Lorsqu’une amie m’a prêté le livre Acheter, c’est voter de Laure Waridel il y a quelques annés, je dois avouer que ça a grandement changé ma vision de notre société capitaliste. Bien sûr, je connaissais et comprenais le principe du commerce équitable, mais je me figurais mal comment moi, simple consommatrice d’Amérique du Nord, je pouvais réellement faire une différence. Mais Laure Waridel m’a convaincue que «consommer a trop d’impact pour que cela soit considéré comme un geste strictement individuel». Evidemment, je ne suis pas parfaite, je n’adhère pas à un mode de consommation totalement équitable et biologique, ni même l’un d’eux, en tout temps. Par contre, je réfléchie plus lors de mes achats. Je pense à l’impact de ma consommation personnelle, tant au niveau social qu’environnemental. J’adore acheter local et j’encourage le commerce équitable, lorsque le choix se présente. J’ai également un regard plus critique face à ce que les commerces nous offrent. «Au quotidien, faire des choix de consommation responsable est aussi un moyen de passer à l’action et de contribuer à un nouveau genre de « révolution tranquille ».»
C’est donc dans cet esprit de vouloir encourager les petits producteurs, québécois ou d’ailleurs, que je me promenais au Marché Jean-Talon, par l’une des premières belles journées de ce printemps, quand soudainement j’ai eu un haut-le-coeur sociétaire. Je voulais pleurer, mais je voulais aussi croire que c’était une blague. Ce n’en était pas une. Starbucks, géant de la vente de boissons à base de sucre et de ce que j’aime appeler l’unfair trade, allait ouvrir une nouvelle succursale à l’entrée du périmètre du Marché. Cette nouvelle m’a plutôt ébranlée et j’avais envie de partager mon avis avec vous.
Le problème se situe surtout au niveau des valeurs véhiculées par les deux entreprises. La multinationale américaine suit une démarche visant le profit économique avant tout, alors que le Marché Jean-Talon propose des produits bios, locaux, des aliments fins, des produits d’exportation de qualité, etc. De mon point de vue, le Marché s’intéresse aux besoins de sa clientèle alors que Starbucks regarde plutôt leur porte-feuille. Je ne suis pas la seule à voir ce nouveau venu d’un mauvais oeil: une pétition envoyée à la mairie de Rosemont-la-Petite-Patrie a été signée par plus de 8 000 citoyens révoltés par la nouvelle. Malheureusement, la Ville ne peut rien y changer, pour la simple raison que le local maintenant occupé par Starbucks ne fait pas partie de l’espace du Marché Jean-Talon. Les délimitations du Marché s’arrêtent derrière les commerces occupant la façade de la rue Jean-Talon. Mais le Starbucks est tout de même la première chose que l’on aperçoit lorsqu’on arrive par l’ouest. De plus, selon les règlements de zonage, le bâtiment est destiné à la restauration. On ne peut donc refuser l’installation d’une entreprise si ce qu’elle offre est de l’ordre de la restauration, un café par exemple.
Lors de mes recherches pour trouver quelques réponses à mon questionnement quant à l’ouverture de cette succursale, j’ai trouvé sur les zinternets, ce merveilleux endroit où les gens ne se gènent pas pour étaler au grand jour leur manque de jugement, des commentaires concernant le «ridicule» d’une pétition contre Starbucks. Ma réplique préférée, qui revient à quelques reprises, est celle-ci : «Le café c’est pas un produit local, lol». En effet. Très bon argumentaire, bien étayé. À cela je répondrai que le Marché vend des oranges, des ananas, des bananes et de kakis. Le problème ne vient pas du fait qu’il s’agit d’une compagnie américaine (quoi que…), mais plutôt de sa vision économique qui va à l’encontre des valeurs que les marchés publics véhiculent. Encourager la production locale ne veut pas dire acheter uniquement des produits qui poussent ou sont fabriqués au Québec. Ça veut seulement dire qu’au lieu de donner notre argent à un multimillionaire qui sous-paie des employés pour nous vendre un produit dont on ignore réellement la provenance, on encourage une famille à continuer de nous offrir des produits par lesquels ils sont passionnés, sont prêts à répondre à nos questions et ont besoin de cet argent pour vivre et pour garder leur commerce. Même chose avec les produits issus du commerce équitable, nous aidons des familles qui n’ont d’autres choix que de travailler sur leurs terres et essayer d’en retirer un peu d’argent pour se nourir. Les valeurs d’entraide, de partage et d’encouragement ne font pas partie du plan d’affaire de Starbucks.
