Il existe des peines et des joies à vivre en colocation. Celle que je vis présentement avec quatre formidables humains amène un plus grand lot de joies que de peines. Parmi ces joies vient celle de partager nos piles de livres qui vivent un peu partout dans la grande maison.
Ce matin, au lendemain d’une épluchette de maïs, avec le temps qui était à la pluie, je me sentais l’envie d’errer en traînant les pieds sur le tapis du salon et de parcourir les titres de tous ces livres qui font un peu partie de ces gens avec qui j’habite. Tous les livres que nous avons lus ou que nous désirons lire, même, laissent leurs traces en nous et nous construisent un peu. Entrer dans la bibliothèque d’un autre, c’est un peu ouvrir la porte de son âme, à plus ou moins petite échelle et selon les gens et les genres littéraires.
Les livres sont là, offerts, prêts à être empruntés, à être lus, à être partagés. Depuis que les heures diminuent à la galerie, depuis que j’ai de nouveau eu le coup de foudre pour un livre, Auprès de moi toujours, qui m’a redonné goût à la lecture, je suis avide de lire partout et en tout temps. Je suis disponible et je veux tout lire, lire le plus possible, me plonger et être habitée encore et encore par des histoires et vivre des émotions nouvelles et pleurer et rire et me sentir bien et mal aussi.
Et même si, il faut le dire, j’ai déjà une immense collection de non lus, j’ai le goût de risquer et de découvrir des titres que je ne possède pas encore ou que je ne possèderai peut-être jamais.
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Je partageais avec ma colocataire (nous sommes deux filles et trois garçons) mon bonheur d’être autant tenue en haleine par le roman de Kazuo Ishiguro. Je disais aussi que l’écriture orientale sciait parfaitement bien avec l’état dans lequel je voulais être. Ce besoin de lenteur, encore, et de contemplation, de prendre des détours, de mystères et de non-dits quelque peu planants. C’est au même moment qu’elle a déposé devant moi Les lettres chinoises de Ying Chen, un tout petit roman publié dans la collection Babel de Leméac. J’avais donc très hâte d’y plonger. Surtout lorsqu’elle m’a dit qu’il ne se passait pas grand-chose dans l’histoire. C’est exactement ce que je cherche.
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Les lettres chinoises, comme l’annonce le titre, est un roman épistolaire entre trois jeunes Chinois, Sassa, son amoureux Yuan et leur amie Da Li. Yuan émigre à Montréal le premier, suivi de très près par Da Li. Sassa est quant à elle toujours à Shanghai. Elle s’enfonce dans une tristesse du corps et de l’esprit à force d’être séparée de son amoureux. Yuan essaie de la convaincre du bonheur que lui procure sa nouvelle vie, dans ce nouveau pays, dans cette nouvelle ville. Da Li poursuit en quelque sorte sa vie à Shanghai, mais à Montréal. L’une ne souhaite peut-être que rester dans la tradition et dans la crainte du changement. L’autre savoure l’exil. Et la troisième ne sait pas comment faire le pas entre ce qu’elle était et ce qu’elle pourrait devenir.
Il ne se passe pas grand-chose, certes, mais rien ne m’empêche d’être saisie complètement par le cœur lorsque je deviens par moment Sassa, puis Yuan ou encore Da Li et que je me pose, avec eux, de grandes questions sur les tournures du monde et les choix difficiles auxquels sont continuellement confrontés tous humains sensibles en quête de vivre pleinement.
Pour moi qui ai toujours eu un grand plaisir à poursuivre une ou plusieurs correspondances avec des ami(e)s, il est intéressant de lire un roman construit de cette façon. Qui plus est, le thème de l’exil m’a toujours rejointe. Il n’est pas nécessaire de s’exiler très loin de son lieu d’origine pour se sentir étranger, alors que certaines personnes vont jusqu’au bout du monde pour essayer de rejoindre une infime partie de ce qu’ils pensent ou savent être profondément.
Il n’est pas plus facile de quitter son pays que d’y rester. […] On vit dans une époque d’exil. Le mal du pays est devenu le mal du siècle. D’ailleurs a-t-on jamais connu un siècle sans exil? On vagabonde sans cesse d’un endroit à l’autre. Et on va de plus en plus loin. On parle plusieurs langues, moins pour s’enrichir que pour s’effacer. On veut disparaître. – Sassa
J’admire ces oiseaux qui voyagent à travers l’espace et le temps, construisant partout leurs nids pour chanter leurs chansons. Pour s’envoler, il faut qu’ils sachent se déposséder, surtout de leur origine. Ils ne considèrent pas leurs nids comme leur propriété ni comme leur raison d’être. Voilà pourquoi ils ne connaissent pas la nostalgie ni n’éprouvent de rancune à l’endroit de leur nouveau pays. Au fond, ils n’ont pas de pays, puisque leur cœur simple ne connaît pas les frontières. Et ils sont heureux. – Yuan
En me coupant d’une racine, je risque d’en acquérir une autre. Or, je n’aime pas les racines. Je les trouve les unes comme les autres laides, têtues, à l’origine des préjugés, coupables de conflits douloureux, destructeurs et vains. – Da Li
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–T’es-tu déjà sentie à ta place quelque part, comme si pour la toute première fois, tu te trouvais exactement au bon endroit, au bon moment?
–Et comment l’as-tu su?
–L’endroit où tu es, dans le sens d’être entier, dépend-il de ton état d’esprit du moment, des gens qui t’entourent, des lieux eux-mêmes ou de leur influence sur toi?
La vie, immense vie, n’existe en réalité que dans l’amour, l’amitié, les départs, les questions et les multiples incertitudes à travers quelques valeurs et convictions personnelles. C’est dans tout ça que nous existons totalement, à chaque instant.
Un très bon livre, que ma petite sœur m’a fait découvrir. Même s’il ne s’y passe pas grand chose, j’ai été happée par leurs échanges.
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