Littérature québécoise
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Écrire l’indicible : « Déterrer les os », anorexie de l’intime

Je dois vous dire, pour débuter, que je connais Fanie personnellement, et qu’elle est en plus collaboratrice pour Le Fil rouge (!). Pourtant, cela ne m’a pas empêchée de lire son livre avec les yeux d’une lectrice anonyme, et de découvrir un livre extraordinaire, à la différence près que je sais qu’il a été écrit par une femme extraordinaire.

***

Je lis le livre de Fanie et j’ai faim. Mon ventre se creuse à mesure que je tourne les pages. Mes deux toasts me semblent bien loin, alors que je pose mes yeux sur ces lignes qui décrivent le défi de ne manger qu’une clémentine par jour. Je lis le livre de Fanie un dimanche matin, en engloutissant mon café, qui me réchauffe le corps alors que cette fille, dans le livre, n’a que de la peau sur les os. J’ai froid. J’ai froid et j’ai faim.

J’ai envie de la serrer très fort, cette chère auteure. La réchauffer et l’entourer de mes bras bien dodus, qui pourraient peut-être la réconforter un peu. Car je sais bien que cette histoire est la sienne. Enfin, je n’ai pu détacher les mots de l’auteure. Le langage familier se mélange à une plume littéraire, à l’image de ma belle Fanie.

« Les désirs meurent en même temps que la faim. »

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Fanie qui tient fièrement son roman! 🙂

Elle écrit : « Les désirs meurent en même temps que la faim. » (p. 37) Comme si en se vidant l’estomac, elle se vide aussi de tous les tourments, de tout ce qui pourrait interférer entre elle et son corps. En creusant le trou dans son ventre, elle creuse au fond d’elle-même, et nous avec elle. Son « corps qui déborde » – avant l’anorexie, chronologiquement – ne la rendait pas nécessairement plus heureuse. Comme si jamais on ne s’en sortait, comme si ce corps nous était à jamais étranger, notre chair ne servant que de support à tout ce qui se passe à l’intérieur.

Puis, les pages défilent, et la narratrice se défile. Elle s’éloigne de plus en plus de son corps. Devient une morte-vivante. Son corps est vide, une coquille, écrit-elle. Et moi, je veux la remplir de mon amitié. Je dévore les pages comme si je voulais remplir ce corps « débarrassé », comme elle l’écrit elle-même, d’amour. Il y a tant de passages que j’aurais pu choisir. C’est que le roman est construit autour de fragments, des morceaux d’elle qui lui permettent de retrouver son corps, justement, de le reconstruire. Déterrer les os pour comprendre. Là est le cœur de la démarche de Fanie, du moins, selon la lecture que j’en fais.

Sur la quatrième de couverture, on trouve une interrogation : « Quand est-ce qu’on sait que c’est fini? » J’ai envie, en tant que lectrice, de renvoyer la question. Quand est-ce qu’on sait qu’elle en a fini de faire violence à ce corps qui nous est dévoilé? Quand est-ce qu’elle aura fini de détruire ce corps fragile qui lui est si difficile à saisir? Parce que j’ai voulu moi aussi en saisir les contours au fil des lignes. Non pas par pitié, mais par profonde empathie et amitié sincère. Je lisais les mots de Fanie comme une confession, comme un appel à toutes les femmes de cesser de voir leur corps comme un reflet de leur essence. J’ai voulu la saisir dans mes bras pour lui dire qu’elle est belle comme elle est, qu’elle est tellement de choses. Remplie de tellement de belles choses.

« Le seul langage qui tienne la route émane de mes os. »

De l’intime, on dit souvent que les femmes devraient moins en parler. Cesser d’étendre leurs états d’âme sur papier. Mais ce livre donne à penser à la nécessité de donner une voix aux troubles qui habitent le corps des femmes. Si je n’avais jamais lu de récit sur l’anorexie auparavant, celui de Fanie Demeule m’apparaît pourtant comme un modèle littéraire accompli. Permettez-moi ici de mauvais jeux de mots en lien avec l’alimentation : c’est qu’à l’inverse de la narratrice du récit, je me suis sentie remplie de tendresse, malgré la dureté des lignes sous mes yeux. L’écriture de Fanie est, ironiquement, injectée d’une grande force, forte du poids des mots qu’elle portait en elle avant l’avènement de ce récit. On sent, dans chaque phrase, l’urgent besoin d’en finir, de déposer sur les pages ce langage « des os » qui l’habitait : « Le seul langage qui tienne la route émane de mes os. Ce sont eux qui prennent le relais. Ils disent tout, affichent ce que je veux que les gens lisent en moi. Sur moi. » (p. 73) Mais je sais que Fanie n’a plus besoin de ce langage. Elle a désormais un langage qui est sien, d’une beauté qui ne relève plus seulement de ses os, mais de son être entier.


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