«Le caractère d’un enfant est tracé dès le début, dès le sein de sa mère. Avant ma naissance, ma mère était dans une grande détresse morale, et dans une situation matérielle tragique. Elle ne pouvait prendre pour toute nourriture que des huîtres glacées et du champagne. Quand on me demande quand j’ai commencé à danser, je réponds : «Dans le sein de ma mère, sans doute par suite des huîtres et du champagne, la nourriture d’Aphrodite.»»
Ludwig van Beethoven entame pour moi sa Sonata Op. 31 No 2 : III Allegretto, sous les doigts du pianiste Javier Perianes. En fixant la mer étendue devant mes yeux, je sens la musique entrer chez moi et me transpercer en des mouvements purs et nouveaux. Je parviens presque à imaginer Isadora Duncan incarner cette musique avec ses gestes inspirés, entre autres, du mouvement des vagues.
«Je suis née au bord de la mer, et j’ai remarqué que tous les grands événements de ma vie se sont produits au bord de la mer. Ma première idée du mouvement de la danse m’est certainement venue du rythme des vagues. Je suis née sous le signe de Vénus – Vénus qui naquit aussi de la mer, et, quand son étoile monte dans le ciel, les événements me sont toujours propices.»
Tsé, la vie !
Qu’il y ait un destin tracé d’avance ou pas du tout, on suit tous un chemin. Il n’y a pratiquement rien de ma vie présente que j’avais prévu à l’avance. Une seule chose en fait, je sais à peu près ce que je veux être et ce que j’aimerais réaliser, alors je suis cette route-là, en fixant mon regard vers les éléments qui m’aideront à atteindre mes buts, certes flous, mais réellement présents et ancrés jusqu’à la moelle. Nécessairement, l’écriture de mon roman suit le même mouvement que moi, ce projet que j’affectionne, chaque jour un peu plus, depuis son début il y a bientôt un an et demi. Étant, en partie, un reflet de qui je suis, cet être en perpétuel changement, certains temps de manière plus marquée et d’autres fois plus subtilement, et regroupant les morceaux du puzzle de ce que je suis, en me laissant souvent guider par l’intuition et en faisant des liens consciemment ou inconsciemment, mon roman se resserre, il devient plus sensé, il absorbe les marques et mes cicatrices, mes idées et des rencontres, mes grandes et petites aspirations et ce souffle, un mélange de celui de la mer et du mien.
En m’ouvrant grand son âme, Percé m’a aussi ouvert ses nombreux bras. J’ai rencontré et je continue de faire la connaissance des gens merveilleux et tellement riches de leur singularité, qui deviennent les membres d’une grande famille, au sein de laquelle je me tisse une petite place. Chaque dimanche soir, je suis conviée à un souper chez ma voisine (la même que ma coloc de l’été passé) avec quelques membres de sa famille. Et j’aime ces soupers, pour plusieurs raisons et pour une en particulier, écouter les gens parler. J’aime me pendre aux lèvres de ces autres que je connais encore trop peu, pour les entendre se raconter : rêves, aspirations et histoires situées à des lieux de celles que j’ai l’habitude d’entendre dans ma famille immédiate. J’ai toujours eu cette fascination, cette belle curiosité d’écouter les gens me raconter leur vie. Je me passionne alors d’eux et deviens spectatrice, en imaginant du mieux que je peux les évènements dans mon esprit. Parmi ces gens que je côtoie, il y a cet homme qui vient de très loin, de loin dans le temps, dans l’histoire et d’un autre continent. Lorsqu’il me raconte des bribes de son enfance parisienne, puis par la suite en Hongrie, je me projette dans ses mots. Tout ça reste si loin de ma propre histoire. N’empêche que je suis toute ouïe et intéressée.
