui représente à merveille mon anatomie, descendante des Premières Nations. C’est d’ailleurs principalement pour cette raison que je lègue toute mon admiration à cet homme en perpétuel questionnement sur la profondeur de la condition humaine. Forgée grâce aux outils du poète, je suis devenue un pays, son pays.
Et si jamais… Documentaire sur Gaston Miron Les outils du poète
L’homme rapaillé, Gaston Miron. Typo, Décembre 1998. 203 pages.


Ping : Laissez venir, à moi, les livres ! |
Ping : DÉFI BOUQUINERIE JOUR 3 : Prendre le temps de lire de la poésie | Le fil rouge
Bravo pour avoir découvert le grand Miron… Lisez sa biographie chez Boréal Compact!!! D’autres grands poètes comme Roland Giguère, Hélène Dorion etc
J’aimeAimé par 1 personne