J’ai la chance d’avoir un pied à terre aux Îles-de-la-Madeleine; il s’agit de la maison familiale ancestrale que mes parents s’attèlent à rénover depuis le rachat de la demeure en 2005. Il va sans dire que j’y suis allée bon nombre de fois et que je commence à plutôt bien connaître ce petit archipel du Golfe du Saint-Laurent. Toutefois, je suis toujours aussi charmée et inspirée par cet univers insulaire. En étonnante ébullition culturelle pour la modestie de leur superficie, les Îles-de-la-Madeleine renferment plusieurs trésors littéraires imprégnés d’impressions maritimes et de vent salin. C’est pourquoi, suite à mon retour de deux semaines d’exil en ces eaux lointaines, je vous rapporte deux chroniques sous la forme d’un diptyque s’articulant autour de la narration de l’insularité. La chronique de la semaine prochaine sera une plongée dans l’univers de la nouvelle et de la poésie avec le recueil Le sel et le goémon, de Christine Arseneault-Boucher, paru cet été aux Éditions de la Morue Verte. Je vous propose aujourd’hui une incursion chez les conteurs des Îles, à la rencontre des désormais légendaires Nicolas Landry et Dominique Leroux. L’embarquement est immédiat!

Dominique Leroux

Nicolas Landry
Le conte et la légende sont deux modes littéraires de l’oralité, et oralité rime drôlement bien avec insularité. Le conte est plus qu’une histoire fabuleuse: il s’agit d’un moyen de transmission privilégié des savoirs, des idées, des peurs, des fantasmes et de la mémoire culturelle et patrimoniale d’un peuple, d’une communauté. Quiconque à déjà tendu l’oreille chez les Madelinots a su percevoir l’énorme bagage légendaire des Îles, comme c’est le cas de bien des îles à travers le monde; comme si l’insularité, cet enfermement de la terre par la mer, cet isolement extrême, poussait l’esprit au dépassement des limites terrestres et physiques vers un imaginaire fertile en création. Comme si, sur une île, tout était possible.
Nicolas Landry

Nicolas Landry, conteur.
Nicolas Landry, fier natif des îles-de-la-Madeleine, est le descendant direct de cette immémoriale lignée de conteurs. Alors qu’il avait 35 ans, en 2011, ce spécimen madelinot s’est mis à écrire des contes originaux. Et depuis, il ne s’arrête plus, enchaînant spectacles solo et festivals de toutes sortes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a le vent dans les voiles! J’avais déjà eu la chance d’assister à l’une de ses performances en 2013 (Le pêcheur d’or), lors d’une soirée de conteurs à la micro-brasserie À l’abri de la tempête. Cet été, c’est à l’hôtel Château Madelinot que j’ai écouté son magnifique Calibettes, qui m’a tout autant charmée que le précédent.
Nicolas Landry, c’est une sorte de Fred Pellerin des Îles, et pas seulement physiquement! Comme son « cousin » de Saint-Élie-de-Caxton, le madelinot se plaît à partir de son vécu et de son histoire familiale pour faire naître des récits oniriques, des quêtes initiatiques touchantes et poétiques, dans lesquels jeux de mots et cabrioles langagières sont toujours agilement intégrées. Le tout, bien sûr, imprégné de l’accent et de la parlure uniques aux îles! Avis aux non-initiés: ouvrez grand vos oreilles et demandez à Nicolas en cas de doute. Il se fera plaisir de vous répondre avec beaucoup d’humour! Celui-ci possède d’ailleurs un véritable don d’improvisation et de comédien et il est tout à fait fascinant de le regarder habiter et vivre ses histoires.
Pour voir Nicolas Landry en action cet été aux Îles, le conteur travaille fort et donne des spectacles quatre soirs par semaine, soit au Château Madelinot, au Parc de Gros-Cap et à la Salicorne. Outre le spectacle Calibettes auquel j’ai assisté, Nicolas offre son « Léo du ciel » et son denier-né Le Vieux Vent’arrière. Vous trouverez son horaire complet sur son site internet. Quoi de mieux que de découvrir et d’explorer les îles par les voies (voix) du conte!
Dominique Leroux – La Petite Théâtrerie

