« Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout. » Victor Hugo
En février 2014, quand je suis partie pour l’Irlande dans le but d’y faire un stage dans une petite classe de maternelle, je trainais, dans mes bagages, des livres. Des albums jeunesse qui avaient su m’émerveiller. Des couleurs, des images, des mots que je voulais partager. Cette année-là, j’ai parcouru une dizaine de pays en conservant sur mon dos cet immense bagage qui était presque impossible à transporter. Au fil des jours, je me suis détachée des objets que je considérais superflus. Des vêtements trop chauds, des chandails usés, des cosmétiques que je n’utilisais jamais de toute façon… Mais je n’ai jamais pu me résoudre à me débarrasser de mes albums jeunesse. Mes albums sont usés et incroyablement vivants. Ils ont fait rire des enfants sur tous les continents. Mes albums ont transporté des enfants dans des univers nouveaux et remplis de fantaisie. Ces albums, je les découvre au fil des jours avec tous les élèves qui croisent ma route. Ensemble, nous partons à la découverte de leurs pages comme certains découvrent des trésors.
Ils ont cinq ans, à peine. Ils ne parlent pas très bien français, mais leurs rires fusent lorsqu’ils entendent les histoires absurdes d’un petit écureuil hypocondriaque (Frisson l’écureuil, de Melanie Watt.) Ils rient comme des fous, en se tenant les côtes. Ils rient comme si c’était la première fois, comme s’il n’existait plus rien. Plus rien que nous, dans cette classe, maintenant. Nous et ce livre qui prend toute la place.
Ils ont sept ans. Ils regardent l’horloge avec impatience. Dans quelques minutes, sûrement, j’arrêterai la classe pour leur lire un album. Un nouveau. Un jamais lu. Ils travaillent fort et reçoivent ces quelques minutes de lecture comme un spectacle, comme une pause dans le quotidien. J’ouvre La petite sœur du petit Chaperon rouge de Didier Lévy et entame la lecture. Durant ce moment que nous passons ensemble, ils me donnent leurs impressions et me partagent leurs émotions. L’album les a éblouis.
Ils ont 8 ans. Ils attendent avec une impatience incroyable ces moments où le temps semble s’arrêter. L’année est presque terminée, j’en ai profité pour leur faire découvrir un classique qu’ils connaissent déjà, pour l’avoir vu au cinéma (Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl). Nous passons des heures à tourner les pages, à questionner la suite de l’intrigue. Je change ma voix au rythme des personnages qui défilent. Quelques minutes avant que la cloche ne retentisse, j’arrête ma lecture. Chaque fois, je les entends gémir tous en chœur. Pourquoi arrêtes-tu toujours la lecture sur un suspense?, me questionnent les élèves. Je souris quand je leur réponds: «Pour que vous ayez hâte d’entendre la suite.»
Ils ont onze ans. L’enseignante que je remplace m’a demandé de leur lire un livre qui parle de surconsommation (Le catalogue des gaspilleurs, d’Élise Gravel.) Nous passons une heure à discuter de publicités, d’environnement, de pollution. Ils ne veulent pas se taire. Ils ne doivent pas se taire. Les mots d’une autre ont mis en place les leurs.
Ils ont douze ans. Ils ont compris bien des choses, déjà. Ils ont parlé de la première guerre mondiale en classe. Leur enseignante leur a choisi avec soin des romans qui parlent de cette période (Cheval de guerre, de Michael Morpurgo, Mon père est parti à la guerre, de John Boyne, 14-14 de Paul Beorn et Silène Edgar) pour donner un aspect de réalité à ces dates qu’ils ont apprises par cœur. Ils travaillent sans relâche sur leur lecture, sur leur oral à venir. Ils viennent me voir, de temps à autre, pour me faire part de leurs découvertes, de leurs surprises. Ils comparent les faits avec la fiction et tout cela les laisse pantois. Ils ne savaient pas que les livres pouvaient leur faire ça.