Comme plusieurs d’entre vous le savez déjà, je suis tout nouvellement diplômée en enseignement du français au secondaire. Bien que je n’aie toujours pas ce fameux brevet entre les mains (la bureaucratie l’oblige), j’ai maintenant, et depuis un certain temps, avouons-le, acquis toutes les compétences pour enseigner le français à des adolescents. Je ne vous apprends rien en évoquant le réel défi que représente transmettre le goût de la lecture à des jeunes en pleine crise de la puberté. D’ailleurs, à l’heure actuelle, la technologie ne joue pas vraiment en notre faveur. Tout se joue dans l’immédiat et plusieurs savent que la littérature est une affaire de lenteur. La patience a bien des vertus et lorsqu’il s’agit de promouvoir l’amour des lettres, je pourrais attendre toute une vie.
Encore ne faut-il pas passer outre la passion de l’enseignant lui-même dans ce genre de contexte. Vous pouvez bien présenter le roman de l’heure à vos élèves, si vous ne vous y retrouvez pas vous-même, l’enthousiasme ne gagnera pas la foule. Je dois vous avouer que je ne suis pas trop pour le courant du socioconstructivisme en enseignement. Partir des intérêts des élèves n’est pas la solution à tous les problèmes en éducation. C’est la raison pour laquelle la liste de livres que je propose est un bien bel amalgame de mes goûts personnels, de lectures portant à la réflexion et de thèmes dans lesquelles des jeunes de 13 à 17 ans peuvent se retrouver. Voici donc les cinq oeuvres qui sont, à mon avis, des incontournables au secondaire.
Qui n’a jamais entendu parler du célèbre Big Brother? L’oeuvre de George Orwell ne prend pas une ride et passe à travers les âges en ayant toujours autant de pertinence aujourd’hui. Les enfants et d’autant plus les adolescents sont les premières victimes de l’endoctrinement. Que se soit la télévision, les publicités ou même les adultes, les jeunes sont sujets à l’influence de tous. En classe, il m’est souvent arrivée d’aborder le principe de liberté. Que pensent-ils de la société dans laquelle nous vivons? Ont-ils la liberté de n’être pas en accord avec celle-ci? Ont-ils des droits réels? Et Dieu sait à quel point les adolescents aiment se prononcer sur ce genre de questions. Seulement, ont-ils les compétences pour y réfléchir intelligemment? C’est là que la lecture de 1984 entre en jeu.
Ce roman de la dystopie d’Orwell offre sa vision d’un futur décevant. L’auteur trace le portrait d’une société régie par les castes. Évidemment, qui dit castes dit hiérarchisation des individus. Bref, l’Océania vit sous le principe pyramidal. La pointe de la pyramide appartiendrait donc au Parti Intérieur, parti dans lequel on peut retrouver la Police de la pensée, entre autres choses. En d’autres mots, les plus fidèles disciples de l’état totalitaire s’y retrouvent. Vient ensuite le Parti Extérieur, parti dans lequel le personnage principal Winston Smith s’inscrit. Travailler pour le Parti Extérieur, c’est être employé pour un des divers ministères de l’Océania. Finalement, les bas-fonds de cette pyramide sont occupés par les prolétaires qui se définissent comme la classe ouvrière. Dans ce système totalitaire, 85% de la population est donc devenu des robots et de véritables machines au service d’un seul homme, d’une seule vision. Et il s’avère que tous et chacun sont à la merci de cet homme qui les observe en permanence et avec lequel ils doivent être obligatoirement en accord. D’ailleurs, ils est pratiquement impossible de s’opposer à cette unique pensée qu’est celle de Big Brother puisque le lavage de cerveau et la propagande sont si bien orchestrés que les différents individus ne pensent même pas une seconde à penser. La domination est totale puisque le Parti pratique une absolue désinformation grâce à son principe de double pensée. D’une part, il assimile les trois castes en leur imposant des idées. D’autre part, il efface complètement leur mémoire. Cette manière de faire fonctionne parfaitement jusqu’à ce qu’un individu sorte des rangs: Winston Smith.
Ce roman s’inscrit parfaitement dans son époque et l’auteur s’inspire, entre autres choses, du système soviétique et de son parti unique pour créer sa société dystopique. Pourtant, aujourd’hui, en sommes-nous si loin? À partir de ce questionnement, j’aimerais amener les élèves à porter un regard réflexif sur notre monde à la lumière de cette lecture.
Hygiène de l’assassin, Amélie Nothomb
Vous savez à présent mon réel amour pour l’esthétique de la laideur et quoi de mieux que Hygiène de l’assassin pour l’introduire à des élèves. Tout est entraînant dans ce roman construit presque entièrement sous la forme d’un dialogue endiablé dans lequel les diables et les démons se livrent un combat sans précédent. Il est possible d’aborder une panoplie de thèmes à travers cette oeuvre; la pulsion de vie et de mort, la misogynie, l’amour, l’esthétique de la beauté et de la laideur et la jouissance dans le déplaisir. Bref, il s’agit d’une véritable caverne d’Ali Baba pour tout enseignant ayant le courage de s’y aventurer.