«Chacun de nos choix a un effet sur la vie d’autrui et sur l’environnement. Nous sommes continuellement en lien avec des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont cultivé la nourriture que nous mangeons, ont cousu les vêtements que nous portons et ont fabriqué les produits qui nous entourent. Si les étiquettes apposées sur ces objets nous permettaient de voir ces gens, nous ferions saus doute nos achats bien autrement.» Les marchés publics (et nous en avons plusieurs à Montréal, nous sommes chanceux) permettent de rencontrer les fermiers qui font pousser les légumes que nous achetons. Pour les produits d’importation, les propriétaires des kiosques de petites entreprises répondent à nos questions et veulent simplement nous offrir la meilleure qualité possible à un prix raisonnable. L’ouverture d’une chaîne telle que Starbucks contrevient au plaisir d’avoir le sentiment d’aider autrui par un simple achat. Dans une plus grande périphérie, la Petite-Italie dont fait partie le Marché Jean-Talon regorge de petits cafés italiens chaleureux et de restaurants locaux accueillants. Ces petits entrepreneurs seront vraisemblablement touchés par ce nouveau compétiteur. Le logo et le nom sont reconnus mondialement, bien sûr que certaines personnes peuvent le voir comme une «valeur sûre», mais si l’on regarde un peu autour de soi, on peut trouver de merveilleux établissements qui offrent du café de meilleure qualité pour possiblement un prix moindre. Starbucks utilise les tendances pour garder sa clientèle. Oui, il offre du café équitable, du lait de soya, des options végés ou sans gluten. Parce que l’image véhiculée est plus importante pour ces méga-entreprises que la qualité réelle de ce qu’elles représentent. En résumé, je crois que Starbucks considère sa clientèle comme un porte-feuille, rien de plus. Un simple objet qui ne réfléchi pas aux conséquences de ses achats. Et il a peut-être raison.
Mon but n’est pas de vous convaincre de boycotter Starbucks, vous faites bien ce que vous voulez de votre argent. Mais j’espère que la prochaine fois que vous y mettrez les pieds, vous penserez un peu à moi. Ainsi qu’au petit café de l’autre côté de la rue où vous n’êtes pas allés parce que le nom ne vous disait rien. J’aimerais aussi que vous vous posiez quelques questions sur votre santé. Je ne vous ai pas parlé de cet aspect, mais demandez-vous si votre latté grandé skim milk aux épices était vraiment un choix sensé. Je ne dis pas que Starbucks offre uniquement des boissons bourrées de sucre (je n’en sais rien, au fond), mais disons qu’ils sont plus aptes à vous donner des informations sur ce que ça goûte que sur le nombre de calories que vous allez ingérer… Avant d’être des consommateurs, nous sommes des personnes, des citoyens, et nous sommes capables de réfléchir. Il ne faudrait pas perdre cette capacité au profit d’un PDG qui se moque bien de nous dans son bureau de New York. «Nous formons le marché mondial. Il est temps de montrer que nous voulons autre chose que des produits bon marché. Nos choix peuvent contribuer à édifier un système économique au service des gens, plutôt que le contraire.»
N.B. Le starbucks de la rue Jean-Talon Est est maintenant ouvert et j’ai déjà pu y observer quelques clients déguster de grands Frappuccinos extra crème fouettée et petits sparklings de chocolat.
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Citations et références :
Acheter, c’est voter (Le cas du café), Laure Waridel, Les Éditions Écosociété, 2005.
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