Le 31 mai dernier, j’ai été invitée à assister à la pièce 887 de Robert Lepage au Théâtre du Nouveau Monde, produite par Ex Machina. En toute honnêteté, je n’avais aucune idée du sujet de la pièce et je n’avais pas la moindre attente, mais reconnaissant l’un des plus grands noms du théâtre québécois, je n’ai pas hésité à accepter l’invitation. Voici donc ce que j’ai pensé de la pièce et une brève description de ce spectacle où le texte, la conception, la mise en scène et l’interprétation découlent tout directement du grand Robert Lepage.
887 a pour thème la mémoire; comme Lepage le mentionne, le théâtre et la mémoire sont étroitement liés, puisque ce premier demande un grand travail de mémorisation de la part des spectateurs. Dans le cas de cette pièce, c’est un effort de mémoire pour le public, ainsi que l’homme sur scène qui, pour bâtir sa pièce, concentre sa mémoire personnelle sur les méandres des luttes des classes et de la crise identitaire du Québec des années soixante. C’est la voix d’un préadolescent à travers la politique et la poésie.
887 dénonce l’inégalité entre les classes sociales de l’époque, mais encore celle d’aujourd’hui subtilement, l’excellence ne se retrouve pas nécessairement dans les classes sociales élevées, alors pourquoi seules les classes plus riches peuvent s’offrir des écoles leur permettant d’identifier cette excellence. Voici l’un des enjeux qui est mis sur la table tout au long du spectacle, sans toutefois l’aborder directement. Lepage le dit, si je m’étais retrouvé dans une situation où il fallait payer pour entrer au conservatoire, je ne me trouverais pas où je suis aujourd’hui. Cette lutte poétique forge la vie du dramaturge, ainsi que celle du Québec. On parle du FLQ à Montréal versus à Québec, de la Révolution tranquille et on se met dans la peau d’un jeune garçon qui se questionne, en même temps que la nation québécoise.
« Sont dans ma tête les bombes, pas dans ma poche! Épais! »
887, c’est une pièce de théâtre interactive. À l’ère de la technologie, Robert Lepage maitrise la situation en utilisant régulièrement son téléphone pour donner divers plans au spectacle, ainsi que créer des jeux d’ombres. Le tout se basant sur un énorme mobile, rappelant le bloc appartement où Lepage a grandi dans le quartier de Montcalm à Québec, au 887. Une caméra aux pieds, une voiture de taxi rappelant celle du père de Lepage qui se promène régulièrement sur scène. 887 regorge d’originalité.
887, c’est un récit à trois niveaux, deux passés (Robert Lepage jeune garçon et Robert Lepage adulte, il y a quelques années) et le présent. Avec une pointe d’humour, il nous fait découvrir son monde avec brio, les difficultés de son enfance, l’amour pour sa famille et le grand respect pour son père. On plonge avec le dramaturge aux 40 ans de la nuit de la poésie, où apprendre le poème « Speak White » de Michèle Lalonde fut complexe, la découverte des « viandes froides » de Radio-Canada, et plus encore.
887 m’a complètement charmée. Toute la pièce est vivifiante, mais la fin est complètement spectaculaire. À l’amorce de « Speak White », il y a une pause; Lepage mentionne qu’il n’est pas digne de réciter ces lignes, car le public n’est pas digne de l’entendre, ce qui lui donne de la force pour débiter le poème avec une brutalité, mais une brutalité légère, une brutalité qu’on plait à entendre. C’est beau, on ne veut pas que ça finisse. Lepage crie, Lepage parle plus doucement. « Speak White » est encore d’actualité, on le ressent, c’est articulé avec exaltation en tant que flashback, mais également au public présent en ce 31 mai 2016. J’ai rarement entendu le public crier des « bravos » à la fin d’une pièce, mais quand Lepage est capable d’éblouir des centaines de personnes à la fois, je crie aussi au talent et je crie au talent québécois.
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