Hygiène de l’assassin raconte la malheureuse histoire de Prétextat Tach, écrivain reconnu et prix Nobel de la littérature. Le récit commence sur l’annonce de la mort imminente de cet homme de lettres reclus depuis plusieurs années. L’écrivain devient, dès lors, la nouvelle coqueluche de l’heure. Les journalistes des quatre coins de la planète se battent pour obtenir un entretien avec le mourant. Le secrétaire de Tach, Ernest Gravelin, ne choisira que cinq d’entre eux. Les quatre hommes seront bien vite désenchantés à la suite de leur rencontre avec le prix Nobel de la littérature. Le personnage est vil, méchant, grossier, hideux et pervers. Finalement, il faudra qu’une femme se présente à lui pour que le réel duel que représente un interrogatoire s’enclenche. La dialectique logique et empreinte de mauvaise foi de Tach ne fera pas son effet sur la cinquième journaliste. Nina sera en mesure de faire ressortir le passé terrible de l’homme misanthrope en le questionnant sur son œuvre inachevée; Hygiène de l’assassin. Entre les discussions portant sur l’esthétique de la mort, sur l’écriture nocive, sur la strangulation, sur l’amour et sur la puberté, les rôles entre dominant/dominé sont subtilement inversés. Les échanges entre les deux protagonistes tourneront bientôt à l’avantage de la jeune femme et ceux-ci révèleront, d’autant plus, la monstruosité de l’auteur. D’ailleurs, la révélation sera multiple puisqu’elle contribuera à l’accomplissement artistique de Prétextat Tach en donnant une fin à son œuvre inachevée, et ce, de façon involontaire de la part de la jeune journaliste.
On ne peut le nier, le premier roman de l’auteure ouvre grandes les portes à une panoplie de thèmes à analyser avec les élèves. L’étude de la psychologie des personnages pourrait occuper un trimestre entier vu la richesse de leur personnalité. Et quel roman fantastique pour aborder la force du dialogue et de la rhétorique! D’ailleurs, on pourra en dire autant de la prochaine oeuvre se retrouvant sur la liste.
Douze hommes en colère, Reginald Rose
J’imagine tout un projet avec la lecture de cette pièce de théâtre de laquelle a découlé un merveilleux film mettant en scène Henry Fonda. Dans mes rêves les plus fous, je travaillerais cette oeuvre avec des élèves de cinquième secondaire afin d’étudier le texte argumentatif. La lecture de Des souris et des hommes de John Steinbeck ferait également partie du projet. Rien de mieux pour enseigner l’argumentation qu’un théâtre mettant en scène un crime, un jury et une condamnation, et il s’avère que les deux récits nous offrent ces éléments.
Pour cet article, nous allons nous en tenir à l’histoire de Rose et celle-ci se présente comme suit: Un adolescent de seize ans est accusé du meurtre de son père et un jury constitué de douze hommes doit délibérer. Plusieurs preuves sont manquantes alors que le jeune homme se proclame non-coupable. Pourtant, les nombreux témoignages reçus pointent l’adolescent comme coupable. Or, si les jurés penchent pour la culpabilité, le jeune homme sera condamné à mort. Rapidement, onze hommes sur douze pensent que l’adolescent est le criminel qui a mis fin aux jours de son paternel. Un seul n’est pas d’accord avec le groupe. Peu à peu, la logique et la raison d’un seul individu influence les autres et porte le groupe à la réflexion.
Cette pièce de théâtre en huis clos est un véritable chef-d’oeuvre, il va s’en dire. Les lecteurs assistent à une guerre violente entre la passion et la raison. Le système de justice y est également bardassé à plusieurs reprises. L’étude psychologique des relations humaines au sein de cette oeuvre révèle des préjugés poignants de la société de cette époque. Je vous parie que les élèves n’y verront que du feu. Il ne resterait plus qu’à regarder avec eux le film de 1957 qui s’avère être une adaptation géniale de l’oeuvre de Rose.
Avec Vian et L’écume des jours, ce sont les mots que je souhaiterais travailler. L’oeuvre de Boris Vian est un éclatement du langage et un festival des images. Les lignes de l’auteur envahissent notre esprit et permettent de faire renaître notre capacité à s’imaginer. De prime abord, ce roman peut sembler trop complexe pour des élèves du secondaire. Cependant, lorsqu’on y jette un coup d’oeil plus averti, on comprend qu’il ne s’agit que d’une histoire d’amour contemporaine, mais, bien entendu, l’une des plus belles. Au fond, ce n’est pas tant le récit qui importe, dans ce cas, c’est comment il s’orchestre.