Un soir, je répète pour la énième fois que je ne laisse pas suffisamment de place à la danse dans ma vie et que la danse, c’est l’art qui me touche d’une façon la plus pure possible. Alors nous parlons danse, les valses hongroises, l’ère du disco, puis il me dit qu’enfant, sa mère a été l’une des élèves d’Isadora Duncan. Isadora Duncan ? Je n’avais jamais entendu ce nom avant ce soir-là. Je me précipite sur Wikipédia pour découvrir une description, bien que très brève, de cette grande femme, ça a tout de même suffit à susciter mon attention. Isadora Duncan, une féministe, d’une grande liberté d’esprit, s’inspirait du mouvement des vagues pour composer ses chorégraphies. Il m’est immédiatement apparu évident qu’elle allait alimenter, de quelque manière que ce soit, mon roman. Peu de temps après, j’ai fait venir par la poste un exemplaire de Ma vie, son autobiographie. Ouvrage d’une importante authenticité, qui raconte encore trop brièvement, cette richesse sans cadre de la vie amoureuse, maternelle, artistique, intellectuelle, spirituelle et philosophique de cette nomade. Isadora Duncan, c’est la création d’un personnage mythique d’une grande tragédie grecque.
«Née à San Francisco en 1877, Isadora Duncan est une petite fille étonnamment douée pour le mouvement et le rythme. Elle s’oppose très vite à l’esthétique classique : chaussons, tutus, pointes et positions lui paraissent antinaturels. « Cette gymnastique raide et vulgaire […] n’avait fait que déranger mon rêve. » Pieds nus et drapée d’une tunique légère, elle remporte un immense succès à Paris, Budapest, Vienne, Munich et Berlin où elle ouvre en 1904 sa première école. Très inspirée par l’Antiquité, elle réalise en 1905 l’un de ses rêves les plus chers en dansant nue au clair de lune sur l’Acropole. La vie d’Isadora Duncan s’achève tragiquement : après avoir perdu ses deux enfants dans un accident de voiture, elle-même meurt à Nice au volant de sa Bugatti. Son écharpe, qui flottait derrière elle, se prit dans la roue arrière de son véhicule et l’étrangla. Isadora Duncan qui, de son propre aveu, ne cherchait rien d’autre que «danser sa vie», fut la première qui dansa uniquement sur des musiques non conçues pour le ballet, sans aucun support dramatique. Isadora Duncan devint ainsi l’une des plus grandes initiatrices de la danse moderne.»
Isadora Duncan était une femme immensément brillante, curieuse et sensible. Cette artiste complète était dotée d’une telle présence et d’une grande force intuitive qu’elle marqua le monde de l’art. Par elle, tout se magnifiait, l’amour, la beauté, l’art bien-sûr, mais aussi la mort et la tristesse et je ne dirais pas qu’il y avait exagération. Simplement qu’elle vivait pleinement, sans préambule et sans aucun compromis. Elle était Isadora Duncan et elle posait son regard sur le monde. Sa philosophie de l’art et de la vie était visionnaire et moderne et même si aux yeux de plusieurs, elle semblait puiser son inspiration chez les anciens, c’était pour en faire jaillir l’essence pour éviter de se perdre en matériel et en superficialité.
«Je compris que les richesses et le luxe ne font pas le bonheur. Il est certainement plus difficile aux gens riches d’accomplir quoi que ce soit de sérieux dans l’existence.»
« […] je restais debout pendant des heures, seule dans notre atelier glacé, attendant l’inspiration pour m’exprimer en mouvements. À la fin, je sentais un souffle s’élever en moi, et je suivais l’expression de mon âme.»
En me plongeant dans les pensée d’Isadora Duncan, j’ai cette envie grandissante de lire nos grands philosophes pour découvrir des réponses sur ma vie qui s’ouvriront sur de nouvelles questions et ainsi de suite. J’ai aussi besoin de laisser entrer la musique classique dans tout mon être et de laisser danser mon corps dans l’espace, pour me détacher de tout ce qui est extérieur et aller au plus près de ce que je suis.
« […] une fois en Europe, j’eus trois grands maîtres, les trois grands précurseurs de la danse dans notre siècle : Beethoven, Nietzsche et Wagner. Beethoven créa la danse en rythmes puissants, Wagner en formes sculpturales, Nietzsche la créa en esprit. Nietzsche fut le premier philosophe de la danse.»
D’ailleurs, il me prend comme une envie folle d’aller écouter Beethoven en frôlant les vagues de mes bottines lacées.
« […] quel est l’homme vraiment sympathique qui n’a pas un grain de folie?»
Ma vie, Isadora Duncan publié chez FOLIO. – Je vous recommande chaudement 😉
Biographie d’Isadora Duncan puisée ici :www.faisceau.com
Photo d’Isadora Duncan puisée ici: wikipédia