« La Minuscule: poésie visuelle pour marionnette, matières et vidéos », interprété par Dominique Leroux.
La montréalaise Dominique Leroux, à la tête de La Petite Théâtrerie, est une conteuse bien particulière. Entremêlant théâtre de marionnettes, théâtre d’ombres, perfomance, art et projections vidéos et sonores, c’est une artiste multidisciplinaire proposant des contes sensoriels. Unique, vous dites? Fondée entre Montréal et les Îles en 2011, La Petite Théâtrerie compose ses spectacles à Montréal l’hiver avant de les importer aux Îles-de-la-Madeleine l’été, où elle les présente pour le plus grand bonheur des petits comme des grands. J’avais déjà été conquise en 2013 par sa production « Conte pour un Gus », et parallèlement, de Gus, que j’ai adopté aussitôt.
La cabane de pêcheur de la Théâtrerie, autrefois située sur le site historique de la Grave sur l’île de Havre-Aubert (à côté de chez nous!) a déménagé et a désormais pignon sur mer au site de la Côte à l’Étang-du-Nord, Cap-aux-Meules. C’est un véritable micro théâtre pouvant accueillir une dizaine de spectateurs par performance, une formule intime magique fort appréciée. De l’autre côté du rideau, c’est un atelier de fabrication de Gus et un centre d’adoption!
Le spectacle que Dominique présente cet été et auquel j’étais complètement impatiente d’assister s’intitule La Minuscule: poésie visuelle pour marionnette, matières et vidéo. Le texte, la conception et l’interprétation sont de Dominique Leroux, la mise en scène de Karine St-Arnaud et la (sublime) conception sonore de Colin Gagné. C’est l’histoire de Minuscule, tricotée dans la chaleur et l’amour, qui rêve de plus grand que son île, et qui entreprendra un voyage de rencontres et de découvertes qui la transformeront, même si elle demeurera, malgré tout, une Minuscule. Ce fut un coup de foudre total pour Minuscule, qui tient maintenant compagnie à mon Gus. La Minuscule tourne cet été du 4 juillet au 6 septembre.

Mon Gus et ma Minuscule!
Les contes de Dominique Leroux nous plongent dans une ambiance symbiotique et poétique, dont la narration minimaliste et polysémique peut autant parler aux jeunes qu’aux moins jeunes. Chacun s’approprie le sens de ses contes, chacun se bricole, à l’intérieur de soi, sa propre Minuscule. Et que dire de Dominique, tout sourire, qui accueille ses jeunes spectateurs dans cet univers initiatique magique qu’est le théâtre, qui les guide, les fait rire, les écoute et discute avec eux à la fin du spectacle. Un conte poétique à la limite de l’abstraction est en soi une proposition hors du commun, et de voir les étoiles briller dans les yeux des auditeurs ne peut que témoigner de la réussite d’une telle création, que je vous encourage chaleureusement à découvrir par vous-même, d’abord en consultant le site de La Petite Théâtrerie.
Même si les démarches de Nicolas Landry et de Dominique Leroux sont différentes, reste qu’elles demeurent toutes deux traversées, imprégnées de ce cadre insulaire qui est leur germoir. Non seulement sont omniprésents le vent, la mer, le goût du sel et l’horizon infini, mais aussi la liberté paradoxale de l’isolement, le rêve, le légendaire, la connexion avec la nature et les éléments sont indissociables des créations de ces conteurs contemporains aux accents intemporels. Une question demeure; que deviendraient ces contes si ceux-ci étaient performés en dehors de l’in situ particulier des Îles? Comment ce changement de lieu influencerait-il leur réception chez le spectateur? Sentirait-on autant ou de la même façon ce sentiment insulaire? Je lance la bouteille à la mer…


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» Le conte est plus qu’une histoire fabuleuse: il s’agit d’un moyen de transmission privilégié des savoirs, des idées, des peurs, des fantasmes et de la mémoire culturelle et patrimoniale d’un peuple, d’une communauté. »
C’est tellement bien dit que je crois que le jour où j’ai ma maison, avec mon petit coin bibliothèque, je l’inscris sur les murs. C’est inspirant et ça me rejoint.
Merci pour ce bel article et ces belles découvertes !
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C’est avec beaucoup de retard, Laurie, que je vous remercie du fond du coeur pour votre beau commentaire!
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