Après tout, rien de plus banal comme histoire. Colin est un jeune homme ordinaire détenant une petite fortune due à un héritage. Il partage sa vie avec son cuisinier, Nicolas, et son meilleur ami, Chick, un passionné de Jean-Sol Partre. Rapidement, les deux amis rencontrent de jeunes femmes, Cloé et Alise, de qui ils tombent follement amoureux. Colin marie Cloé. Colin gaspille beaucoup de sa fortune dans la réussite de ce mariage. Peu de temps après, Cloé tombe malade. Colin se ruine en soin pour Cloé. Pendant ce temps, Chick se ruine en achetant tous les romans de Jean-Sol Partre…
Mais il y a bien plus. C’est que les personnages vivent dans un univers unique où toutes les possibilités sont permises. Le monde de L’écume des jours obéit à ses propres règles et tout cela apparaît naturel aux individus en faisant partie. Il laisse une toute autre impression au lecteur. C’est que la maladie de Cloé est en fait un nénuphar qui s’est logé dans un de ses poumons. C’est que le cuisinier de Colin, Nicolas, est en vérité un capitaine de navire où le tableau de bord présente les différents cadrans de tous les appareils électroniques se trouvant dans la cuisine. C’est que la maison de Colin rapetisse au même rythme que croît la maladie de Cloé. Bref, tout y est invention, car les mots sont la création de Vian. Cette fantaisie un peu folle, il faut également la présenter aux élèves.
Sa Majesté des Mouches, William Golding
J’aime confronter les élèves aux comportements humains à travers la littérature. J’aime encore plus les mettre au pied du mur en leur présentant la nature humaine dans des situations extrêmes se retrouvant dans le monde littéraire. Sa Majesté des Mouches s’inscrit très bien dans ce genre d’approche.
Un avion portant quelques passagers dont plusieurs jeunes garçons anglais s’échoue sur une île déserte. Le pilote et les adultes accompagnateurs meurent dans l’écrasement. Les enfants se retrouvent donc seuls et doivent subvenir à leurs besoins afin de survivre. En s’inspirant des structures mises en place dans la société qu’ils connaissent, les garçons tentent de créer une communauté en choisissant un chef, en distribuant les différentes tâches de chacun et en donnant le droit de parole à chacun, par exemple. Bien vite, la nature primitive de l’homme prend le dessus et la microsociété créée par les enfants se voit complètement déconstruite. La violence et la sauvagerie amène le groupe à se séparer en deux clans qui se déclareront la guerre.
La lecture de ce roman permet d’analyser la nature sauvage de l’humain et de répondre à plusieurs questions sur le sujet. L’angle d’attaque qui me semble intéressant est le suivant: lorsque retourné à ses origines les plus primitives, comment réagit l’être humain dans l’œuvre de William Golding, Sa Majesté des Mouches? Il sera possible de constater que la nature de l’Homme est complètement contradictoire. D’une part, il conservera inévitablement une part d’humanité, d’autant plus si l’individu a fait davantage l’expérience du monde. D’une autre part, des pulsions animales surgiront et il se transformera en sauvage, pour ne pas dire en bête, et ce, surtout si l’individu est plus jeune. À mon avis, il est tout à fait pertinent d’aborder cette problématique avec les jeunes puisqu’ils sont encore si près de l’enfance et de leur instinct intuitif.
Je ne mentirai pas en affirmant qu’il fut bien difficile de réduire ma liste à seulement cinq oeuvres. Comment ne pas introduire La métamorphose de Kafka au secondaire? On ne peut pas non plus passer à côté de la poésie de Baudelaire et de Miron. Quelques nouvelles de Poe doivent également être lues. Vous comprendrez que les choix ont été faits principalement en fonction des visées pédagogiques que permettent d’exploiter ces différentes oeuvres, mais également en lien avec mes goûts personnels. Et vous, si vous mettiez le chapeau d’enseignant pour un instant, quels seraient vos cinq livres indispensables à lire au secondaire?
Volkswagen Blues de Jacques Poulin, un must.
J’aimeAimé par 1 personne
Absolument! D’ailleurs, j’ai écrit un article sur Poulin que vous pouvez consulter sur le blog. Bonne lecture 🙂
J’aimeJ’aime
Ping : 31 jours de bibliothérapie, jour 28 : Pour s’évader | Le fil rouge
« Cette pièce de théâtre en huit clos est un véritable chef-d’oeuvre, il va s’en dire. »
Il faudrait corriger
Très bon choix par ailleurs, cinq livres importants.
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup du commentaire! J’ai apporté la correction. 🙂
J’aimeJ’aime