Je vais vous parler d’un roman que j’adore et qui mérite d’être lu, malgré le fait que son épaisseur (assez) imposante a tendance à en rebuter certains.es : American Psycho, de l’américain Bret Easton Ellis. La littérature des années quatre-vingt-dix a été fortement marquée par la curieuse fascination des Américains pour les meurtriers psychopathes tels qu’Ed Gein, Ted Bundy, ou encore le fameux Charles Manson. De célèbres auteurs – il suffit de penser à Joyce Carol Oates avec son Zombi et à Thomas Harris avec Hannibal (Lecter), pour n’en nommer que deux – se sont fortement inspirés de ces personnages afin de créer les leurs. D’ailleurs, Bret Easton Ellis lui-même s’est fait verser par son éditeur, Simon & Schuster, une avance de 200 000 dollars (rien de moins!) pour qu’il élabore son prochain récit autour d’un de ces monstres contemporains qui réjouissaient tant les lecteurs de cette époque. C’est comme cela que le personnage de Patrick Bateman, d’American Psycho, est né. Le nom du protagoniste seulement fait tout de suite penser à Norman Bates, du film Psychose, d’Alfred Hitchcock. Bref, les psychopathes distingués font partie de l’imaginaire collectif et deviennent une source quasi inépuisable d’inspiration pour les artistes (toutefois, je vais garder pour moi mon avis sur la nouvelle série Bates Motel… huhu).
Pour revenir à American Psycho, c’est un énorme (et dense!) roman de 527 pages, qui a été publié en 1991 dans le contexte mentionné plus haut. Patrick Bateman est l’archétype même du yuppie qui travaille à Wall Street et qui se conforme parfaitement au moule que son statut social lui impose : classe, riche, charismatique, beau et, dans ce cas-ci, terriblement misogyne. Or, en dehors de ses heures de travail, il devient un impudent assassin, ayant une sexualité plus que débridée, ne se gênant pas pour éliminer tout ce qu’il considère plus faible que lui : collègues-ennemis, animaux, sans-abris, femmes, et même un enfant… En tant que lecteur, nous devons attendre près de 200 pages (!) avant d’assister au premier meurtre. Délicieuse attente… Avant ce moment, nous sommes les témoins d’innombrables discussions superficielles à propos du nouveau restaurant new-yorkais à la mode, des tendances capillaires douteuses du moment, du nouveau masque quelconque d’une compagnie quelconque… Bref, nous sommes décidément bien loin du portrait typique du meurtrier effroyable complètement fou. Mais l’attente en vaut la peine puisque c’est exactement cela qui renforce toute l’horreur du récit de Bret Easton Ellis : Bateman se fond que trop bien dans la masse, dans notre masse.
Le lecteur est amené à être le témoin silencieux d’un univers complètement déjanté, aux descriptions interminables, voire carrément insoutenables, lors des scènes de meurtres. C’est assez rare que le gore en littérature me trouble puisqu’instinctivement, mon imagination à tendance à « camoufler » ces scènes. Or, impossible de se défendre à l’aide de notre imaginaire face aux assauts des descriptions hyper détaillées qu’offrent l’auteur : pas le choix de s’imaginer parfaitement un homme se faire démembrer à la hache, la chair à vif, les os éclatés, les yeux crevés et dégoulinants, name it. American Psycho m’a donné plusieurs frissons dans le dos et m’a fait grimacer de dégoût plus d’une fois. Mais justement, n’est-ce pas là une véritable force chez un auteur que de faire ressentir de si fortes émotions à son lecteur à travers son œuvre? J’aime qu’un roman me transporte dans un monde qui m’est inconnu, voire incommodant, et Ellis réussit à merveille à installer bien (in)confortablement son lecteur dans son univers, à travers une plume froide – presque clinique – et un style merveilleusement épuré.
Je vous suggère personnellement le film réalisée par Mary Harron, du même titre, qui est une excellente adaptation du roman d’Ellis. Bonne lecture et bon visionnement!
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