Littérature étrangère
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L’Inde littéraire (3e partie) : La Cité de la joie

J’ai lu La Cité de la joie au creux de l’automne montréalais. J’avais les blues et c’était profond. S’ennuyer d’un lieu, c’est sournois. Il suffit d’entendre une bribe de conversation ou de sentir un arôme, et c’est tout de suite la boule dans la gorge. Mais avec le récit de Dominique Lapierre, j’étais en Inde au mois 15 minutes par jour.

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Le parc du Victoria Memorial, au coeur de Calcutta

En lisant les premières pages du roman, je pensais d’emblée avoir tout compris : l’histoire se déploierait sous la forme d’une saga familiale, le paysan Hasari Pal au centre de cette épopée. J’ai vite changé d’avis en constatant que j’avais affaire à une forme romanesque de Humans of New York, version Calcutta. Tout comme ce projet, les photos en moins, il était ici question d’humaniser la ville, un récit de vie à la fois.

D’un chapitre à l’autre, le kaléidoscope que représente Calcutta prend forme. Ce sont d’abord les déboires, les luttes, les échecs et les tentatives désespérées qui prédominent : la ville est sans pitié. Mais lorsqu’on finit par apercevoir la joie, celle qui donne son nom au lieu, c’est toute la métropole qui tremble au rythme de la danse des lépreux et des processions religieuses.

Pour le dernier article de la série, l’Inde littéraireLa Cité de la joie s’avère un trait d’union entre les œuvres précédentes. D’un côté, on suit la trace d’Occidentaux qui décident de leur plein gré d’aller vivre dans un slum, tout comme dans Shantaram. À travers les yeux du missionnaire Paul Lambert et du médecin américain Max Loeb, c’est l’expérience de l’étranger en sol indien. Tous les éléments marquants y sont, notamment le premier contact avec les crémations lors des cérémonies funéraires. Je me rappelle la fascination morbide éprouvée à la vue de ces corps qui brûlaient tout près du Gange pour ensuite y être déversés. Mais encore plus marquant, c’était de regarder les gens autour et de réaliser qu’assister à ce rituel était ce qu’il y avait de plus normal pour eux. Pas question ici de cacher la mort, et encore moins de la pleurer, les âmes qui tentent d’atteindre la moksha en seraient troublés.

En parallèle des tentatives de Lambert et Loeb pour se tailler une place dans La Cité de la joie, c’est la réalité des travailleurs indiens qui se briseront le corps et l’esprit pour réussir à nourrir leurs familles que l’on retrouve. Ces récits rappellent L’Équilibre du monde, ils sont ceux des déshérités. Venus des quatre coins du pays dans l’espoir d’améliorer leur sort, plusieurs d’entre eux en viendront à donner leur sang, goutte par goutte, pour ne pas se laisser avaler par la ville inhumaine. Et que dire des porteurs de rickshaws qui soulèvent chaque jour ces immenses tricycles pour transporter les plus riches d’un bout à l’autre de la ville. Certains tomberont d’épuisement, le corps essoufflé et les os meurtris. Ce moyen de transport existe toujours en Inde, et chaque fois, en le voyant, j’éprouvais un mélange d’admiration et de répulsion. Admiration devant chaque pas et chaque effort que ces hommes faisaient, répulsion devant le constat qu’ils devaient porter ce poids sur leurs épaules, en plus de tout le reste.

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Sur les rives de Calcutta, un temple dédié à la déesse Kali.

Avant d’y mettre les pieds, Calcutta était pour moi la ville de Mère Teresa, avec des rues infestées de rats, des égouts à ciel ouvert et des cadavres qu’on ne prend pas le temps de retirer de la chaussée.

Rendue là-bas, c’était plutôt une ville en déclin que j’apercevais, le sentiment qu’autrefois il y avait eu autre chose et que ça avait été grand. Mais qu’il n’en restait désormais plus aucune trace. Les parcs trop verts et les noms des rues à l’anglaise rappelaient le passé colonial des lieux, mais ils rappelaient également que Calcutta, contrairement à New Delhi ou Mumbai, n’avait pas su se réactualiser.

Une fois le livre de Lapierre refermé, j’avais réussi à mettre le doigt sur le sentiment fuyant que je ressentais: Calcutta me rebute autant qu’elle m’attire. Avec sa chaleur démesurée, sa désuétude, ses palais trop majestueux et sa misère accablante, elle produit l’effet d’un véritable tourbillon. Au fil des années, elle a attiré des millions d’étrangers et d’Indiens ; les uns propulsés par le désir d’aider, les autres en quête de prospérité. Avec son magnétisme, elle s’est taillée une place dans les imaginaires. Et aux détours de ses rues, on recherche toujours les traces de la ville fantasmée.


Pour ceux qui voudraient aller plus loin dans l’Inde littéraire:

Salman Rushdie, Midnight’s Children

Arundhati Roy, The God of Small Things

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